mardi 31 janvier 2012

Artifices


Betty Blythe
" Jouant donc avec les poils raides et piquants de son fameux buisson, laissant un doigt s'égarer à l'occasion un peu plus bas, à l'orée du con, je songeais vaguement, et mes pensées vagabondes s'enfonçaient loin dans le passé. J'avais presque l'impression d'être ce fameux père élu, jouant avec sa fille lascive dans la pénombre hypnotique d'une pièce surchauffée. Tout était faux et profond et réel en même temps. Pour peu que je joue le rôle qu'elle souhaitait - celui de l'amant tendre et compréhensif - la récompense ne faisait pas de doute. Elle me dévorerait d'abandon passionné. Je n'avais qu'à continuer à jouer la comédie : elle écarterait les cuisses avec une ardeur volcanique. " (1)

Tout les artifices l'amusent depuis longtemps, note-t-il, d'où qu'ils viennent et où qu'il aillent, révélateurs du réel qui y trouve matière à rebonds, l'artifice fait parfois rebondir le réel, et l'art du roman est la mise en artifice du réel - mon masque c'est mon visage dit-elle -, c'est d'autant plus éclatant, ajoute-t-il, lorsqu'il met en phrases le mouvement des corps et ce mouvement se dévoile, et d'un geste montre que dans toutes les situations, le réel l'emporte, c'est sa victoire, et il est des victoires qui sont des révélations et des révolutions ; artifices : éclosions où rebondit le réel.

" Dolmancé - Commencez à partir d'un point, Eugénie, c'est que rien n'est affreux en libertinage, parce que tout ce que le libertinage inspire l'est également par la nature ; les actions les plus extraordinaires, les plus bizarres, celles qui paraissent choquer le plus évidemment toutes les lois, toutes les institutions humaines ( car, pour le ciel, je n'en parle pas ), eh bien, Eugénie, celles-là même ne sont point affreuses, et il n'en est pas une d'elles qui ne puisse se démontrer dans la nature ; il est certain que celle dont vous me parlez, belle Eugénie, est la même relativement à laquelle on trouve une fable si singulière dont le plat roman de l'Ecriture sainte, fastidieuse compilation d'un juif ignorant, pendant la captivité de Babylone ; mais il est faux, hors de toute vraisemblance, que ce soit en punition de ces écarts que ces villes, ou plutôt ces bourgades, aient péri par le feu ; placées sur le cratère de quelques anciens volcans, Sodome, Gomorrhe périrent comme ces villes de l'Italie qu'engloutirent les laves du Vésuve ; voilà tout le miracle, et ce fut pourtant de cet évènement tout simple que l'on partit pour inventer barbarement le supplice du feu contre les malheureux humains qui se livraient dans un partie de l'Europe à cette naturelle fantaisie. " (2)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Sexus / Arthur Miller / traduc. Georges Belmont / Buchet/Chastel / 1968
(2) La philosophie dans le boudoir / Marquis de Sade / P.O.L. / 1993

dimanche 29 janvier 2012

Exercices Spirituels


Paul Cézanne 1839-1906

 " - Pour toi, ce jardin, qu'est-ce que c'est ?
- Une sorte de paradis perdu à Naples, le lieu où l'on pense au paradis perdu.
- Et où se trouve l'arbre de la science du bien et du mal ?
- N'importe quel arbre peut être appelé ainsi : cela dépend de ce que chaque femme promet sous son feuillage. " (1)

C'est dans la montée qui conduit au jardin papalis, note-t-il, qu'il pratique ses exercices spirituels, assis sur un banc et sous un olivier, il sommeille d'un oeil et d'une oreille, un livre ouvert posé sur ses cuisses, il laisse les phrases cheminer dans ses artères jusqu'à son coeur, puis remonter à son oreille éveillée ; le ciel est de plus en plus noir comme son oeil qui fixe les petites feuilles vertes ; sa respiration s'est coulée dans la musique de la phrase ; ... cela dépend de ce que chaque femme promet sous son feuillage, il ne se raconte pas d'histoire sous son arbre, mais s'élève dans l'histoire qui irrigue son corps à demi endormi, une mésange posée sur la branche d'un arbre voisin suit de son oeil le mouvement de sa main gauche ; battrait-elle la mesure ? Seul l'oiseau le sait.




" Dès ma première rencontre avec Lucie, une formule espagnole m'est revenue à l'esprit : " los ojos con mucha noche ", les yeux avec beaucoup de nuit. Les " coups de foudre " sont rares, les coups de nuit encore plus. Les tableaux où Lucie apparaîtrait, si j'étais peintre, devraient être envahis par l'intensité de ce noir sans lequel il n'y pas d'alchimie. Noir et halo bleuté. Tout le reste, robes, pantalons, bijoux, répondrait à ce noir, nudité comprise. " (2)


" L'aube tend les bras quand l'étreinte se dénoue. Je sors seule en quête du grand soleil, les hommes que je croise me sourient, je belle des amours de la nuit, bientôt sucrée du café, je marche jusqu'au marché des riches et des pauvres. Je pense : nous voici quelques-uns épris du plaisir d'aimer sans réserve... " (3)

à suivre

Philippe Chauché


(1) La femme d'ambre / Ramón Gómez de la Serna / traduc. Danièle Robert / Le Livre de Poche / Biblio / 1993
(2) L'éclaircie / Philippe Sollers / Gallimard / 2012
(3) Guérlla opératique / Métie Navajo / Sprezzatura / N1 / 2009

samedi 28 janvier 2012

Ma Librairie (31)







" L'activité intense, que ce soit à l'école ou à l'université, à l'église ou au marché, est le symptôme d'un manque d'énergie alors que la faculté d'être oisif est la marque d'un large appétit et d'une conscience aiguë de sa propre identité. " (1)

" Un juge impartial estimera sans doute qu'à l'évidence, la plupart des rôles les plus sages et les plus vertueux du Théâtre de la Vie sont remplis par des amateurs, et passent aux yeux du monde pour des périodes d'oisiveté. " (1)

" Les plaisirs sont source de plus de bienfaits que les devoirs car, comme la faculté de compassion, ils ne sont pas contraints, et représentent donc une double bénédiction. " (1)

à suivre

Philippe Chauché


(1) Une apologie des oisifs / Robert Louis Stevenson /  traduc. Laili Dor / Editions Allia / 2011

vendredi 27 janvier 2012

Florilège 2

photo  Françoise Rhomer

" Mon âme est un orchestre secret : j'ignore quels instruments je pince et lesquels grincent à l'intérieur de moi. Je ne me connais que comme une symphonie. "
Fernando Pessoa - Fragments d'un voyage immobile - traduc. Rémy Hourcade

Et c'est ainsi que vous pensiez me séduire ?
Nullement, je voulais seulement m'y risquer.

" Nous aurons choisi d'être les plus charmants, ayant retrouvé l'or du Temps, et même la mine, le secret de la béatitude amoureuse, de la joie, de l'abandon recouvrés. "
R.C. Vaudey - Manifeste sensualiste

" Le sens du tragique croît et décroît avec la sensualité. "
Friedrich Nietzsche - Par delà bien et mal

Dormir est d'une grande civilité

" Pour se reposer de vivre il faut vivre autrement : rechercher l'abstraction d'une chambre d'hôtel libérée de toute association, même avec soi. "
NathalieClifford Barney - Nouvelles Pensées de l'Amazone -

" Mes critiques sont d'ordre essentiellement architectural. "
Glenn Gould - Non, je ne suis pas un excentrique - traduc. Bruno Monsaingeon

Vous ne voyagez jamais ?
Non, j'ai trop de temps à perdre à rester sur place.

" Face à la mer, je remâchais des hontes anciennes et récentes. Le ridicule de s'occuper de soi quand on a sous les yeux le plus vaste des spectacles, ne m'échappa pas. Aussi ai-je vite changé de sujet. "
E. M. Cioran - Écartèlement

Vous me désarçonnez !

à suivre

Philippe Chauché

mercredi 25 janvier 2012

Florilège



" Mon coeur s'attache à un visage qui semble une rose ;
Au verre de vin ma main s'attache ;
A toutes les fractions de la totalité je participerai
Avant que par la totalité ces fractions soient submergées. "
Omar Khayam - Rubayat - traduc. Armand Robin 

" Le caractère propre d'un homme courageux est de parler peu, et de faire de grandes actions. Le caractère d'un homme de bon sens est de parler peu, et de dire toujours des choses raisonnables. "
Abbé Dinouart - L'Art de se taire

" D'être mécontent de soi-même, c'est faiblesse ; d'en être content, c'est folie. "
Baltasar Gracian - L'Art de la prudence - traduc. Amelot de la Houssaie

" Je ne me trouve pas en dehors de l'ennui. L'ennui, c'est la vérité, c'est l'état pur. "
Jacques Rigaut - Je serai un grand mort

" La plus subtile folie se fait de la plus subtile sagesse. "
La Rochefoucault - Maximes



" Jouer, c'est expérimenter le hasard. "
Novalis - Fragments - traduc. Maurice Maeterlinck

" - Que diable m'emporte, monsieur, il n'y a ici ni géant, ni chevalier, ni tous ces gens que vous dites ; moi, du moins, je ne les vois pas ; ça doit être une histoire d'enchantement, comme les fantômes de la nuit dernière.
- Comment ? Est-il possible, Sancho, que tu n'entendes pas le hennissement des chevaux, la sonnerie des clairons, le roulement des tambours ?
- Moi, monsieur, je n'entends que des moutons qui bêlent. " 
Miguel de Cervantes - L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche - traduc. Aline Schulman

" On a toujours dit qu'au théâtre, j'avais tendance à en faire un peu trop, à rallonger les répliques. En somme, c'était comme si j'avais été écrivain : sans papier ni crayon. "
Les Mémoires de Groucho Marx - traduc. Jacques Le Gal et Pierre Michaut

" Un homme qui a vécu dans l'intrigue un certain temps ne peut plus s'en passer : toute autre vie pour lui est languissante. "
La Bruyère - Les Caractères



à suivre

Philippe Chauché 

lundi 23 janvier 2012

Les Trois Jours de la Rose.



« Un moustique dure une journée, une rose trois jours. Un chat dure treize ans, l’amour trois. C’est comme ça. Il y a d’abord une année de passion, puis une année de tendresse et enfin une année d’ennui. »



Voilà bien un film qui n'aurait pas déplu à Cioran et même qui l'aurait amusé - ceux qui doutent de l'humour redoutable du roumain devraient le lire pour de vrai ( comme disent les enfants ) - à quelques communistes balnéaires, amuseurs désenchantés, amateurs de jeunes femmes et d'aphorismes piquants et pétillants qui portent à leurs lèvres une coupe de champagne face à l'océan, l'oeil amusé par un tsunami qui au large est en train de se former, séducteurs détachés et mordants, écrivains qui n'en pensent pas moins, suicidés maladroits, et causeurs intarissables. Point de chef d'oeuvre comme le disait Vivant Denon et c'est réjouissant. Beigbeder c'est Lubitch à Guéthary.


à suivre

Philippe Chauché

dimanche 22 janvier 2012

Amusements et Aphorismes




 " Ce moraliste se prend pour la conscience le l'humanité.
Il n'en est que le concierge. "
Esnaola - Commérages

" Que bientôt les vers doivent ronger mon corps, c'est une
pensée que je puis supporter ; mais que les professeurs
rongent ma philosophie ! cela me donne le frisson. "
Arthur Shopenhauer - Fragments biographiques

" Mes moments perdus me consolent du temps que l'on
me vole. "
Frédéric Schiffter - Traité du cafard

Il ne compte plus ses ennemis,
laissant ses amis s'en charger, et inversement.

Ses infidélités ne sont que les ébauches de ses fidélités

à suivre

Philippe Chauché

samedi 21 janvier 2012

L'Honnête Homme



" Avec de la vertu, de la capacité, et une bonne conduite, l'on peut être insupportable. Les manières, que l'on néglige comme de petites choses, sont souvent ce qui fait que les hommes décident de vous en bien ou en mal : une légère attention à les avoir douces et polies prévient leurs mauvais jugements. Il ne faut presque rien pour être cru fier, incivil, méprisant, désobligeant : il faut encore moins pour être estimé tout le contraire. " (1)

" Le sage quelque fois évite le monde, de peur d'être ennuyé. " (1)

L'honnête homme se voit souvent, tout autant qu'il le souhaite, mis à l'écart du bruit du monde, en ces temps bruyants, intempestifs et vulgaires, il ne peut que s'en réjouir, et finalement y trouver matière à nourrir son silence, ce qui ne veut pas dire qu'il soit ignorant des affaires du monde, mais la sévère distance qui l'en sépare est pour qui sait voir, la signature de son honnêteté, il voit avec un certain amusement ce qui occupe ses voisins, et préfère s'attacher à ce qui illumine les yeux de quelques éphémères beautés qui parfois se dévoilent.

" Une belle femme qui a les qualités d'un honnête homme est ce qu'il y a au monde d'un commerce plus délicieux : l'on trouve en elle tout le mérite des deux sexes. " (1)



à suivre

Philippe Chauché

(1) La Bruyère / Les Caractères  / édition de Robert Garapon / Garnier / 1962

jeudi 19 janvier 2012

A Chacun son Réveil

" Quelle folie de regretter et de déplorer d'avoir négligé de goûter dans le passé tel bonheur ou telle jouissance ! Qu'en aurait-on maintenant de plus ? La momie desséchée d'un souvenir. "

à suivre

Philippe Chauché

mercredi 18 janvier 2012

mardi 17 janvier 2012

Le Musicien de l'Elégance



Les musiciens, quelques musiciens traversent les siècles, note-t-il, et lorsque la rumeur les dit morts, il ne faut bien évidemment pas la croire, il suffit, ajoute-t-il, de les écouter avec la même attention qu'il nous arrive de porter aux écrivains ou aux peintres disparus, il suffit donc de les écouter, de les laisser entendre de quelle manière on les écoute, exercice spirituel s'il en est, sentimental et immensément sérieux, il en va ainsi de Gustav Leonhardt.




" On comprend assez bien ( en voyant les photos où il apparaît ) que cet homme-là ait joué du clavecin. Son élégance le déplace brusquement. Il est un musicien, un musicien hollandais du XX° siécle. Parce qu'il est élégant, comme Mozart était élégant, et Dürer, et Bunuel, et Matisse, et Hiroshige, et Spinoza, et Debussy, et Fragonard, et Charles d'Orléans, et Pouchkine, et La Fontaine, et Nicolas de Staël, et Godard, et Pascal, et Moravia, et Poussin, et Soulages, et Joseph von Sternberg, et Breughel, et Fouquet, et Lampedusa, Leonhardt intègre une sorte de confrérie, d'académie. L'élégance transcende les pays, les époques, les spécialités. L'élégance est une constellation : ses étoiles ont des noms, elles brillent, elles sont les unes à côté des autres et tournent sans fin autour de la terre des hommes. Il importe peu que Corneille ait écrit des pièces de théâtre et Le Nôtre dessiné des jardins. Il importe qu'ils aient été élégants. Gustav Leonardt a joué du clavecin : il aurait pu être architecte, médecin ou professeur. Ce n'eût été qu'un péripétie de l'histoire, un caprice de la nature, " grande en ses desseins cachés ". Il est entré dans le monde de l'élégance par la porte du clavecin, comme Mme de La Fayette par celle de la langue française. Beaucoup de portes, un seul monde. " (1)

L'élégance, grande et belle façon d'être au monde. Gustav Leonhardt avait cette grande élégance de l'être qui se vérifiait lorsqu'il jouait Bach ou Scarlatti, l'élégance des musiciens, les musiciens de l'élégance, nous réconcilient avec la beauté, et donnent à chaque instant de vie, une fragilité d'éternité, pour le vérifier regardez les mains du musiciens, elles ont la force d'une vague et la légèreté d'un baiser.



à suivre

Philippe Chauché

(1) Sur Leonhardt / Jacques Drillon / L'Infini / Gallimard / 2009



lundi 16 janvier 2012

Stratagème du Jour




Traverser la mer à l’insu du Ciel

« A se garder de tous côtés, la vigilance s’endort ; un spectacle familier n’éveille pas le soupçon. L’occulte est au cœur du manifeste et non dans son contraire. Rien n’est plus caché que le plus apparent. » (1)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Les 36 Stratagèmes / Manuel secret de l'art de la guerre / traduc. Jean Levi / Rivages poche  / 2007 









samedi 14 janvier 2012

La Plume et le Pinceau




L’écrivain Sollers est au centre de la nature depuis longtemps, note-t-il, et pas n’importe qu’elle nature, celle qui l’observe, comme les toiles de quelques peintres nous observent, lorsque l’on veut bien accepter qu’elles nous observent, qu’elles nous traversent, la nature donc, et les arbres : « … étais-je ce ciel où, à travers l’emmêlement des bois, sourdait une lumière ; où sans bruit, familièrement profitant sans doute de quelque inattention (de sa part ou de la mienne), je m’étais perdu. » (1). Le corps actif de l’écrivain s’il s’isole, autrement dit, s’il devient liberté libre, c’est toujours pour porter encore plus d’attention à ce qui l’entoure, à ce qui le regarde, « C’est immédiat : je ne peux pas voir un cèdre, dans un jardin ou débordant d’un mur sur la rue, sans penser qu’une grande bénédiction émane de lui et s’étend sur le monde. » (2), il va ainsi des fleurs de Manet qui embrasent les pages de L’éclaircie comme elles embrasaient le lumineux Fleurs : « Cette beauté dit la vérité, mais laquelle ? Comme la reproduction humaine est en voie de solution technique, les rosaces basculeront de plus en plus depuis les anciens vitraux dans l’in vitro. Les fleurs s’éclipseront-elles pour autant ? Non, mais il est à craindre qu’elles soient de plus en plus conçues comme artificielles. Des feux d’artifices, oui, mais bouche cousue à propos d’une passion millénaire. » (3). Les arbres, les fleurs, les déesses, les mots et les phrases, et dans tous les cas, comme chez Bach, - Sollers écrit des Messes, des Partitas et des Suites, toutes semblables et unique à la fois, pour le comprendre il faut avoir beaucoup écouté Bach - et se fier aux apparences, la vérité absolue du réel, comme chez Clément Rosset, le réel se dévoile, ajoute-t-il, dans L’éclaircie - peut-être son plus beau nom de roman, donner un nom à un roman est un mouvement d’alchimiste - , entre les branches apparaissent, justement comme après la pluie, ces fleurs d’un jour, donc de l’éternité : Anne, Lucie, Manet, Picasso, éclaircies où se glisse L’éclaircie.




L’écrivain Sollers est au coeur de la peinture depuis des siècles, si en tout cas comme moi, note-t-il, vous pensez qu’une seconde dure une heure, un jour quarante mois, et une année soixante ans dix fois plus – le regard porté est une portée du temps, j’ai l’âge d’une partition de Haydn, pense-t-il – : « Je m’en tiens à mon tableau : la porte-fenêtre, le rai déclinant de lumière, le lit, le visage rose et brun de Luz, de biais, sur l’oreiller blanc, sa tête dorée, sa respiration, son oreille gauche, sa légère oreille gauche de visage à fossette à moitié enfoui, son sexe blond, ses seins sous le coton froissé, celui de droite entre les lettres B et E, celui de gauche entre E et Y, Berkeley, son front tiède, son menton au goût d’abricot, ses hanches, ses poignets, ses genoux, ses chevilles. Il faut voir et sentir tout cela à la fois et touche par touche. » (4). Le roman a tous les âges du possible, c’est ce qui fait son charme, il sait que son axe profond est celui de la touche, toucher est toujours jouer, contrairement à ce qui se murmure, et chez l’écrivain Sollers on joue toujours à qui gagne, gagne : « Manet savait tout peindre, et il l’a montré. A Washington, une exposition s’est appelée « Manet and the Sea », et va pour les plages, les bateaux, les barques, les splendides tableaux de Venise, Suzanne habillée a bord de l’eau en train de lire, le port de Boulogne, l’évasion de Rochefort, etc. Pas de baigneuses, jamais, sauf celle qui se situe au fond du Déjeuner sur l’herbe, mais elle est moins nue que Victorine, au premier plan, dont la nudité n’a aucune raison d’être. Les peintres ont fait des baigneuses pour exhiber du nu, Manet fait le contraire. Le nu est devenu de plus en plus difficile à peindre (il y a en a trop sur les plages et des tonnes en publicité). Les baigneuses vieillissent. Là encore, Manet prévient : ses femmes ne vieillissent pas, il ne vieillit pas. La morsure du négatif les protège. » (2) on joue, et c’est une chose très sérieuse - le jeu n’occupe pas les tenant du chichi et du blabla (5) qui s'imposent partout,  cela saute aux yeux, glissez-vous dans une galerie d’art contemporain (de quoi ?) lors d’un vernissage, et écoutez, vous verrez, voyez, vous rirez, et pour conclure lancez – Plus personne ne sait dessiner ? –, on ne cesse de jouer dans les romans de l’écrivain Sollers, jeux de mots et de mains, souvent à deux, comme un peintre avec son modèle adoré, un peintre qui ne cesse de dessiner à la pointe sèche ce qu'il vit et donc ce qu’il écrit, Manet, Picasso, deux peintres décidés à rester libres quoi qu’il advienne des amours, du monde, des critiques et du marché de l’art, eux savent que dans toutes les situations la réponse vient de la peinture, entre les orages, l’éclaircie du roman. Ah ! Si les romans parlaient ! Me dit un jour une fille de l’eau, mais ils parlent et en permanence chère amie, c’est vif, clair, lumineux, parfois chuchoté, chanté, mais jamais hurlé, cela saute aux yeux, où s’insinue dans vos veines, pour certains, c’est divin, et ce divin n’est jamais de tout repos pour celui qui sait écouter : « Un véritable artiste, quoi qu’il fasse, suit le dieu, sinon son œuvre vieillit vite. Je crois au dieu de Bach dans ses variations, ses suites, ses fugues, ses toccatas ; à celui de Haydn dans ses sonates (je vois leurs quatre mains jouer). Je crois au dieu de La Femme en blanc ou du Rêve, au dieu du Bar, à celui de Méry Laurent. « Vous croyez en Dieu ? » demande X ou Y. Question absurde et obscène, à laquelle la meilleure non-réponse est « Bof ». « Vous êtes croyant ? » Oui, quand j’écris, quand j’écoute les Suites françaises, quand je vois Guernica, quand j’entends Cosi fan tutte, quand je regarde vraiment ce cèdre, cette brise côtière, cette rose, ce toit, quand j’attends Lucie rue du Bac, quand je mets la clé dans la serrure, quand l’énorme tranquillité m’avertit qu’elle va être là. » (2).






La grande histoire de la musique, de la peinture et de la littérature c’est celle des corps, des corps des femmes, des modèles, « ne bougez pas, j’écris ! ou alors bougeons ensemble ! puis vous reprendrez la pose », et les modèles méritent attention, toute l’attention de l’écrivain Sollers, à condition de n’avoir qu’une raison, celle de la liberté libre, d’ignorer les aigreurs féministes, les marchandages, les menaces, les mensonges, les calculs, les culpabilités, les accusations, les mauvaises passes, à condition de s’en tenir au mouvement du corps, à son déploiement, au secret partagé, à une certain clandestinité douce et festive : « Je suis fou, et Lucie est folle. Le fou a trouvé sa folle, la folle son fou. On pourrait fonder une radio libre, sur le modèle de Radio-Londres en 1940. « Ici la rue du Bac à Paris. Un Français parle à une Française, une Française parle à un Français. » Et maintenant, voici quelques messages personnels : « Casanova a un bon prix, je répète, Casanova a un bon prix. » « L’Egypte garde ses mystères, je répète, l’Egypte garde ses mystères. » « Les Chinois sont arrivés à Bordeaux, je répète, les Chinois sont arrivés à Bordeaux. » « Céline s’est mis au champagne, je répète Céline s’est mis au champagne. » « Le Balcon de Manet n’est pas à vendre, l’Olympia vous salue bien, n’oubliez pas de déjeuner sur l’herbe. » « Sainte Lucie n’a pas froid aux yeux, je répète, sainte Lucie n’a pas froid aux yeux. » « Le vieux Bach rajeunit tous les jours, je répète, le vieux Bach rajeunit tous les jours. » « Le Temps est réellement retrouvé, je répète, le Temps est réellement retrouvé. » Et ainsi de suite. » (2), l’éclaircie est à ce prix, c’est un cadeau, d’un cadeau l’autre : « Vous avez failli coucher avec votre sœur ? Mais oui, failli. Cette distance est sans mesure, préalable à un acte plus ou moins raté, sur fond de malédiction mystique. Dieu sait qu’on n’est religieux ni l’un ni l’autre, mais le poids des préjugés entassés dans cette dimension est quand même un Himalaya. En réalité, je crois qu’elle l’aurait mieux supporté que moi (6 ans de plus, ça compte). Elle avait confiance en moi, mais pas moi. Jolis yeux, jolies dents, joli sourire, joli nez, joli front, jolies oreilles, jolie bouche, jolie voix. Un ponton, des mâts de bateaux, la nuit, des amants de passage, mais non, retour à nos chambres d’hôtel, bonne nuit chérie. » (2), d’un roman l’autre, d’un peintre l’autre, d’une femme l’autre, lisons et plutôt deux fois qu'une !

à suivre

Philippe Chauché

(1) Une curieuse solitude / Editions du Seuil / 1958
(2) L’éclaircie / Gallimard / 2012
(3) Fleurs / Hermann Littérature / 2006
(4) La fête à Venise / Gallimard / 1991
(5) Sur le blabla et le chichi des philosophes / Frédéric Schiffter / Puf / 2002

jeudi 12 janvier 2012

Le Jeune Peintre


" Le vent est vif, les nuages sont hauts, le singe pousse ses cris lamentables ;
Aux bords argentés de l'eau transparente, des oiseaux rasent le sable en tournoyant.
De tous côtés le bruissement des feuilles qui tombent,
Et devant soi les vagues enflées du grand fleuve, qui viennent, qui viennent, sans jamais épuiser.

Ne voir au loin que l'aspect désolé de l'automne, et se sentir étranger partout où l'on va ;
Être usé par les années et les maladies, et monter seul aux lieux élevés.
Les tracas, le chagrin, la souffrance, ont depuis longtemps blanchi ma tête ;
La force aujourd'hui m'abandonne ; il faut ici que je m'arrête ; et pas même une tasse de vin généreux ! "

Prenez un peintre que l'on dit veillissant, il a traversé deux guerres, Paris, Barcelone, deux dictateurs, et un collaborateur veillissant malade de l'art français, contre tout cela, le vieux jeune peintre s'installe dans un Palais qui n'en est toujours pas revenu, la preuve, tous ceux qui s'y sont ensuite exposés y ont été, note-t-il, terrassés, on ne se mesure pas aux Papes sans risques, son jeune peintre aux yeux qui nous regardent comme jamais on ne nous a regardé en est la preuve éclatante, le dépouillement apparent de l'oeuvre en est une autre, plus je me vide, plus je me remplis, disent certains chinois sensualistes ; le vent vif et les cris du monde encerclent le Palais, des âmes sans âme passent sans voir, les mêmes passent devant le jeune peintre sans voir qu'on les regarde ; des années lumières plus tard, on écrit peu et bien ici et là, les tracas, le chagrin, se sont envolés, la force est revenue, un léger tremblement de terre nous vient de Séville, un éclat solaire de Madrid, une Partita de Paris, une messe de Bordeaux, une suite d'Avignon, une main complice offre un verre de vin chaud au jeune peintre de liberté libre ; le monde s'effondre, la beauté se déchire, les corps se fracturent, les mots sont déchirés, les livres tombent en poussière, les regards fondent, les corps tremblent ? Et alors ! Le jeune peintre est toujours là, laissons-nous enchanter ! 

à suivre

Philippe Chauché

(1) Thou-fou / Poésie de l'époque des Thang / traduc. Marquis d'Hervey-Saint-Denys / Edition Ivrea / 2007

mardi 10 janvier 2012

Seul Kafka


" Dans quelle somnolence, avec quelle facilité ai-je écrit cette chose inutile, inachevée. " (1)

" Qui  me confirmera qu'il est vrai ou vraisemblable que c'est uniquement par suite de ma vocation littéraire que je m'intéresse à rien et suis par conséquent insensible. " (1)

Les journaux des écrivains me paraissent souvent plus accomplis que leurs romans, non par je ne sais qu'elle réputation d'une vérité cachée, qui là seulement serait dévoilée, mais au contraire par la part cachée et visible de fictions dont ils se vivifient, les journaux, et celui-ci d'évidence ouvre plus de champs et de chants littéraires me semble-t-il que les romans qui l'entourent, mais voilà, que ce petit livre (2) - de grâce que l'on cesse de parler de bouquins - déjà lu et repris, comme l'on reprend une coupe de champagne en belle compagnie, note-t-il, me contredit, le plaisir d'être contredit pas un écrivain de talent, est une chance qu'il convient de ne pas laisser passer - faites-en l'expérience - :

" Kafka actuel : Die Lüge wird zur Weltordnung gemacht, " Le mensonge est érigé en ordre mondial " ( Le Procès ). A cet ordre mondial qu'on nous impose on pourrait répondre définitivement, avec Spinoza : " Nous n'attendons pas de liberté de ceux dont l'esclavage est devenu le principal négoce. "
ll semble que le procès n'existe qu'en fonction de l'attention que lui porte Joseph K. Mais plus on avance, moins il le met en doute. Le procès contamine la vie réelle à travers les personnes qui commencent à considérer Joseph K. d'une manière ironique ou suspicieuse - le vice-directeur, l'amie de la voisine dans les fragments. Au début monde souterrain, parallèle, le procès à la fin se confond avec le monde. L'exécution s'accomplit à l'extérieur, devant témoin ( la personne à la fenêtre que Joseph K. aperçoit avant de mourir ). "  (2)

" ( Donc ). Le secret de la continuité dans les grands livres est à chercher dans la continuité de la démarche, entièrement vouée à l'écriture.
C'est aussi la fonction du journal : assurer une certaine continuité dans l'écriture entre les périodes créatrices - maintenir le flux - l'oeuvre n'étant jamais que l'épaississement d'un flux qui ne cesse pas. Véritable souffrance quand celui-ci se tarit par des causes extérieures ou intérieures.
Cette continuité se manifeste également par l'écriture parallèle de plusieurs textes, par exemple, en été 1914, à côté du Procès,  Der Dorfschullehrer, In der Strafkolonie, Erinnerungen an die Kaldabahn et aussi un grand nombre d'ébauches de textes à partir d'une image, on voit que les textes achevés n'ont pas commencé autrement. Toutes les oeuvres de Kafka sont des métaphores filées. " (2)

" Le meilleur de ce qu'il a écrit, il le doit à la faculté qu'il s'attribue de pouvoir mourir en paix. La représentation dans ses livres de l'agonie des figures ( les scènes d'après lui les mieux réussies ) est aussi, dit-il, une forme de jeu,  qui lui donne une sorte de pouvoir sur le lecteur, supposé ne pas posséder cette faculté. " (2)

Lire et relire, cette " écriture comme un trou, un terrier " (2) ces livres qui sont là, que semble-t-il plus personne ne lit. Mais quels sont les livres qui se lisent de nos jours ? - je vous laisse répondre, pense-t-il, tout en ayant là dessus une petite idée - révoltez-vous et compagnie, alors que par essence l'écrivain révolte la littérature - ils sont là côte à côte avec son journal, l'un écrit avec les autres. L'un ne va pas sans l'autre, alors lisons.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Journal / Kafka / traduc. Marthe Robert / Grasset / 1954
(2) Le petit côté / Un hommage à Franz Kafka / Jean-Michel Lou / L'Infini / Gallimard / 2010

samedi 7 janvier 2012

A Tout Prendre


Jacques Rigaut / Man Ray
 " Le jour se lève, ça vous apprendra. " (1)

" J'ai manqué être un gigolo. J'ai manqué être un débauché. Un ami parlait de mon génie ; il est mort. " (1)

" Je suis un personnage moral. " (1)






Chaque matin, sourire comme si la fin du monde s'annonçait.

Certains au réveil ont la bave au lèvres, lui s'employait à aiguiser ses canines.

Lorsqu'il croisait une femme, il se signait.

L'amour peut attendre, disait-il en réservant son cercueil.

C'est en voyant  ses mains sales, qu'il comprit pourquoi on parlait de sa foi du charbonnier.

Jouir est une occupation comme une autre.

Elle avait un mal fou à le comprendre, surtout lorsqu'il se taisait.

A tout prendre, il préférait ne rien laisser.

Seul devoir national, la sieste.

Épitaphe : Il faut toujours se fier aux apparences.



à suivre

Philippe Chauché

(1) Je serai un grand mort / Jacques Rigaut / Distance / 1990



vendredi 6 janvier 2012

Mademoiselle Else


" Il reste du temps jusqu'au dîner. Petite promenade pour réfléchir calmement. Je suis un vieil homme solitaire, haha. L'air est divin, du champagne. Plus frais du tout... trente mile... trente mille... trente mille... Ma silhouette doit joliment se détacher dans ce vaste paysage. Dommage qu'il n'y ait plus personne dehors. Manifestement je plais beaucoup à ce monsieur à l'orée du bois, là-bas. Oh, monsieur, nue, je suis encore plus belle, ça vous coûtera une misère, trente mille gulden, c'est tout. Amenez vos amis, ça reviendra moins cher. J'espère que vous n'avez que des amis mignons, plus mignons et plus jeunes que  monsieur von Dorsday. Connaissez-vous monsieur von Dorsday ? C'est un infâme... un infâme vibrant.... " (1) 


" Que m'arrive t-il ? Suis-je morte ? Suis-je une morte en sursis ? Je rêve ? Où est le Véronal ? Je voudrais boire mon Véronal. Mais je suis incapable de tendre de tendre mon bras. Allez-vous en, Cissy. Pourquoi êtes-vous penchée sur moi ? Allez, allez ? Jamais elle ne saura que je l'ai entendue. Personne ne le saura. Je ne parlerai plus jamais à personne. Je ne me réveillerai jamais plus. " (1)

Les nazis ont détesté ses livres, ils brûleront ses romans et interdiront la représentation de ses pièces de théâtre, parce qu'il était juif, sûrement, note-t-il, mais pas seulement, parce que le suicide est un acteur majeur de ses écrits ; les dictateurs funèbres haïssent profondément les "décadents septiques" comme ils haïssent d'ailleurs les "jouisseurs lucides".
A la question, qu'emporterez-vous dans votre tombe, il a déjà répondu sans hésiter : Mademoiselle Else ! Le roman le plus explosif que j'ai pu lire.
Les romans ont mille fois plus de pouvoir, ajoute-t-il, que les pauvres bombes humaines qui habillent les martyrs ici et là.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Mademoiselle Else / Arthur Schnitzler / traduc. Henri Christophe / Le Livre de Poche / 1993

jeudi 5 janvier 2012

Le Temps Accordé




Lui, il est pianiste, c'est à dire trapéziste, équilibriste, contorsionniste, philosophe, coloriste, inspirateur inspiré, détaché, sombre et lumineux, moqueur moqué, mélodiste alchimiste, collectionneur de chapeaux et de bagues, jamais là où on l'attend, amuseur amusé, dans sa solitude, il compose, dans sa joie, il écrit, dans sa musique, il se retire, l'histoire de la musique, note-t-il, est souvent celle du retrait.


à suivre


Philippe Chauché

mercredi 4 janvier 2012

mardi 3 janvier 2012

Draps de Soie


" Elle aura le regard profond, grave, sombre, fiévreux, et bien sûr un peu triste. Je ne serai pas surpris de sentir son irrésistible attrait. Je me retournerai et nous nous foudroyerons. Jusqu'à ce que nos pas pas nous éloignent à jamais l'un de l'autre.
Ce sera le plus bel amour de ma vie. " (1)

" Pour moi, la beauté est la merveille des merveilles. Il faut être bien superficiel pour refuser de juger d'après les apparences. Le vrai mystère du monde est le visible, pas l'invisible. " (2)

" La plus subtile folie se fait de la plus subtile sagesse. " (3)

" Certaines caresses donnent un sens à mon sexe. " (4)

" J'ai aspiré à devenir un saint - et ne suis devenu qu'un saltimbanque. " (5)

" Ce n'est qu'au milieu de tes semblables que tu as le droit de te sentir seul. " (6)

" Arrivé au milieu de ma vie, force m'est d'admettre que je n'ai pas grand-chose à porter à mon actif : je n'ai tué personne ; aucune femme ne s'est suicidé pour moi ; je ne laisserai aucun chef-d'oeuvre... tout au plus quelques sourires goguenards chez qui m'ont observé de près. Bref, j'aurais aussi bien pu m'abstenir de prendre part à cette gigantesque foire d'empoigne où chacun convoite le lot principal - la gloire - sans perdre de vue pour autant les prix de consolation... " (7)

Pas un jour, note-t-il, sans qu'il ne s'amuse de ce que l'on dit de lui ici ou là, les reproches se multiplient comme les pains, sauf qu'en matière de miracle, il n'a de leçon à recevoir de personne, son miracle quotidien :  mettre son corps au risque du motif, et ses mots dans des draps de soie, une aventure qui les vaut toutes.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Commérages / Esnaola / Distance / 1990
(2) Aphorismes / Oscar Wilde / Mille et une Nuits / 1995
(3) Maximes / François de La Rochefoucauld / Folio classique / 1976
(6) La Transparence impossible / Arthur Schnitzler / traduc. Pierre Deshusses / Rivages poches / 1990
(4) Traité du cafard / Frédéric Schiffter / Finitude / 2007
(5) Cahiers / Cioran / Gallimard / 1997
(7) Musique Maestro / Flirt en hiver / Roland Jaccard / Le livre de poche / 1995

lundi 2 janvier 2012

Coquelicots


" Un jour, j'ai trouvé Monet devant un champ de coquelicots, avec quatre chevalets sur lesquels, tour à tour, il donnait vivement de la brosse à mesure que changeait l'éclairage avec la marche du soleil. (...) On chargeait des brouettes, à l'occasion même un petit véhicule campagnard, d'un amas d'ustensiles, pour l'installation d'une suite d'ateliers en plein air, et les chevalets s'alignaient sur l'herbe pour s'offrir aux combats de Monet et du soleil. C'était une idée bien simple qui n'avait encore tenté aucun des plus grands peintres. Monet peut en revendiquer l'honneur. Sur ces séries de toiles se sont répandues, vivantes, les plus hauts ambitions de l'artiste à la conquête de l'atmosphère lumineuse qui fait l'éblouissement de notre pauvre vie. " (1)
Vision sur le motif, pourrions-nous dire, mouvement du temps qui saisit le peintre et qu'à son tour il saisit, vision nette et précise de Clémenceau dans l'éblouissement des ambitions lumineuses de son ami.



Regardez bien cette photo, Clemenceau et Monet, au milieu des fleurs, rien de plus naturel,
et maintenant imaginez par qui ils peuvent aujourd'hui être remplacés, un homme politique, un peintre, dans la complicité de l'art en mouvement, je n'ose donner des noms, note-t-il, et pourtant, qui des dorures sociales oserait regarder et voir ce qui joue sur la toile, qui passerait des heures dans un jardin face aux nymphéas pour le seul plaisir d'y être, qui oserait affronter la censure sociale pour défendre une oeuvre que la moraline dominante voue aux gémonies ?
Donnez-nous des installations disent-ils, du vrac et du blabla, du chichi morbide, de la fureur furieuse et tout ira pour le mieux, donnez-nous de la révolte dévote et de la dévotion intégriste, du sang et des larmes, alors, peut-être, me trouvez-vous à vos côtés, mais je vous en prie, point de saveurs et de parfums, point de couleurs et d'ondes, point de mouvement du temps sur le bassin éclairant de la toile, point d'immersion dans le motif, rien que de l'art à capuche.




" A l'intérieur, ce n'est qu'une pièce immense avec un plafond vitré et, là, nous nous trouvons placés devant un étrange spectacle artistique : une douzaine de toiles posées à terre, en cercle, les unes à côté des autres, toutes longues d'environ deux mètres et hautes d'un mètre vingt ; un panorama fait d'eau et de nénuphars, de lumière et de ciel. Dans cet infini, l'eau et le ciel n'ont ni commencement ni fin. Nous semblons assister à une des premières heures de la naissance du monde. C'est mystérieux, poétique, délicieusement irréel ; la sensation est étrange : c'est un malaise et un plaisir de se voir entouré d'eau de tous côtés sans en être touché. " (2)
Aujourd'hui, la bourse, N.Y., Londres, Berlin, Venise, trafic permanent, je vends, tu achètes, et de l'autre côté de l'échiquier social, bousculades, longues files d'humanoïdes aux yeux clos et aux tympans crevés, rassurés par leur gazette, j'y étais, je suis sauvé, j'ai mon Monet !

à suivre

Philippe Chauché

(1) G. Clémenceau, Claude Monet. Les Nymphéas / Claude Monet - Georges Clémenceeau : une histoire, deux caractères / Alexandre Duval-Stalla / L'Infini / Gallimard / 2010
(2) René Gimpel, Journal d'un collectionneur, marchand de tableaux / d°

dimanche 1 janvier 2012

Pace E Salute

Frank Kupka 1871-1957
"Que tu es belle et que tu es gracieuse,
amour, dans tes délices !
Voici que ta taille est semblable à un palmier
et te seins à des grappes !
J'ai dit : " Que tes seins soient comme des grappes de la vigne
et l'odeur de ta narine comme celle des pommes,
et ton palais comme le bon vin,
qui coule à bon droit pour le bien-aimé,
et qui glisse sur les lèvres des dormeurs ! " (1)




" Limite tes désirs des choses de ce monde et vis content
Détache-toi des entraves du bien et du mal d'ici-bas,
Prends la coupe et joue avec les boucles de l'aimée, car, bien vite,
Tout passe... et combien de jours nous reste-t-il ? " (2)

Edouard Manet 1832-1883
" ... O l'oméga, rayon violet de Ses Yeux... " (3)


Le Cantique, Omar, Manet, Rimbaud, c'est par là qu'il commence la nouvelle année.
Trouvez mieux !

à suivre

Philippe Chauché

(1) Cantique des Cantiques / Les Cinq Rouleaux / traduc. Edouard Dhorme / La Bible / l'Ancien Testament / II / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard / 1959
(2) Les Quatrains d'Omar Khayyam / traduc. Charles Grolleau / Éditions Gérard Lébovici / 1978
(3) Voyelles / Arthur Rimbaud / Oeuvres complètes / édition Antoine Adam / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard / 1972