mercredi 10 décembre 2008
Le Commencement Ignore Toute Hâte.
" Dans son cours Les Concepts fondamentaux, professé en 1941, Heidegger rappelait que la méditation de l'être est remémoration du commencement, de la pensée occidentale. Elle remonte jusqu'à l'initial qui seul a de l'avenir, dira Heidegger, l'actuel étant toujours d'emblée périmée. " Le commencement ignore toute hâte. Et vers quoi se hâterait-il, puisque tout ce qui est initial attend pour commencer de pouvoir reposer sur soi-même ? " C'est pourquoi, poursuit Heidegger, la méditation du commencement est une pensée, qui ne vient jamais trop tard mais tout au plus trop tôt.
Il insiste : l'être demeure ce qui nous est plus proche que toute proximité, et plus lointain que tout éloignement.
Ce n'est qu'en apparence que nous sommes complètement submergés par l'étant dont l'impétueux afflux sature l'Ouvert. Il s'agit de nous aviser de notre séjour essentiel dans l'être. Ce qui signifie nullement se représenter les vagues pensées que suscite le " concept " d'être : concevoir l'être, c'est concevoir le " fond ". Ce qui en vue d'une nouvelle orientation de l'humanité, exige une disponibilité dans le rapport essentiel qu'elle a à être...
Dans le paragraphe 5 du même cours, Heidegger remarque que derrière l'uniformité et la vacuité du mot "est" s'abrite un royaume qu'on ne soupçonne guère. Et il tente de le situer.
Il y a d'abord l'évidence incontestée du " est ", sa vacuité et sa richesse de signification. Si nous disons " cet homme est de Souabe ", cela revient à dire : il en est originaire. Si nous disons : " c'est rouge à bâbord " cela signifie : la couleur rouge vaut comme signal de... On peut continuer indéfiniment. " Dieu est " veut dire en quelque sorte " Dieu existe ", etc.
Mais voici que le chemin bifurque et que se découvre un béance et Heidegger cite un vers de Goethe :
Ueber allen Gipfeln / Ist Ruh
" Sur tous les sommets / Est le repos "
Dans cette phrase que Goethe a écrite sur le montant de bois de la fenêtre d'un pavillon de chasse sur le Kickelhahn, près d'Ilmenau, le " est " ne permet plus comme précédémment de se ranger parmi les exemples que nous venons de nommer. Ici, nous devons renoncer à toute " élucidation " du " est " et nous en sommes réduits à dire encore une fois les mêmes paroles : " Sur tous les sommets / Est le repos. " Ce " est ", dit Heidegger, semble être dit une fois pour toutes. Ce que dit la phrase paraît si simple qu'elle se suffit à elle-même. D'où l'évidence de ce " est " qui repousse toute élucidation et s'entend d'une autre manière que le " est " que l'on utilise sans y prendre garde dans la conversation de tous les jours.
Mais Heidegger remarque que le " est " de Goethe est à mille lieues d'un vide qu'il ne nous serait pas possible de maîtriser. Peut-être ne sommes-nous pas encore à la hauteur de l'appel qui provient de ce " est " pourtant évident. Ce mot cependant nous ouvre un espace aux ressources inépuisables... " (1)
" Est ", est un dévoilement étrange, il conduit à un territoire inexploré et ouvre donc comme l'écrit l'auteur, à un " espace aux ressources inépuisables, reste à le découvrir cet espace qui " est " celui que nous nous refusons de voir, reste à saisir la profonde affirmation de Goethe, immense, le " est " est le verbe, au commencement était le verbe, et du verbe va naître la poésie, et la poésie ne fixe rien, n'affirme rien, mais permet de voir, c'est toute la question, voir sur les sommets le repos.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Lectures de Heidegger IV / Frédéric de Towarnicki / L'Infini n° 105 / Hiver 2008 / Gallimard ( je renvois à cet admirable travail publié par la revue )
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