Les musiciens, quelques musiciens traversent les siècles, note-t-il, et lorsque la rumeur les dit morts, il ne faut bien évidemment pas la croire, il suffit, ajoute-t-il, de les écouter avec la même attention qu'il nous arrive de porter aux écrivains ou aux peintres disparus, il suffit donc de les écouter, de les laisser entendre de quelle manière on les écoute, exercice spirituel s'il en est, sentimental et immensément sérieux, il en va ainsi de Gustav Leonhardt.
" On comprend assez bien ( en voyant les photos où il apparaît ) que cet homme-là ait joué du clavecin. Son élégance le déplace brusquement. Il est un musicien, un musicien hollandais du XX° siécle. Parce qu'il est élégant, comme Mozart était élégant, et Dürer, et Bunuel, et Matisse, et Hiroshige, et Spinoza, et Debussy, et Fragonard, et Charles d'Orléans, et Pouchkine, et La Fontaine, et Nicolas de Staël, et Godard, et Pascal, et Moravia, et Poussin, et Soulages, et Joseph von Sternberg, et Breughel, et Fouquet, et Lampedusa, Leonhardt intègre une sorte de confrérie, d'académie. L'élégance transcende les pays, les époques, les spécialités. L'élégance est une constellation : ses étoiles ont des noms, elles brillent, elles sont les unes à côté des autres et tournent sans fin autour de la terre des hommes. Il importe peu que Corneille ait écrit des pièces de théâtre et Le Nôtre dessiné des jardins. Il importe qu'ils aient été élégants. Gustav Leonardt a joué du clavecin : il aurait pu être architecte, médecin ou professeur. Ce n'eût été qu'un péripétie de l'histoire, un caprice de la nature, " grande en ses desseins cachés ". Il est entré dans le monde de l'élégance par la porte du clavecin, comme Mme de La Fayette par celle de la langue française. Beaucoup de portes, un seul monde. " (1)
L'élégance, grande et belle façon d'être au monde. Gustav Leonhardt avait cette grande élégance de l'être qui se vérifiait lorsqu'il jouait Bach ou Scarlatti, l'élégance des musiciens, les musiciens de l'élégance, nous réconcilient avec la beauté, et donnent à chaque instant de vie, une fragilité d'éternité, pour le vérifier regardez les mains du musiciens, elles ont la force d'une vague et la légèreté d'un baiser.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Sur Leonhardt / Jacques Drillon / L'Infini / Gallimard / 2009
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