" Dans quelle somnolence, avec quelle facilité ai-je écrit cette chose inutile, inachevée. " (1)
" Qui me confirmera qu'il est vrai ou vraisemblable que c'est uniquement par suite de ma vocation littéraire que je m'intéresse à rien et suis par conséquent insensible. " (1)
Les journaux des écrivains me paraissent souvent plus accomplis que leurs romans, non par je ne sais qu'elle réputation d'une vérité cachée, qui là seulement serait dévoilée, mais au contraire par la part cachée et visible de fictions dont ils se vivifient, les journaux, et celui-ci d'évidence ouvre plus de champs et de chants littéraires me semble-t-il que les romans qui l'entourent, mais voilà, que ce petit livre (2) - de grâce que l'on cesse de parler de bouquins - déjà lu et repris, comme l'on reprend une coupe de champagne en belle compagnie, note-t-il, me contredit, le plaisir d'être contredit pas un écrivain de talent, est une chance qu'il convient de ne pas laisser passer - faites-en l'expérience - :
" Kafka actuel : Die Lüge wird zur Weltordnung gemacht, " Le mensonge est érigé en ordre mondial " ( Le Procès ). A cet ordre mondial qu'on nous impose on pourrait répondre définitivement, avec Spinoza : " Nous n'attendons pas de liberté de ceux dont l'esclavage est devenu le principal négoce. "
ll semble que le procès n'existe qu'en fonction de l'attention que lui porte Joseph K. Mais plus on avance, moins il le met en doute. Le procès contamine la vie réelle à travers les personnes qui commencent à considérer Joseph K. d'une manière ironique ou suspicieuse - le vice-directeur, l'amie de la voisine dans les fragments. Au début monde souterrain, parallèle, le procès à la fin se confond avec le monde. L'exécution s'accomplit à l'extérieur, devant témoin ( la personne à la fenêtre que Joseph K. aperçoit avant de mourir ). " (2)
" ( Donc ). Le secret de la continuité dans les grands livres est à chercher dans la continuité de la démarche, entièrement vouée à l'écriture.
C'est aussi la fonction du journal : assurer une certaine continuité dans l'écriture entre les périodes créatrices - maintenir le flux - l'oeuvre n'étant jamais que l'épaississement d'un flux qui ne cesse pas. Véritable souffrance quand celui-ci se tarit par des causes extérieures ou intérieures.
Cette continuité se manifeste également par l'écriture parallèle de plusieurs textes, par exemple, en été 1914, à côté du Procès, Der Dorfschullehrer, In der Strafkolonie, Erinnerungen an die Kaldabahn et aussi un grand nombre d'ébauches de textes à partir d'une image, on voit que les textes achevés n'ont pas commencé autrement. Toutes les oeuvres de Kafka sont des métaphores filées. " (2)
" Le meilleur de ce qu'il a écrit, il le doit à la faculté qu'il s'attribue de pouvoir mourir en paix. La représentation dans ses livres de l'agonie des figures ( les scènes d'après lui les mieux réussies ) est aussi, dit-il, une forme de jeu, qui lui donne une sorte de pouvoir sur le lecteur, supposé ne pas posséder cette faculté. " (2)
Lire et relire, cette " écriture comme un trou, un terrier " (2) ces livres qui sont là, que semble-t-il plus personne ne lit. Mais quels sont les livres qui se lisent de nos jours ? - je vous laisse répondre, pense-t-il, tout en ayant là dessus une petite idée - révoltez-vous et compagnie, alors que par essence l'écrivain révolte la littérature - ils sont là côte à côte avec son journal, l'un écrit avec les autres. L'un ne va pas sans l'autre, alors lisons.
à suivre
Philippe Chauché
" Kafka actuel : Die Lüge wird zur Weltordnung gemacht, " Le mensonge est érigé en ordre mondial " ( Le Procès ). A cet ordre mondial qu'on nous impose on pourrait répondre définitivement, avec Spinoza : " Nous n'attendons pas de liberté de ceux dont l'esclavage est devenu le principal négoce. "
ll semble que le procès n'existe qu'en fonction de l'attention que lui porte Joseph K. Mais plus on avance, moins il le met en doute. Le procès contamine la vie réelle à travers les personnes qui commencent à considérer Joseph K. d'une manière ironique ou suspicieuse - le vice-directeur, l'amie de la voisine dans les fragments. Au début monde souterrain, parallèle, le procès à la fin se confond avec le monde. L'exécution s'accomplit à l'extérieur, devant témoin ( la personne à la fenêtre que Joseph K. aperçoit avant de mourir ). " (2)
" ( Donc ). Le secret de la continuité dans les grands livres est à chercher dans la continuité de la démarche, entièrement vouée à l'écriture.
C'est aussi la fonction du journal : assurer une certaine continuité dans l'écriture entre les périodes créatrices - maintenir le flux - l'oeuvre n'étant jamais que l'épaississement d'un flux qui ne cesse pas. Véritable souffrance quand celui-ci se tarit par des causes extérieures ou intérieures.
Cette continuité se manifeste également par l'écriture parallèle de plusieurs textes, par exemple, en été 1914, à côté du Procès, Der Dorfschullehrer, In der Strafkolonie, Erinnerungen an die Kaldabahn et aussi un grand nombre d'ébauches de textes à partir d'une image, on voit que les textes achevés n'ont pas commencé autrement. Toutes les oeuvres de Kafka sont des métaphores filées. " (2)
" Le meilleur de ce qu'il a écrit, il le doit à la faculté qu'il s'attribue de pouvoir mourir en paix. La représentation dans ses livres de l'agonie des figures ( les scènes d'après lui les mieux réussies ) est aussi, dit-il, une forme de jeu, qui lui donne une sorte de pouvoir sur le lecteur, supposé ne pas posséder cette faculté. " (2)
Lire et relire, cette " écriture comme un trou, un terrier " (2) ces livres qui sont là, que semble-t-il plus personne ne lit. Mais quels sont les livres qui se lisent de nos jours ? - je vous laisse répondre, pense-t-il, tout en ayant là dessus une petite idée - révoltez-vous et compagnie, alors que par essence l'écrivain révolte la littérature - ils sont là côte à côte avec son journal, l'un écrit avec les autres. L'un ne va pas sans l'autre, alors lisons.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Journal / Kafka / traduc. Marthe Robert / Grasset / 1954
(2) Le petit côté / Un hommage à Franz Kafka / Jean-Michel Lou / L'Infini / Gallimard / 2010
"Faire une œuvre littéraire, publiable et publiée, équivaut à se jeter dans la tâche, à élaborer, à construire, à terminer. Le diariste, lui, goûte la perpétuité du temps qui ne commence pas et qui ne se clôt pas, mieux encore, il se laisse aller à une observation de soi vacillante et légère qui a pour cadre un présent sacralisé.".
RépondreSupprimerCe texte est extrait d'un travail très intéressant de Philippe Amen dans la revue littéraire TEMPOREL.
Vous pouvez le lire sur : http://temporel.fr/La-paresse-d-Amiel-par-Philippe
Un site que j'ai découvert dans mes pérégrinations sur le net.
J'espère que vous y trouverez des choses intéressantes.
Belle journée
Tout à fait d'accord avec Maïa, ou du moins le texte de Philippe Amen qu'elle cite sur le sens de l'acte d'écrire pour être publié ou le faire pour soi. Le diariste goûte la perpétuité du temps et la vastitude de la liberté. Il a aussi toutes les autorisations du rêveur solitaire. Il n'est pas en contrainte de suivre son propos et la fantaisie peut être son guide. Si l'assiduité est préférable, il n'y est pas tenu non plus et les règles sont celles qu'il s'applique, rien ne l'obligeant à s'y contraindre. Il est dans l'acte gratuit dont on sait qu'il apporte tant. Un tant qui est aussi indicible et indénombrable. Quelle importance? Un acte pour l'acte. Un luxe. J'allais écrire "uniquement pour le plaisir", mais ce n'est pas obligé. On peut écrire la douleur. L'expression pour l'expression. Le je ou le jeu n'apparaissent qu'au gré du scripteur. Dire que le diariste écrit pour le plasir serait réduire la liberté.
RépondreSupprimerJe crois que c'est écrire pour le cahier. Peut-être même pas pour lui. Juste pour les feuilles. On sait qu'elles ne jugent pas, ne répliquent pas et ne communiquent qu'avec celui qui ira les consulter. Pas comme certaines concierges. Hé hé !
Je vous souhaite Maïa et Monsieur l'Hôte, une année où vous aurez les moyens.
Bien à vous Monsieur Chauché, et conformément à notre vieille tradition qui a au moins... allez, 2 ou 3 semaines, je te claque la bise Maïa! Une année de lait et de miel !
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerPhilippe Chauché a bien de la chance.
RépondreSupprimerIl tient un blog remarquable tant par les auteurs qu'il y invite que par les réflexions qu'ils lui inspirent.
Mais il peut se féliciter également de la qualité de ceux et de celles qui le fréquentent.
À la suite d'un précédent billet où il semblait sous-estimer l'importance « littéraire » de ce qu'il fait, une lectrice lui fait remarquer, avec beaucoup de délicatesse, le rôle et l'importance du diariste, totalement renouvelés par internet. Ce qui est d'une grande justesse.
Une seconde intervenante, avec la même finesse et autant de délicatesse, vient confirmer ce premier avis tout en défendant, avec tact mais efficacité, l'hôte du lieu d'un précédent commentaire, moquant son élégant désabusement un peu bourru.
Pour défendre un peu ce P.J. Toulet qui n'en peut mais, on pourrait dire qu'un blog est certes un journal mais que, en publiant ses opinions et ses impressions sur le monde et ce qu'il lui inspire, et en autorisant et en sélectionnant les réflexions de ses lecteurs, son auteur crée une œuvre tout à fait différente de ce qu'on avait pu lire jusqu'alors.
Et même de ce qu'il aurait pu écrire, sans cet artifice technique.
Par exemple, s'il n'y a évidemment rien à dire pour ou contre les aphorismes plus ou moins désabusés ou douloureux qu'une vie tout entière a inspirés à un homme ou à une femme — comme il n'y a évidemment rien à dire pour ou contre les aphorismes plus ou moins exaltés et heureux qu'il – ou elle – peut écrire à d'autres moments — et si nul n'est tenu ni à la joie, ni à la peine, on peut admettre tout de même cette moquerie, qu'à l'époque des Thang – que citait Philippe Chauché – les anciens du Tch'an pratiquaient entre eux.
En nous renvoyant une image caricaturale de notre exaltation sentimentale ou de notre désabusement plus ou moins élégant, « l'ami de bien » comme le nommaient les Chinois, n'efface pas notre mémoire : en nous fâchant, ou en nous faisant rire de nous-mêmes, il crée du neuf, en nous faisant, d'une façon ou d'une autre, réagir ; et les autres participants avec.
Ici, l'hôte se montre de bonne composition et courtois en acceptant l'ironie littéraire.
Deux dames interviennent avec beaucoup de délicatesse pour le soutenir : la prochaine fois qu'il croise une femme dans la rue, l'hôte réfléchit peut-être à deux fois avant de se signer.
Pour l'épitaphe, il se dit que, tout compte fait, ça peut attendre.
C'est ce qu'on appelle les plaisirs délicats de l'art du blog.
Merci de m'avoir cité.
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