jeudi 5 février 2009

L'Ecrivain du Temps

Il écrit, et nous lisons dans la concentration rare de cette élévation du mouvement de nos lèvres, de l'éblouissement de notre regard qui fixe la page imprimée, nourrie de mille signes, mille phrases, qui réveillent le temps :

" Londres, lundi 6 mai 202
Nice, Paris, Londres, encore une fois... la nouvelle British Library
...

" Impossible d'exprimer le jour mat produit par le ciel immuablement gris, l'éclat impérial des bâtisses (...) Par le groupement des bâtiments en squares, cours et terrasses fermées, on a évincé les clochers. Les parcs représentent la nature primitive travaillée par un art superbe. " (Villes. C'est moi qui souligne ).

Comment tenir compte de ce qui est là et parle dans la parole bien avant que la parole et l'expérience ne puissent même l'exprimer ? Pour Rimbaud, cette percée et cette certitude dans la vision déjà là, s'accompagnent d'un devoir de réserve : " Pensez ce que vous voulez, mais faites attention à ce que vous dites ", écrit-il sur une grammaire que lui a laissé son père. " (1)

Il poursuit, c'est un autre, un autre écrivain du Temps, traversé par toute l'histoire du Monde, et vrillant le Monde de l'Histoire :

" Les Juifs survivants de l'holocauste disaient que les monuments et les musées etc. avaient leur importance mais que le mieux était le témoignage direct et ils allaient dans les écoles raconter de vive voix aux élèves ce qu'ils avaient vécu. Et ils se demandaient comment conserver la mémoire la mémoire de l'holocauste après leur mort et une association suédoise d'anciens déportés juifs a recommandé de transmettre les témoignages à un représentant de la jeune génération qui les apprendrait par coeur et irait dans les écoles raconter de vive voix qu'il avait connu quelqu'un qui avait vécu ceci ou cela. Et avant de mourir lui-même transmettrait son témoignage à un nouveau représentant de la jeune génération et ainsi de suite. Et en 1945 les Juifs firent appel à l'opinion publique internationale pour demander la création d'un état israélien en Palestine où les Juifs pourraient être entre eux sans avoir à craindre un nouvel holocauste. Les Juifs combattaient les Arabes et les Anglais qui occupaient alors la Palestine et organisaient des attentats et des mouvements d'immigration clandestine. Et en 1939 les Anglais avaient édicté des quotas d'immigration qui diminuaient de 75 % le nombre d'immigrants juifs et une loi interdisant aux Juifs d'acheter des terres. Et en juillet 1947 un bateau chargé d'immigrants juifs clandestins venus d'Allemagne accosta en Palestine et les Anglais les renvoyèrent chez eux.... " (2)

Un troisième surgit, même temps semble-t-il, enfin il s'amuse à le croire :

" Ramon, tous auraient le même geste rebelle et ample... Tous commenceraient une vie mutilée exemplaire, et feraient de tes ravages qu'on ne saurait comment les appeler... Mais quel étrange baiser ils donneraient ensuite à leurs victimes éventrées... Lequel surprendrait comme un acte très supérieur aux bienfaiteurs et aux malfaiteurs... Au lieu de les dépouiller ils leur mettraient doucement au ventre la graine d'un arbre fruitier, pour que la vie fasse d'elle-même cette opération césarienne, de tirer des morts comme des parturientes défuntes cette bonne vie restée dans leurs entrailles... " (3)

Poursuivons se dit-il, après tout, rien ne nous interdit de nous glisser dans le livre en accord avec l'Instant, dans cette clarté nette :

" La vérité, toujours intérieure.

Mais, pour tout ce que nous saisissons par l'intelligence, ce n'est pas une voix qui résonne au-dehors en parlant, mais une vérité qui dirige l'esprit de l'intérieur que nous consultons, avertis peut-être par les mots pour le faire. Or celui qui est consulté enseigne le Christ dont il est dit qu'il habite dans l'homme intérieur, c'est-à-dire la Vertu immuable de Dieu et sa Sagesse éternelle que toute âme raisonnable consulte, mais qui ne se manifeste à chacun qu'autant qu'il peut la saisir selon sa propre volonté, mauvaise ou bonne. Et, s'il arrive de se tromper, ce n'est pas la faute à la lumière extérieure si les yeux du corps se trompent souvent, lumière que nous avouons consulter au sujet des choses visibles pour qu'elle nous les montre autant que nous sommes capables de les voir. (4)

C'est étonnant se dit-il, ces écrivains appartiennent au Temps permanent de l'Instant.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Marcelin Pleynet / Rimbaud en son temps / situation / Marcelin Pleynet / L'Infini / Gallimard
(2) Européana / Une brève histoire du XX° siècle / Patrick Ourednik / traduct. Marianne Canavaggio / Éditions Allia
(3) Le livre muet / Ramon Gomez de la Serna / traduct. Jacques Ancet / André Dimanche Éditeur
(4) Les Confessions / Saint Augustin / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard

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