mardi 11 octobre 2011

Repetere



" Je préfère les machines à écrire d'occasion car elles ont de l'expérience et la maîtrise de l'orthographe. " (1)

" Lorsque vous vous essayez sur le bord du lit, vous êtes comme un prisonnier qui réfléchit sur sa condamnation. " (1)

" Les cyprès sont des mâts des navires naufragés qui reverdissent. " (1)



" Perles de verre coloré, ambiguës, qu'on pourrait croire royales, précieuses, authentiques... Colliers de verroterie, de nourrice, d'antiques dames de Elche, encore vivantes... Pendants d'oreilles aux gros brillants qu'un cerne obscur de poussière et de crasse rend prestigieux et fait briller... Bagues à l'éclat malheureux et moribond de pierre opaque, comme en portent les mains noires et brûlées, les mains des momies dans les musées archéologiques, ces mains sèches auxquelles je vois toujours s'unir toute bague mise en vente. " (2)

" Carafes à vin, grandes et petites, comme des servantes, rustiquement posées, avec leur bec... Elles sont des animaux aquatiques, joviaux, capricieux, inoffensifs, stylisés jusqu'à n'être pas lus qu'une âme ingénue et transparente... Toujours sympathiques... et nous rappelant ce si triste collège d'enfants, rempli d'objets sévères, antipathiques au souvenir, où la seule chose plaisante, qui nous semblait un oiseau innocent compatissant à notre immense châtiment d'avoir à étudier, était une carafe que le directeur employait pour verser l'encre... Oh ! le carafon que nous tenons sur la bibliothèque, rempli de vin pour les mauvais moments. Sang de Dieu, sang de notre sang dans un corps d'animal ami de l'homme ! " (2)

" L'habit de torero qu'en traversant ce ravin des défroques, j'aimais voir dans le désoeuvrement de mes regards, disparut un jour ; et cette tache de lumière, qui me consolait de la noirceur, disparut de mes yeux.
J'allais l'oublier, quand je le vis réapparaître plus bas, sur un cintre d'éventaire, privé déjà du soin qui le suspendait sur une chaise à l'heure de repos du matador.
Il paraissait plus déprécié déjà, plus éloigné, relégué dans un cercle de pauvreté plus minable, comme s'il avait perdu de sa renommée à la suite de piètres corridas, d'estocades ratées, plantées comme des banderilles.
A nouveau je le touchai, avec l'admiration de mes cent croix d'honneur de pacotille, désirant vérifier de quoi étaient faites ces rondelles où brillaient, en un curieux mélange, des bleutés dorés.
L'habit de lumières était dans l'attente de fêtes plus humbles dans les terres broussailleuses d'Espagne, dans des bourgs plus reculés, où le chemin de fer n'arrive pas. " (2)

Ramón Gómez de la Serna est un drôle d'oiseau, tenant à la fois de l'hirondelle et de la chouette. Le jour, il glisse entre les ruelles aléatoires du Rastro et les tendidos enfumés de la Monumental, la nuit, il se perche sur la plus haute étagère du Café Pombo, yeux mi-clos, et y fait provision d'invraisemblables historiettes, d'aphorismes électriques, de romans déroutants, et de correspondances improbables.
Ramón Gómez de la Serna collectionne des livres anciens, cartes postales trouvées dans la rue, photos fanés de belles élégantes, lettres d'admiratrices opiomanes, tableaux subtilisés aux aimables bavards de son café, statuettes malicieuses, cerceaux de cirque que traversent les ombres de passantes rieuses et suicidaires, romans inachevés et raturés et capes rapiécées achetées pour quelques pesetas à quelque apoderado ruiné, et transforme tout cela en livres inutiles, malicieux et mélancoliques.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Greguerias / Ramón Gómez de la Serna / traduc. Jean-François Carcelen et Georges Tyras / Cent Pages / 1992
(2) Le Rastro / Ramón Gómez de la Serna / traduc. Roger Lewinter et Monique Tornay / Éditions Gérard Lébovici / 1988

1 commentaire:

  1. L'habit de lumière affronte l'ombre noir.
    Clair obscur sur le sable.
    Vêtement sacerdotal, brodé perle à perle par des femmes anonymes, dont les regards se brûlent à l'éclat des dorures.
    On ne peut l'enfiler sans son valet d'épée, qui tire comme un damné sur la taleguilla, pour mouler le héros dans la toile apprêtée.
    Cette armure qui dévie si souvent les poignards acérés est sacrée.
    Quand elle n'attend pas l'officiant sur la chaise, elle s'endort sous l'étui de lin blanc en rêvant aux triomphes à venir.
    Lumineuse journée à vous
    Maia

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