jeudi 12 janvier 2012

Le Jeune Peintre


" Le vent est vif, les nuages sont hauts, le singe pousse ses cris lamentables ;
Aux bords argentés de l'eau transparente, des oiseaux rasent le sable en tournoyant.
De tous côtés le bruissement des feuilles qui tombent,
Et devant soi les vagues enflées du grand fleuve, qui viennent, qui viennent, sans jamais épuiser.

Ne voir au loin que l'aspect désolé de l'automne, et se sentir étranger partout où l'on va ;
Être usé par les années et les maladies, et monter seul aux lieux élevés.
Les tracas, le chagrin, la souffrance, ont depuis longtemps blanchi ma tête ;
La force aujourd'hui m'abandonne ; il faut ici que je m'arrête ; et pas même une tasse de vin généreux ! "

Prenez un peintre que l'on dit veillissant, il a traversé deux guerres, Paris, Barcelone, deux dictateurs, et un collaborateur veillissant malade de l'art français, contre tout cela, le vieux jeune peintre s'installe dans un Palais qui n'en est toujours pas revenu, la preuve, tous ceux qui s'y sont ensuite exposés y ont été, note-t-il, terrassés, on ne se mesure pas aux Papes sans risques, son jeune peintre aux yeux qui nous regardent comme jamais on ne nous a regardé en est la preuve éclatante, le dépouillement apparent de l'oeuvre en est une autre, plus je me vide, plus je me remplis, disent certains chinois sensualistes ; le vent vif et les cris du monde encerclent le Palais, des âmes sans âme passent sans voir, les mêmes passent devant le jeune peintre sans voir qu'on les regarde ; des années lumières plus tard, on écrit peu et bien ici et là, les tracas, le chagrin, se sont envolés, la force est revenue, un léger tremblement de terre nous vient de Séville, un éclat solaire de Madrid, une Partita de Paris, une messe de Bordeaux, une suite d'Avignon, une main complice offre un verre de vin chaud au jeune peintre de liberté libre ; le monde s'effondre, la beauté se déchire, les corps se fracturent, les mots sont déchirés, les livres tombent en poussière, les regards fondent, les corps tremblent ? Et alors ! Le jeune peintre est toujours là, laissons-nous enchanter ! 

à suivre

Philippe Chauché

(1) Thou-fou / Poésie de l'époque des Thang / traduc. Marquis d'Hervey-Saint-Denys / Edition Ivrea / 2007

2 commentaires:

  1. Ne me demandez pas pourquoi, à lire votre billet, c'est à travers Stefan Zweig qu'est venue l'idée de vous répondre.
    Sans doute l'éclatement du monde qui disparaissant, ne nous laisserait que l'occasion d'un seul cri :"Parlez donc, ô mes souvenirs, vous et non moi, et rendez au moins un reflet de ma vie, avant qu’elle sombre dans les ténèbres".
    Pour faire court: tout fout l'camp!!
    Et je ne me lasse pas de revenir à Zweig : "Nous fourrions notre nez partout avec une avide curiosité. Nous nous glissions aux répétitions de la Philharmonique, nous furetions chez les bouquinistes, nous inspections chaque jour les vitrines des libraires afin de savoir aussitôt ce qui avait paru la veille. Et avant tout, nous lisions, nous lisions tout ce qui nous tombait entre les mains. Nous empruntions des livres dans les bibliothèques publiques, nous nous prêtions mutuellement tout ce que nous dénichions..."
    Nul besoin de monter à Fahrenheit 451,(233 degrés Celsius, température selon Ray Bradbury à laquelle se consume le papier), l'autodafé à "feu lent" est tout aussi implacable.
    Voilà longtemps que nous sommes rentrés en résistance, pas plus tard que ce matin, j'ai acheté un livre, et pire encore: je vais le lire!
    Belle journée à vous.

    RépondreSupprimer
  2. J'ai lu et j'ai écrit, pensais-je en me plongeant dans votre texte Maia, et j'ai toujours un livre d'avance sur la vulgarité dominante, je le glisse sous mon oreiller, et voilà qu'il me parle, la nuit sera courte, et c'est heureux.

    Que la votre soit douce.

    Philippe Chauché

    RépondreSupprimer

Laissez un commentaire