" Mais, heureusement, le corps de l'amour est un corps qui sauve, pensai-je, en me rappelant comment, par cette après-midi, ma femme avait ranimé mon corps avec son propre corps, en me rappelant avec quelle tendresse et avec quelle ardeur nous avions fait l'amour, un peu plus tard, à même le sol de mon atelier, pensai-je, en songeant, précisément, que ce jour-là était le jour où nous avions conçu le corps de notre enfant qui est au plus haut point le prolongement du corps de notre amour, pensai-je, en songeant que Ravèse, qui m'avait toujours fait l'effet d'un homme qui se connaissait bien, pour ne pas dire l'effet d'un homme qui se connaissait à merveille, en songeant, donc, que Ravèse se défiait particulièrement de cette foi en la famille qu'il appelait mon tropisme nucléaire, parce qu'il ne croyait pas en la génération, parce que le corps de notre enfant qui était, pour ma femme et moi, le corps accru de notre amour était pour lui un objet de hantise et d'abomination, du moins dans l'hypothèse d'une paternité qui l'eût touché directement, pensai-je, parce qu'il était dans un rapport si intime avec le temps de sa pensée qu'il estimait, en cet aplomb si ravèsien, qu'il aurait, comme Cronos, englouti ses enfants, pensai-je, en me rappelant notre désaccord sur ce point, désaccord radical, je tiens à le préciser, car, s'il arguait, lui, de la vie de Joyce, de Picasso, et de tous ces génies qui avaient laminé leur descendance, je restai persuadé, moi, que le prolongement du corps de l'amour dans un autre corps n'est pas une chose qui se décrète, mais simplement une chose qui vient, et qui vient toujours pour le meilleur, à moins, bien sûr, que nous le transformions en pire, pensai-je ... " (1)
Lisant ce Retz là, dans la chaleur étouffante d'un été du sud, se dessinait dans mes mains un autre souffle, un souffle qui sauve le corps, un souffle qui ambre une voix, qui la fait s'envoler vers d'autres rues chaudes et peuplées de vierges sinueuses, le souffle de l'actrice s'était glissé dans le mien, le souffle de Ysé montait maintenant de mes lèvres, je souffle et je chasse la mort, simple comme un souffle, pensai-je, c'est ainsi que naissent les miracles, car les mots vont si bien avec le souffle, devait penser Arthur Nauzyciel lorsque ses acteurs posaient leur propre souffle dans le cloître des Carmes, le souffle de la vie s'élevait dans ma rue des martinets hésitants, je souffle et le miracle éclate. Qui peut comprendre ?
" J'ai embrassé l'aube d'été.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombres ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.
La première entreprise fut, dans le sentier déjà emploi de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.
Je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.
Alors je levai un à un les voiles; Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq. A la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.
En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec ses voiles amassées, et j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois.
Au réveil il était midi. (2)
à suivre
Philippe Chauché
(1) Grand Art / Valentin Retz / Gallimard / L'Infini
(2) Arthur Rimbaud / Aube / Illuminations / Oeuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard
samedi 19 juillet 2008
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