dimanche 6 juillet 2008

Le Théâtre Incarné


Le théâtre comme incarnation du verbe, le théâtre comme incarnation du corps, c'est de cela qu'il s'agit dans Partage de Midi, et d'évidence cela n'est pas apparu à tout le monde, question d'aveuglement peut-être, question d'écoute, question profondément musicale.
Dis-moi comment tu as entendu ce Partage là, je te dirai comment tu vis.
Dis-moi ce que tu vois d'Ysé, ce que tu comprends de Valérie Dréville, ce que tu saisis de l'acte de jouer, je te dirai où tu en es avec l'élévation, ce n'est pas autre chose qui se joue là, le théâtre comme élévation du corps, du corps avant tout, de la peau, du regard, le théâtre comme élévation de la parole, les mots jouissent du verbe. (1)
" Claudel, papillon chinois enfermé dans un ours : étonnante plaisanterie de la nature. Mais l'ours danse comme personne, il a surtout une oreille très fine. Il est délicat et sûr dans ses goûts, même s'il n'aime pas particulièrement faire le beau devant les dames ou les éphèbes qui, les imbéciles, se moquent de son apparence. Ses fréquentations à lui, dans la montage, ont pour nom Lao-tseu ou Isaïe, saint Jean ou Eschyle. Drôle de type, vraiment, qui a su que l'ignorance et la surdité, l'oppression et la vulgarité, allaient durer longtemps, très longtemps, dans une obscurité brutale, mais qu'il y avait aussi des paroles qui ne passeraient jamais, des peintures, comme celles de Rembrandt, définitives. Il écoute, il scrute, il lit, il voit dans le noir. Il meurt en disant " laissez-moi, je n'ai pas peur ". Il a grogné, mais c'était aussi pour rire, puisqu'à chaque détour un humour énorme est en lui. Dans une photo saisissante, Cartier-Bresson l'a surpris un jour en train de regarder passer un corbillard. C'est quelqu'un d'autre qui s'en va en terre, pas lui. " Ce qui n'est pour vous que mots et cendres, est pour moi chair, pain, vin, eau, lait, miel, huile, pulpe de fruit. " (2)
Regardez sa voix, une portée musicale, une partition en mouvement permanent qui porte autant d'histoires grecques que chinoises, écoutez ses mains, elles se saisissent du mot qui vient de la terre, du ciel, de la peau, de l'autre, de la phrase qui naît du ventre, voyez comment elle réinvente la diction, trace rougeoyante qui éclaire la pierre de la carrière, écoutez ses pas dans le cimetière où mille âmes caressent sa peau de sable, écoutez son regard de femme d'amour éperdue, écoutez Claudel, ou bien restez dans votre tombe.
à suivre
Philipppe Chauché
(1) Partage de midi / Valérie Dreville / Gaël Baron / Nicolas Bouchaud / Charlotte Clamens / Jean-François Sivadier / Festival d'Avignon 2008 / Carrière de Boulbon jusqu'au 26 juillet /
(2) Connaissance de Claudel / Philippe Sollers / Eloge de l'Infini / Gallimard

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