vendredi 6 janvier 2012

Mademoiselle Else


" Il reste du temps jusqu'au dîner. Petite promenade pour réfléchir calmement. Je suis un vieil homme solitaire, haha. L'air est divin, du champagne. Plus frais du tout... trente mile... trente mille... trente mille... Ma silhouette doit joliment se détacher dans ce vaste paysage. Dommage qu'il n'y ait plus personne dehors. Manifestement je plais beaucoup à ce monsieur à l'orée du bois, là-bas. Oh, monsieur, nue, je suis encore plus belle, ça vous coûtera une misère, trente mille gulden, c'est tout. Amenez vos amis, ça reviendra moins cher. J'espère que vous n'avez que des amis mignons, plus mignons et plus jeunes que  monsieur von Dorsday. Connaissez-vous monsieur von Dorsday ? C'est un infâme... un infâme vibrant.... " (1) 


" Que m'arrive t-il ? Suis-je morte ? Suis-je une morte en sursis ? Je rêve ? Où est le Véronal ? Je voudrais boire mon Véronal. Mais je suis incapable de tendre de tendre mon bras. Allez-vous en, Cissy. Pourquoi êtes-vous penchée sur moi ? Allez, allez ? Jamais elle ne saura que je l'ai entendue. Personne ne le saura. Je ne parlerai plus jamais à personne. Je ne me réveillerai jamais plus. " (1)

Les nazis ont détesté ses livres, ils brûleront ses romans et interdiront la représentation de ses pièces de théâtre, parce qu'il était juif, sûrement, note-t-il, mais pas seulement, parce que le suicide est un acteur majeur de ses écrits ; les dictateurs funèbres haïssent profondément les "décadents septiques" comme ils haïssent d'ailleurs les "jouisseurs lucides".
A la question, qu'emporterez-vous dans votre tombe, il a déjà répondu sans hésiter : Mademoiselle Else ! Le roman le plus explosif que j'ai pu lire.
Les romans ont mille fois plus de pouvoir, ajoute-t-il, que les pauvres bombes humaines qui habillent les martyrs ici et là.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Mademoiselle Else / Arthur Schnitzler / traduc. Henri Christophe / Le Livre de Poche / 1993

2 commentaires:

  1. Le soir du 16 juin 1922, à Vienne, un médecin insiste pour raccompagner chez lui, à pied, son invité, un confrère également écrivain.
    La promenade digestive prolonge un repas agréable, émaillé de souvenirs d'expériences vécues à l'hôpital ou durant le service militaire...
    Avant de quitter la demeure bourgeoise, l'hôte fait visiter sa riche bibliothèque, exhibe quelques antiquités et offre même à son nouvel ami un tirage limité de ses dernières conférences. Ces silhouettes qui s'éloignent dans la nuit se rencontraient en fait pour la première fois : Sigmund Freud et d'Arthur Schnitzler.
    Schnitzler avait reçu un peu auparavant une lettre dans laquelle Freud lui avouait avoir évité jusque-là son voisinage, tant il redoutait de rencontrer son « double ».

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  2. Dans sa préface à l'édition de Mademoisele Else, Roland Jaccard - qui en sait beaucoup sur Freud - écrit, citant Schnitzler : " Tant de choses trouvent à la fois place en nous, ( poursuivit-il ), amour et tromperie, fidélité et infidélité, adoration pour une femme et désir d'une autre ou de plusieurs autres. Nous essayons bien de mettre un peu d'ordre en nous, dans la mesure du possible, mais cet ordre reste quelque chose d'artificiel... Le naturel, c'est le chaos. J'ai eu, pour ma part, des rapports très différents avec mes maîtresses : la plupart m'étaient indifférentes ; quelques unes me furent cependant antipathiques ; je n'en a haï qu'une, celle qui fut la grande passion de ma vie. " On comprend l'intérêt que lui porta Freud, l'esprit de Vienne, pourrions-nous dire, Vienne lui d'expérimentation mentale, pourrais-je ajouter. Alors que depuis des mois un mauvais écrivain et très approximatif philosophe insulte le fondateur de la psychanalyse, avec la complicité de quelques analphabètes, l'esprit de notre siècle ferait bien d'écouter ce qui se jouai à Vienne.

    Belle journée Maia.

    Philippe Chauché

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