lundi 23 février 2009

L'Eros et le Verbe

Février : l'hiver a saisi dans ses griffes salvatrices et glacées toute cette littérature automnale qui a, comme l'on dit, fait la une de la presse d'avant-garde, spécialisée, populaire et moderne et de la parlotte sociale. Elle ne devrait pas sans remettre, et même si elle s'en remet, il ne faut pas oublier que les romans passent de vie à trépas en quelques jours, nouvelle vérification anecdotique que la rotation du monde, des corps et de l'argent tourne à plein régime. Ne reste finalement que ces livres, qui tout en se montrant, savent s'immiscer dans l'invisible pour mieux fracturer le visible. Cette rotation assassine de la machine du " monde désenchanté " qui calcine tout ce qui vit, et pense, a des ratés par instant, et quelques " écritures libres et déchirantes " en réchappent, il va de soi, qu'elles clignotent à des années lumière du " romanesque " dominant et exténué. Encore faut-il savoir et vouloir les voir.

Yannick Haenel et François Meyronnis(1)n'en sont pas à leur premier coup de dés. (2)
Ils ont même une certaine réputation, quelques admirateurs et tout autant d'accusateurs, rien de plus normal. Leur nouvel opus (3) commun, ne va pas, cela va s'en dire, arranger les choses. D'autant plus qu'ici comme depuis longtemps dans leur revue Ligne de Risque il est question du Sacré, de l'Ecriture, et d'Eros, les trois diamants du Temps.
Écoutons :

" Chacun éprouve le pressentiment d'une catastrophe. Chacun sait, au fond, qu'il est presque impossible de vivre dans un monde qui se fait sauter lui même. Sous nos yeux, l'effroyable surabonde assez pour démolir le mur du mensonge. Mais il est rare qu'un être se dise, ce mur, là, maintenant je vais le percer. En général, on préfère s'encroûter dans le truquage. On s'imagine qu'on a intérêt à consolider la façade, et surtout à ne jamais faire un pas de côté. On se persuade qu'il est plus sûr de traîner la patte avec son semblable plutôt que de marcher en solitaire. " (3)

En marins de la raison inversée nos deux écrivains dans leur introduction écrivent et c'est essentiel :

" Il tient à nous que la souveraineté des Divins soit de retour, plus souveraine qu'elle ne le fut jamais, mais au prix d'une métamorphose. " J'ai ouvert - dit encore Rabbi Nahman - une voie entièrement neuve, sur laquelle nul n'avait encore posé le pied. En fait, c'est une voie très ancienne, mais elle est en même temps complètement nouvelle. "
La mort de Dieu, croyait-on, oblitérait cette "dimension" le sacré. D'où l'efflorescence actuelle du nihilisme, et la soumission aux lois de l'économie et à celles de la bio-politique. Écrivant sa Lettre sur l'humanisme, Heidegger constate sobrement : " Peut-être le trait dominant de cet âge du monde consiste-t-il dans la fermeture de la dimension de l'indemne. Peut-être est-ce là l'unique dam. "
(4)Mais peut-être aussi cet âge du monde donne-t-il accès, par la voie la plus brève, et selon un élan ouvert depuis les abysses, à l'indemne.....L'époque est dure, très dure. Et pourtant la sauvegarde traverse l'abîme, et se déploie comme mutation du sacré. Les Divins incitent ceux qui se détachent, ceux qui dénouent les noeuds.
Délier, le seul geste qui soit digne d'un dieu... Parce qu'il livre passage à l'inattendu, selon le mort d'Euripide. " (3) et pourrais-je ajouter, l'inattendu est cette "écriture libre et déchirante" des deux auteurs des hauteurs.

L'inattendu dans l'Eros, Y. H. et F. M. en dressent le contours et le centre, en rejettent les masques, on ne tourne pas seul dans la nuit pour finir dévoré par les flammes, on circule du centre au contours, et du cercle en son centre, ainsi seulement, dans l'inattendu de cette découverte éblouissante peut apparaître l'Eros à sa juste place. Lisons :

" Y. H. : ... Je pense qu'Eros n'est pas seulement cette divinité qui flamboie dans l'instant de la rencontre érotique ; mais qu'il est l'autre nom du temps.
L'éclair d'Eros est possible à chaque instant : Athéna, dans l'Odyssée, est toujours présente pour Ulysse, par exemple sous la forme d'une hirondelle. De même, Éros est une disponibilité du temps lui-même.
Un acte politique consiste ainsi à se rendre disponible à cette disponibilité. Alors le langage devient une zone érogène. Je propose que nous appelions cet acte une extension du domaine de l'érotisme. " (3)

et plus loin à propos de l'art :

" Y. H. : ... l'art, pour moi, c'est la littérature. Les autres arts sont compris dans la littérature. La littérature donne une oreille à la peinture, et offre des yeux à la musique. La fulgurance poétique, c'est à travers les phrases qu'elle s'accomplit. " (3)

Beau programme, belle délivrance.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Y. H. : Introduction à la mort française / Évoluer parmi les avalanches / Cercle / les trois dans la collection l'Infini des Éditions Gallimard / A mon seul désir / Editions Argol/Réunion des Musées Nationaux - F. M. : L'axe du néant / Ma tête en liberté / De l'extermination considérée comme un des beaux-arts / les trois dans la collection l'Infini des Éditions Gallimard
(2) " Une constellation / froide d'oubli et de désuétude / pas tant / qu'elle n'énumère / sur quelque vacante et supérieure / le heurt successif / sidéralement . d'un compte total en formation / veillant / doutant / roulant / brillant et méditant / avant de s'arrêter / à quelque point dernier qui le sacre / Toute pensée émet un Coup de Dès " / Un coup de dès jamais n'abolira le hasard / Stéphane Mallarmé / La Nouvelle Revue Française / 1914
(3) Y. H. / F. M . / Prélude à la délivrance / L'infini / Gallimard
(4) " Ce châtiment des réprouvés, qui consiste a être éternellement privé de la vue de Dieu. " : Ceux qui ici s'emploient à s'exposer à la vue du divin, le savent.

1 commentaire:

  1. Y. H. : ... l'art, pour moi, c'est la littérature. Les autres arts sont compris dans la littérature. La littérature donne une oreille à la peinture, et offre des yeux à la musique. La fulgurance poétique, c'est à travers les phrases qu'elle s'accomplit. "

    Vision douteuse d'un être, à tendances égocentriques... Quand bien même le plus surréaliste des propos, ces affirmation ont une volonté provocatrice à générer de la prose. Volonté que je fais taire, parce que un peu inutile.

    RépondreSupprimer

Laissez un commentaire