dimanche 30 novembre 2008

Saisissements

" Un agitateur saisit la parole. L'artiste est saisi par la parole. " (1)



Le bonheur du peintre éclate dans son regard, un bonheur guerrier, féroce, point d'autre solution, je peins donc je me bats.
Mes armes : la couleur. Ma force : la couleur.



J'ai rendez-vous avec l'inconnue sur l'Ile aux cygnes, la Seine qui n'ignore rien de mes inconstances s'en amuse. Sur un banc face aux péniches qui doutent de plus en plus de la nécessité d'escapades lointaines, je me plonge dans les délices de rêves qui baignent ma mémoire, les yeux fermés, je vois très clairement tout ce qui s'annonce, ce petit théâtre de la séduction, pas si désagréable finalement, et je peux dire que je ne manque pas de talent pour y briller, elle le sait, et c'est mieux ainsi. Seule certitude, l'inconnue sait enchanter le monde, coopérer à la divine création du monde, il faut enchanter le monde m'a-t-elle dit, l'autre soir. Je ne vous cache pas, que ce programme est des plus vivifiants. Je ne suis pas pressé, cet enchantement du monde est aussi celui du temps, des montres, des horloges et des cadrans solaires, enchantement qui me saisit. Je suis dans l'écart du saisissement éblouissant. Je n'ai rien d'autre à faire qu'à attendre dans le silence de l'hiver qui s'annonce. Je suis calme et amusé de mon état. J'ouvre le livre qui ne me quitte pas depuis quelques jours, je lis sous les arbres jaunissants :

" Aller, maintenant tout droit jusqu'au bout, mais où est le but, quel est-il et, une fois atteint, qu'en espérer ? A cette dernière question du moins il peut sans risque de se tromper répondre sombrement par rien. Quant aux autres, que lui importe la réponse, il ne va pas s'arrêter pour si peu.

Où donc trouver la clé qui donnerait raison à l'ensemble comme chacune de ses parties ? Demeure-t-elle invisible parce que sa fonction est non pas d'ouvrir des issues mais de les tenir fermées, l'itinéraire ne pouvant se poursuivre qu'en aveugle et ainsi jusqu'à son terme qui apporte la mort avec lui ? Cependant, s'il faut marcher au hasard sans rien voir devant soi, guidé comme une bête par son seul instinct, autant déclarer forfait en renonçant une fois pour toutes à ce qui ne conduit qu'à faire apparaître de jour en jour plus infranchissables les limites dans lesquelles on étouffe, car c'est justement par ces tentatives renouvelées que se fortifie le doute, à leur échec que se mesure l'impuissance de l'être non moins d'ailleurs que les formidables réserves d'énergie dont il dispose, où il puise sans compter dans l'idée tout illusoire qu'elles finiront par l'emporter. " (2)

Je suis dans cet état que décrit l'écrivain tout en sachant que dans quelques minutes tout peut s'inverser en quelques secondes, ce rendez-vous n'est pas autre chose qu'une traversée du fleuve, je sais ce qu'il y a au bout de la courbe sombre et ombrageuse, je sais ce qui se cache sous les arbres. Je l'aperçois toute en couleur, rouges et jaunes éclatants, palette sensuelle de laines, le miracle a lieu, là au coeur de l'Ile aux Cygnes, l'avantage des miracles c'est qu'ils n'ignorent pas que tout cela est illusion, vive les illusions et passons à autre chose chère inconnue.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Karl Kraus / Aphorismes / Mille et Une Nuits
(2) Louis-René des Forêts / Ostinato / Gallimard / L'Imaginaire

3 commentaires:

  1. "Nul effet provenant de la raison ne peut durer toujours, parce-que les désirs des hommes changent suivant les influences du ciel." Dante, extrait de la divine comédie.
    Quelques fois, les influences du ciel se déguisent en fées. Ces fameuses fées, les vraies, celles-là même :
    "Les fées nous échappent. Elles sont radieuses et on ne peut les saisir, et, ce que l'on ne peut pas avoir, on l'aime éternellement." Jules Renard.
    Lumineuse illusion ! Mais prenez garde :
    "Les fées nous endorment, nous ouvrent les portes de leur royaume qui se refermeront sur nous, sans qu'elles aient pris la précaution de nous en remettre la clé." Jean Tétreau.
    Comment ça vous ne croyez pas aux fées ?
    Chaque fois qu'un enfant dit : "je ne crois pas aux fées, il y a quelque part une petite fée qui se meurt." Sir James Matthew Barrie, extrait de Peter Pan.
    Tout ce qui s'applique aux fées, ne peut que fatalement coller à la peau des peintres, des écrivains, des poètes et des musiciens. Pourquoi ? Mais parce-qu'il y aura toujours des âmes charmées qui les reconnaitront dans la brume ! M.

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  2. Les illusions illuminent,
    Oh lumières incandescentes,
    Elles font exploser la couleur,
    De mille feux voluptueux,

    Approche tes mains ankylosées
    De ce froid annoncé

    Tend ton oreille…

    Douce mélodie offerte :

    Crépitement du bois
    Brillance des flammes
    Chaleur près de ton oreille
    Peau rougie caressée
    Regards émerveillés
    Devant ce feu de cheminée.

    Zoé

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  3. Eblouissements :
    Sa main dessine ce que j'écris
    Ses mots font des miracles
    C'est une déesse
    Il faut simplement savoir lire derrière les lignes

    L'inconnu invisible

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