lundi 1 décembre 2008

Le Regard et les Mots



Il s'invite cet hiver (1), son regard devrait vous interpeller (2)? Non ? Vous n'y lisez rien, vous n'y voyez rien, vous n'entendez rien, étonnant, et pourtant, et pourtant l'écrivain de Malagar n'a jamais été aussi présent, aussi intempestif, aussi passionnant. Question de style, et de regard, dirait un autre écrivain bordelais amateur de vins lumineux et de mots éclatants. Mauriac écrivain, Mauriac journaliste, Mauriac chrétien, Mauriac éclaireur, Mauriac du haut de son nid d'aigle qui observe les courbes veloutées de la Garonne. Il écrit, il ne cesse d'écrire, sur Proust, une belle passion française, Claudel, Bernanos, Molière, de Gaulle, l'Algérie, la France, le fascisme, le stalinisme et tant d'autres choses.

Mauriac journaliste, lisons :

19 mai 1958 ( Aprés la conférence de presse du général de Gaulle ).
" Puisse le général de Gaulle ne pas dire un mot, ne pas faire un geste qui le lierait à des généraux de coup d'Etat. " Ce sont les dernières lignes du dernier Bloc-notes, écrites dans la nuit du 13 au 14.
L'Histoire va vite. Ces propos, aujourd'hui, n'ont plus de sens. " Les généraux de coup d'Etat " n'ont pas été mis hors la loi, voilà le fait. Le gouvernement, bien loin de traiter le général Salan comme un rebelle, a sollicité ses rapports, et a feint de ne pas juger suspectes ses intentions, il lui délègue ses pouvoirs. Ce grand déploiement de défense républicaine qui a abouti au vote de la loi d'urgence nous concerne nous autres, Français de la métropole. Mais il n'a paru urgent à personne, dans les cercles gouvernementaux, du moins à ma connaissance, de définir clairement l'acte de généraux nettement déclarées d'éloigner un parlementaire du pouvoir et d'imposer l'arbitrage d'un chef militaire...
Ici même, plusieurs fois, j'ai crié vers le général de Gaulle. Maintenant qu'il est aux portes, vais-je me dresser contre lui ? Tout ce qui relève en moi du sentiment à son égard, tout ce qui me le rend cher, à jamais, je serais capable de le dominer, non sans effort, certes, mais j'y atteindrais, il me semble. Une autre considération s'impose à moi. Elle a commencé de m'obséder durant la conférence de presse, lorsque le général de Gaulle a dit : " Les Algériens donnent, en ce moment, un spectacle magnifique d'une immense fraternisation, qui offre une base psychologique et morale aux accords et aux arrangements de demain, base infiniment meilleure que les combats et les embuscades. " Cette parole, qu'elle a retenti en moi ! Et je l'écoute encore, et j'en suis possédé...
Ah ! certes, je ne suis pas aveugle : si les grenouilles qui demandent ce roi l'obtiennent, elles ne coasseront pas toujours de joie, je m'en doute. " J'aime mieux les servir à mon gré que, d'accord avec, les gouverner au leur. " C'est un mot de Shakespeare met dans la bouche de Coriolan. Le général de Gaulle, nous en fera exprimer le suc, de ce mot-là ! Je mesure le risque. S'il ne dépendait que de moi, j'accepterais de le courir. " (3) J'invite nos chers commentateurs politiques à lire Mauriac, simplement le lire, s'ils savent encore ce que cela veut dire.

Mauriac écrivain, certains l'ont oublié, la mémoire c'est bien la question :

" J'attendis dans le brouillard, devant la porte de la maison sans étage qu'habitait Marie rue de l'Eglise-Saint-Seurin - le temps qu'elle changeât de robe. Quand elle reparut, c'était elle et c'était une autre, évadée de son métier, de la librairie ténébreuse, et moi, pour la première fois de ma vie, j'avançais, glorieux, pareil à tous les autres garçons, dans ce soir de novembre dont je sentirai toute ma vie l'odeur au-dedans de moi, pressé d'atteindre la place Gambetta et le Cours de l'Intendance - oserai-je l'avouer ? - Oui, pour être vu avec cette jeune femme. Ce qui me fit demander à Marie : " cela ne vous gêne pas d'être vue sur l'Intendance escortée d'un jeune homme ? Mais nous pouvons faire un détour par les petites rues... " Elle rit : " oh ! Moi, vous savez... C'est plutôt vous qui pourriez me trouvez compromettante... " (4)

Qui n'a jamais senti, ce qui se joue dans cette ville admirable, qui n'a jamais traversé la place de la Bourse, pour s'aventurer dans les Chartrons une nuit douce d'un printemps espagnol ne peut saisir l'impact qu'a cette ville sur un corps libre, si les villes libèrent, rendent glorieux et lumineux, c'est bien Bordeaux. J'ai traversé ainsi, cette ville dans les années 70, découvrant au coeur de ces rues, sur ces places, dans cette librairie éblouissante, face à la Garonne, dans les dérives nocturnes, un art étrange d'être dans la joie, il en émanait les parfums sublimes du bonheur, Bordeaux. Je traverse la rue du Chapeau-Rouge, le Grand Théâtre, les Quinconces, j'ai dans la main un petit livre d'un aventurier gracieux :

" A chaque instant on est arrêté à Bordeaux par la vue d'une maison magnifique. Quoi de plus heureux que celle du café Montesquieu, sur les Quinconces ? Je voulais citer une maison de la rue des Fossés située au coin d'une rue transversale, mais les rues ici ne portent point leurs noms. Les échevins, fort économes par ces sortes de dépenses, prétendent que tout le monde connaît les rues.
Tous les premiers étages sont beaux à Bordeaux. La plupart ont douze ou quinze pieds d'élévation et de magnifiques balcons sur la rue de quatre pieds de large. Les corniches vers le haut des maisons manquent de largeur, ce qui ôte la physionomie et produit un effet mesquin. Leurs ornements, de fort mauvais goût et fort travaillés, donnent la petitesse, mais si jamais les yeux bordelais voient ces défauts, ils sont faciles à corriger.
Je vais aux Feuillants, église du collège, dans l'espoir de voir le tombeau de Montaigne. Le prètre qui dessert la chapelle a emporté la clef.
Ce qui frappe le plus le voyageur qui arrive de Paris, c'est la finesse des traits et surtout la beauté des sourcils des femmes de Bordeaux.
A Paris, on trouve trop souvent des traits communs et lourds qui quelquefois expriment des pensées très fines. Ici la finesse est naturelle ; les physionomies ont l'air délicat et fier sans le vouloir. Comme en Italie, les femmes ont, sans le vouloir, ce beau sérieux dont il serait si doux de les faire sortir.
J'ai été saisi par cette idée au sortir des vêpres, vers les trois heures ; je me promenais par hasard sur la belle place du Théâtre qu'on appelle les Allées de Tourny et me suis trouvé justement au débouché de la rue qui conduit à la place du Chapelet au moment où tout le beau monde sortait de l'église à la mode. Beauté idéale, à la Schidone, de la jeune fille qui vend des oranges et des bouquets de violettes au coin de cette rue ; sa coquetterie admirable, c'est-à-dire ressemblant parfaitement au simple mouvement de vanité et d'amitié envers un ruste de sa connaissance qui passant devant elle sans lui parler.
Ce qui augmente l'effet charmant de cette finesse naturelle des traits, c'est que, jusqu'ici du moins, je n'ai pas vu d'affectation. Sans doute il y en a, mais un homme qui sort du plein soleil et entre dans une grotte, la trouve d'abord peu éclairée. " (5) Beauté absolue des femmes de Bordeaux, beauté absolue de la ville qui éclate de sa pierre ravalée, songe de la Garonne, escapade chez quelques riches marchands de vin aux cravates anglaises, défi au temps et à l'amour. Autre géographie amoureuse, celle de Proust. Regardons, écoutons :




à suivre

Philippe Chauché

(1) François Mauriac / Journal / Mémoires Politiques / Robert Laffont
(2) in pileface.com et malagar.asso.fr
(3) François Mauriac / Le Nouveau Bloc-Notes / Flammarion
(4) François Mauriac / un adolescent d'autrefois / Flammarion
(5) Stendhal / Bordeaux / Editions Proverbe

1 commentaire:

  1. Ça tire sur la corde…

    Une triste vérité
    Sous des verres teintés,
    D’incompréhension
    Sauvage et barbare
    Paranoïa annoncée.
    Les cartes sont tirées :
    Poupées vaudou attaquées
    S’est senti piqué au nez
    Humour à la trappe
    Censure prononcée.
    Délinquance prônée,
    Jeunesse enfermée.
    Les murs se dressent,
    Le mutisme s’enracine.
    Voilé par la haine, le mensonge,
    Couverture d’hypocrisie
    Ignorance, Rejet Déni…
    Gros nuages à l’horizon,
    Bruits de marche à l’unisson,
    Aucune opposition,
    Crise exacerbée
    Sentiments contrôlés
    Petit écran acheté.
    Prend le temps de saluer
    Sa Sainteté, Nobel paix,
    Quelques perles de sagesse,
    Lecture pour une jeunesse ?
    Derrière les barreaux,
    Errance des moineaux.
    Zoé

    RépondreSupprimer

Laissez un commentaire