samedi 15 novembre 2008

L'Art d'Ecrire



C'est ainsi finalement qu'il convient de traverser le siècle, les siècles, l'Europe, l'art d'écrire et les corps, avec cette insouciance naturelle, ce naturel réjouissant, cette force du regard et des mots, c'est ainsi qu'il a saisi ce siècle vivifiant, dans le mouvement de la plume et des femmes, l'un ne va pas sans l'autre.

" Plein de mon bonheur, je suis allé prendre mes filles, qui jouirent de toute la comédie comme moi, sans la moindre interruption. Arrivant à l'auberge, j'ai ordonné à la voiture de revenir à deux heures, et nous allâmes nous mettre devant le feu, tandis qu'on se fatiguait à ouvrir les huîtres qui ne nous intéressaient plus comme les deux premières fois. Ces filles avaient pris vis-à-vis de moi la contenance qui convenait à mon état actuel. Emilie avait l'air d'une personne qui, ayant vendu de la bonne marchandise à crédit, conserve un air de prétention à cause du bon marché qu'elle a fait à l'acheteur. Armelline, tendre, riante, et peu humiliée, me parlait des yeux et me faisait souvenir de la parole que lui avais donnée. Je ne lui répondais que par des baisers enflammés qui la rassuraient, mais qui en même temps lui faisaient prévoir que je voudrai augmenter de beaucoup les devoirs que j'avais contractés avec elle. Elle me paraissait résignée, et avec le contentement de l'âme, je me suis mis à table ne m'occupant que d'elle. Emilie, à la veille de se marier, n'eut pas de peine à croire que je ne la négligeais qu'à cause d'un sentiment de respect qui me paraissait dû au sacrement avec lequel elle allait se lier.
Après notre souper gai et voluptueux comme de coutume, je me suis mis sur le large sofa avec Armelline, où j'ai passé trois heures que j'aurais pu me rendre délicieuses, si je ne m'étais pas obstiné à vouloir la dernière faveur. Cette fille n'y voulu jamais consentir. Ni mes caresses, ni mes paroles, ni souvent mes emportements ne purent cependant jamais lui faire perdre sa douceur. Tendre entre mes bras, tantôt souriante et tantôt amoureusement triste dans le plus éloquent silence, elle ne m'accorda jamais ce que je poursuivis toujours à vouloir, sans cependant avoir jamais la mine de me le refuser... " (1)

C'est le grand théâtre de la comédie amoureuse, et personne n'est dupe, ni Jacques Casanova de Seingalt, ni Armelline, ni Emilie, ni toutes les autres, la comédie donne cette joie vivifiante qui fait bien écrire, et bien aimer, question de style accordé aux situations.

" Mais malgré les rideaux baissés la lune luisante donnait à la chambre assez de lumière pour me laisser discerner les plus charmants profils dans la favorable distance où elle était allée se mettre. Tout ce manège me paraissait fait que pour rendre plus ardent ; mais Pauline savait qu'elle n'avait pas besoin d'employer d'art.
Pauline vint dans mes bras, et nous nous concentrâmes d'abord dans un profond silence. Nos feux se confondirent, et ses gémissements furent mes sûrs garants que ses désirs étaient plus vifs que ceux que je ressentais, et que ses besoins étaient plus grands que les miens. Le devoir indispensable de ménager son honneur me fit soudain faire halte, et recueillir dans un mouchoir les glorieuses marques de sa vertu dont je venais de triompher. " (2)

Victoire de la littérature, victoire du roman de vie sur la pornographie, il suffit de le vérifier, cela saute aux yeux. Victoire de la vie et du corps, mot à mot, peau à peau, corps à corps, verbe à verbe. Quels éclats, quel bonheur, quelle force, quelles envolées, quels silences, c'est ainsi qu'il traverse la vie et que la vie s'en réjouit. Et puis, plume alerte, il écrit sur son siècle, sur ces Cours qu'il fréquente, ces Salons qui l'accueillent, ces femmes qu'il séduit, et qui le séduisent. Une vie multiple, vécue à la bonne distance, ce n'est point une leçon de morale, c'est un art de vivre qu'il s'applique sagement, pour le reste, silence. Lisons.

à suivre

Philippe Chauché
(1) Casanova / Histoire de ma vie / Volume 12 / Robert Laffont
(2) d° / Volume 9 / d°

1 commentaire:

  1. Il faut arrêter avec le mythe "Casanova" de l'homme viril, séducteur, heureux de vivre en accumulant conquête sur conquête. C'était une façade, une façon de se tenir debout, car la première, celle qui l'a dépucelé et vraiment aimé au point de vouloir l'épouser, l'a trompé. Il a plongé dans la maladie et le mutisme pendant plusieurs mois au point de vouloir mourir à cause d'elle. Il s'est enivré de femmes comme d'autres l'auraient fait avec l'alcool ou les drogues. C'était tout simplement une addiction. Il souffrait de ce premier amour contrarié en faisant tout pour l'occulter, sans quoi il n'aurait jamais dit tout de suite après cette trahison : "la seule pensée d'amour me rebute, car je ne peux aimer que sûr d'être aimé uniquement." M.

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