" Le haïku fait envie : combien de lecteurs occidentaux n'ont pas rêvé de se promener dans la vie, un carnet à la main, notant ici et là des "impressions", dont la brièveté garantirait la perfection, dont la simplicité attesterait la profondeur ( en vertu d'un double mythe, l'un classique, qui fait de la concision une preuve d'art, l'autre romantique, qui attribue une prime de vérité à l'improvisation ). Tout en étant intelligible, le haïku ne veut rien dire, et c'est par cette double condition qu'il semble offert au sens, d'une façon particulièrement disponible, serviable, à l'instar d'un hôte poli qui vous permet de vous installer largement chez lui, avec vos manies, vos valeurs, vos symboles ; l'"absence" du haïku ( comme on dit aussi bien d'un esprit irréel que d'un propriétaire parti en voyage ) appelle la subornisation, l'effraction, en un mot, la convoitise majeure, celle du sens. Ce sens précieux, vital, désirable comme la fortune ( hasard et argent ), le haïku, débarrassé des contraintes métriques ( dans les traductions que nous en avons ), semble nous fournir à profusion, à bon marché et sur commande ; dans le haïku, dirait-on, le symbole, la métaphore, la leçon ne coûtent presque rien : à peine quelques mots, une image, un sentiment - là où notre littérature demande ordinairement un poème, un développement ou ( dans le genre bref ) une pensée ciselée, bref un long travail de rhétorique. Aussi le haïku semble donner à l'Occident des droits que sa littérature lui refuse, et des commodités qu'elle lui marchande. Vous avez le droit dit le haïku, d'être futile, court, ordinaire... " (1)
Vérifions :
" Remets au saule
tout le dégoût
tout le désir de ton coeur "
Bashô
" En arrêt devant
les boutons d'une fleur de concombre
dans l'herbe "
Shiki
" L'alouette en chantant
façonne
les nuages "
Serien
" Comme si rien n'avait eu lieu
la corneille
et le saule "
Issa (2)
C'est la fin des années 60 - années d'envolées, de dérives et d'actives pensées, de théories appliquées, et de vies révolutionnairement vécues - Roland Barthes se laisse traverser par le Japon, il écrit cet " Empire des Signes ", la ville comme idéogramme, et pose cette question essentielle " Où commence l'écriture ? Où commence la peinture ? ". Encre sur papier de Yokoi Yayû (1702-A783) - La cueillette des champignons. " Quand ils cherchent des champignons, les Japonais prennent avec une eux une tigre de fougère ou, comme sur cette peinture, un brin de paille sur lequel ils enfilent des champignons. Peinture haïga, toujours liée au haïku, poème bref en trois vers :
" Il se fait cupide
aussi, le regard baissé
sur les champignons "
l'écrivain écoute - qui douterait qu'il ne le fût pas ? - marche, mange, écrit et dessine. Sa vie se fait haïku dans la nette simplicité du mouvement.
C'est aujourd'hui, j'observe le soir qui s'annonce, pas un souffle de vent, mon cadran solaire est éteint, il me faut deviner "mes heures d'aimer" sur le mur de pierre, Schumann sous les doigts d'Horowitz, qui fait danser ses doigts. Tout est calme, tout est musique, tout est net.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Roland Barthes / L'Empire des Signes / Champs Flammarion
(2) Haïkus / Anthologie / Trad Roger Munier / Points Seuil
jeudi 28 février 2008
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