dimanche 11 mai 2014

Joselito dans La Cause Littéraire



« Au commencement est le silence. C’est du moins ce qui me frappa lorsque j’assistai à ma première corrida, à l’âge de douze ans, il y a tout juste un demi-siècle. J’entendais bien les clameurs, les applaudissements, les sifflets, et surtout les injonctions criées aux protagonistes depuis les gradins… Mais à toutes ces manifestations, les hommes de lumière opposaient le mutisme le plus opaque.  » François Zumbielhl – Le discours de la corrida – Verdier – 2008

Silence des toreros, mutisme absolu de ces hommes de l’éphémère, ils savent que la parole appartient finalement aux autres, à ceux qui voient – de loin – ce qui se joue de près, se sacralise sur le sable. Les toreros parlent peu, écrivent encore moins. Leur histoire, leur roman, leurs rêves, ils l’écrivent sur le sable à cinq heures du soir, et cela suffit semble-t-on comprendre, ou bien laissez- moi seul avec ce taureau, et pour le reste, nous verrons bien ! Les grands écrits taurins viennent d’ailleurs, d’écrivains, Hemingway que Pampelune salue tous les ans pour l’ouverture de la San Fermin, mais aussi Michel Leiris et sa littérature considérée comme une tauromachie, Jean Cau qui quelques temps avant sa disparition traversait en silence et à pas comptés – tel Curro Romero -  les rues de Nîmes, José Bergamin et sa musique tue (encore le silence !), Camilo José Cela et ses lumineux paradoxes de Toreros de salon : « Plus facile d’affronter vraiment un taureau de l’inquiétant élevage de Miura que d’en simuler le combat. », Joseph Peyré, Montherlant, Francis Wolff et sa philosophie de la corrida, Jacques Durand dont tous les livres sont à verser au bénéfice de l’art, de la matière et du style, Alain Montcouquiol qui a redonné corps au corps déchiré de son frère d’armes et soie, Nimeño II.

Silence de Joselito, visage souvent fermé, concentré sur sa musique intérieure, sur son art secret. Silence de Joselito,  l’une des énigmes des années quatre-vingt dix, trop classique et trop moderne pour l’époque, ne se confiant qu’en avançant la main et en se croisant devant ses taureaux, comme l’on dit sur les gradins. Joselito, le gamin qui a grandi à « l’est de l’Eden de Madrid », passant d’un chapardage, d’un chaos l’autre, affrontant la rue en face, comme il le fera ensuite des taureaux. Puis à dix ans, il franchit la porte de l’école taurine de Madrid, premier pas vers la résurrection, premier pas sur le sable, pour oublier un peu plus tard les combines et les mafieux.


 
« Chacun était ce qu’il était, mais tous venaient chercher une issue à leur vie et à leur passion, parfois pour le pire. Je me souviens de Pablito Nevado, un becerrista de Valencia de Alcántara qu’on appelait Paulita, parce qu’il toréait avec une vraie profondeur artistique. C’était un diamant brut. Mais, avec lui, on a vu à quelle vitesse la grande ville peut transformer un gosse de la campagne, puisque quelques semaines après son arrivée, il portait un Perfecto de cuir, un badge des Ramones, des lunettes noires… Il s’est perdu. »

Silence de l’apprentissage, des chutes et des joies. Il renonce en choisissant. C’est là, à l’école taurine,  qu’il rencontre Enrique Martín Arranz, qui deviendra son mentor, son père adoptif, son apoderado, son homme de confiance pour les affaires taurines. Joselito déroule ainsi sa vie d’avant et d’après la résurrection, d’avant, au centre, et après les taureaux avec la même sincérité qu’il mettait à dérouler ses passes de la main gauche dans les arènes. Sincérité du combat permanent pour dire enfin ce qu’il a dire. Les coups pleuvent, les insultes, les rumeurs, les jalousies, les tromperies, les coups tordus,  le jeune homme de « l’est de l’Eden de Madrid » se livre et s’y livre à livre ouvert, comme s’il s’agissait d’un berceau de cornes.

 

« Le torero doit associer la sensibilité d’un artiste, pour s’exprimer, et le courage d’un guerrier, pour surmonter la douleur et la peur. Il faut pouvoir conjuguer les deux modes du toreo, et ce n’est pas une affaire de matous, mais de tigres.

Comme le dit Antonio Corbacho, l’imprésario qui a révélé José Tomás, la mentalité du torero ressemble beaucoup à celle du samouraï, qui se maintient ferme dans la bataille, même s’il est détruit de l’intérieur. Tu dois penser et sentir qu’il n’y a pas de douleur, jamais, pour aussi grave que soit le coup de corne que tu viens de recevoir. »

 
Silence des succès, de la gloire, Joselito garde ce visage fermé, emprunt d’une lointaine tristesse disent certains, d’un doute rajoutent d’autres, de nostalgie conclue un troisième. Figure d’un penseur triste pourrait-on aussi écrire, mais jamais surlignée, jamais jouée,  de verdad simplement, comme son style. Joselito ne se rêve pas écrivain, comme il a pu se rêver torero. Il a appris à marcher, à compter ses pas pour traverser l’arène, puis ses blessures, ses échecs et ses triomphes, son livre c’est sa vérité, sa vie, et il fallait traverser pas à pas ce mutisme opaque, pour pouvoir l’écrire.

 
« La vérité est une question de centimètre dans le court espace de terrain interdit qui se trouve devant les cornes. Comme disait le grand écrivain taurin Pepe Alameda « un pas en avant et l’homme peut mourir ; un pas en arrière et l’art peut mourir ». Dans le torero, c’est cette ligne qui sépare le sublime du vulgaire. Et je n’ai jamais voulu être un torero vulgaire. »

 
Philippe Chauché

 

dimanche 4 mai 2014

François Rachline dans La Cause Littéraire





« Elevez-vous, Velázquez, je vous soutiendrai toujours. »
 
 

Vitalité du 17° siècle espagnol, vitalité de Velázquez et de ses Ménines, de La Famille. Le tableau prend vie à l’Alcázar, la demeure royale, il illumine aujourd’hui Le Prado, Palais des peintres, et n’aura cessé d’interroger Picasso, 58 toiles peintes en 1957 s’en inspirent directement. Tout espagnol sait que « la vie est un songe », Velázquez n’en a jamais douté et François Rachline en bon romancier ne saurait s’en défaire.  Songez donc à cette improbable rencontre entre le carrosse du peintre et un mendiant, Mendigo. Songez que le peintre va l’inviter à s’installer à ses côtés à

L’Alcázar, un palais où les plus grands peintres dialoguent avec le sévillan, à devenir son modèle, son confident, son allié.  Songez à ce qui se joue là, dans l’entourage de Philippe IV, les hommes de cour qui voient d’un œil noir ce peintre qui intrigue pour porter la croix de Santiago, et ce manant qui désormais le suit comme une ombre.

 

«Velázquez, sans quitter des yeux son ouvrage, se plut à évoquer des souvenirs. Il expliqua où et en quelles circonstances il avait acquis les œuvres rapportées dans la capitale, comment certains grands personnages s’étaient évertués à rendre plus difficile ses démarches – notamment le secrétaire de Francisco d’Este, Gimignano Poggi. Il relata sa rencontre avec le peintre français du nom de Nicolas Poussin, dont il admira la technique, l’invitation de Claude Lorrain à venir en France, sa visite à son ami Ribera, dont la santé l’inquiétait vivement, ses discussions avec le célèbre Bernin, qui tournèrent à l’aigre au sujet de Raphaël, et bien d’autres rendez-vous plus ou moins utiles. De ses échanges naquit l’idée d’un tableau différent de tous les autres, dont la nouveauté ne frapperait peut-être pas aussitôt, mais dont il estimait, lui, qu’il ouvrirait une voie nouvelle. »

 

Vitalité du style de François Rachline, qui croit aux belles manières de l’intrigue, de la description acérée, du dialogue aiguisé, du trait de moraliste, qui a lu et bien lu ses illustres maîtres classiques. Il n’est ainsi pas interdit de penser à Cervantès. Mais ici le maître n’a d’autre chimère que celle d’achever ce tableau inouïe, mais il faut pour cela développer une stratégie d’alliance fine avec le pouvoir royal, Mendigo en sera le témoin actif. Songez un instant que l’on croise dans ce roman, un jésuite inspiré qui connaîtra l’exil pour avoir mis en lumière l’art de gouverner dans la vérité, l’homme du Criticón, observateur de la Roue du Temps, de l’Auberge de la  Vie, et les Caves de la Mort. Songez au temps qu’il faudra pour que ce tableau du théâtre de la cour prenne corps, qu’il dévoile sous les pinceaux et les brosses, le tempo.

 

« Il ne suffit pas de saisir la perspective, la lumière, l’attitude, il faut encore pénétrer dans l’esprit du sujet, savoir ce qu’il dirait en face de toi. »

 

Songez que La Famille ou Les Menines va non seulement bouleverser pour les temps futurs l’art de la peinture, mais aussi plus directement la vie du peintre – il aura sa croix rouge et une éternelle reconnaissance, celle de son mendiant complice qui va perdre la tête, au risque, on ne le saura pas, d’y laisser la vie, et du roi saisi par tant de vérité, ou de songe ainsi mis en lumière ?

 

« Le roi tendit sa main au maître, qui la prit humblement, et ajouta :

- Je vous ai vu concevoir cet enfant, mais, comme chaque fois que Dieu consent à nous octroyer un bienfait, je tombe d’admiration devant le miracle de sa naissance.

Sa Majesté eut alors un geste inattendu. Il envoya de sa main gantée un baiser à son peintre.

- Vous seul m’apportez de la joie. »

 
Philippe Chauché  

 


« Elevez-vous, Velázquez, je vous soutiendrai toujours. »

lundi 21 avril 2014

André Velter dans La Cause Littéraire




« Au sortir du labyrinthe / à jamais / l’arène est un miroir / de feu
une clairière / qui découpe / un cercle de lumière / et le ciel, à vif »

La poésie d’André Velter est une clairière. Un ciel mis à vif par les mots, comme la musique flamenca de Pedro Soler, qui accompagne silencieusement Tant de soleils dans le sang. La poésie libre de l’écrivain résonne dans les ruedos et au centre tellurique de la terre andalouse. Elle saisit comme une saeta, ce chant sacré lancé à la ville et au monde dans une rue de Séville au passage du Cachorro.  André Velter se met au tempo du Temps, inspiré par la musique silencieuse du torero José Tomás, par le duende solaire de Lorca, au cœur des vibrations de la phrase qui s’allonge comme une éternité, qui vibre jusqu’à l’os. Vamos, vamos, vamos, vamos, écrit-il, et le poème s’élance avec la profondeur naturelle d’un mouvement de poignet, de la plume à la muleta, de la cape à la plume sous la lune qui donne aux chants et aux champs tant de vibrations profondes, de chants profonds, cante jondo de l’autre côté des Pyrénées.

« D’un œillet à l’oreille ou la boutonnière / tu ravives le danger, la beauté, / le risque cardinal des hommes / soumis à la lumière andalouse, / à celle qui aveugle aux seuils des torils / autant que sur la neige et dans les blés. »

D’un chant l’autre à la fin de l’ouvrage, sept poèmes-tracts sous la plume légère et inspirée du dessinateur Ernest Pignon-Ernest. Le trait s’envole entre les noirs et les gris, blancs profonds, noirs éclatants, comme un résumé net et précis de ce qui se joue là, corps nus qui se dénouent, mains qui se croisent et pieds ailés du marcheur.
Tant de soleils, tant de phrases sur le qui-vive, tant d’éclats, de saisissements, d’éclairs qui traversent les corps et les pierres, tant de retenues, d’ivresses de mots que l’on porte en médaille sur le cœur, tant de sang, tant d’accords de guitare qui s’offrent là, tant de miracles qui apparaissent à l’aplomb de vie. André Velter a l’art secret de transformer la soie en phrases, la percale de ses mots en musiques, les fleurs du Guadalquivir en ivresses, de donner aux phrases cette saveur rare dont on s’enivre en effleurant l’encre des pages de Tant de soleils dans le sang. Il a des visions, c'est-à-dire qu’il voit et jamais ne se dérobe à ce qui se joue dans l’axe vibrant de sa poésie. Vamosvamosvamos y suerte.

« Guadalquivir / rien qu’à te dire / tu mets un  autre ciel à ma bouche, / une tout autre Amérique / sur la route de nos Indes / soyeuses, galantes, enchantées. "enchantées. »
 
 
 
D’un musicien l’autre, de l’andalou toulousain Pedro Soler, à son fils Gaspar Claus, d’un père au fils, d’une guitare à un violoncelle, sous le regard d’André Velter, triomphe d’une trinité inspirée. Nouvelle étape d’un voyage qui s’aventure Jusqu’au bout de la route. D’une caravane l’autre, de Canaan au Gange, de Kaboul à Lhassa, en passant par Maïmana et Padum, le désert au bord des paupières, rosée des rêves évanouis, mais aussi, la beauté du geste que perpétue l’écriture, ou encore, la poussière amoureuses des lèvres dont l’écho vous enivre. Le poète marche et accorde sa marche à la musique, au rythme qui appareille. Le rythme donne à entendre, mais aussi à voir et  à écrire.

 « L’état d’évasion permanente, voilà / qui est naturel à notre imaginaire, voilà qui crée ce diamant de pure lumière / en forme d’au-delà tonique et solaire / où l’avenir s’évade en même temps que le temps. »

Ecrire ici, c’est partir d’un bon pied, comme l’on part du bon tempo, avec à chaque fois la bonne attaque, le bon accord et le juste mot, et par éclats, son tremblement devient le vibrato du monde. Ecrire ici, jusqu’au bout de la route,  c’est vocaliser le monde qui se déroule sous ses yeux, ses grandeurs et ses terreurs, ses menaces, ses oublis, ses miracles, ses déserts et ses soleils. Passer d’Ouest en Est comme l’on traverse un pont suspendu, écrire pour trouver un bel équilibre, c’est aussi cela la poésie d’André Velter.

 « Je veux d’une trajectoire qui ne connaît que sa force, / sa haute fréquence physique, ses envolées mentales / et l’impulsion de mantras sans mesure / que je crée soudain, scande une fois ou deux, et oublie. »
 
Philippe Chauché

 

lundi 14 avril 2014

Le Mendiant de Velasquez



" Malgré la pénombre ambiante, on distinguait les entrecroisements de marbres fuyant vers une crédence au fond, où s'amoncelaient des pots remplis de pinceaux de toutes tailles au milieu de piles de chiffons. Rangées les unes à côté des autres, quelques toiles de lin, la plupart vierges, attendaient. Deux chevalets se faisaient face, tels des squelettes en conversation. "

Approchez-vous et gardez silence et distance, c'est un génie qui peint, il prend son temps, le temps, le tempo, l'occupe au plus au point, le roi Philippe IV sait ce que cela veut dire, il a lu Baltasar Gracián, il admire son peintre et reste sourd aux malfaisants qui l'entourent à la cour. Le peintre fixe souvent le ciel et la géométrie poétique des étoiles, il s'assied à bonne distance et regarde cette toile qui prend corps et qui va bouleverser l'art, son art, l'histoire de l'art. Picasso ne l'oubliera jamais, en 1957 il lui rend un hommage tellurique et signe 58 tableaux vibrants de l'écho des Ménines. Le hasard d'une curieusement rencontre lui fait adopter Mendigo, mendiant, un peu briguant, il doit poser pour le peintre, alors il pose, il se pose à l'Alcázar, coup de chance et coup de dès.
 
" - Je vous donne mon accord pour accomplir quelque chose d'exceptionnel qui fera taire pour de bon les mauvaises langues. Pour concevoir une œuvre qui vous placera au-dessus de toutes les critiques, sinon des jalousies. Une peinture qui vous ouvrira les portes de la chevalerie, à laquelle vous aspirez, que vous méritez comme aucun autre. Vous porterez un jour sur votre poitrine la croix de Santiago. "
 
Approchez-vous et gardez distance et silence, nous sommes au 17° siècle, autrement dit au siècle du net et du bref, de la lame et de la brosse, du pinceau et du mot. Là un jésuite, une fine lame, ici un peintre, le peintre des peintres, là à nouveau un roi qui sait comme tous les espagnols que la vie est un songe, et puis Mendigo, témoin d'une révolution volcanique. Mendigo qui se glisse dans les Ménines comme entre les velours du Palais royal, Mendigo témoin actif.
 
" - Moi, Diego de Silva y Velázquez, je ne peins pas une scène, je mets en scène. Différence considérable. Faire un portrait, Mendigo, rien de plus élémentaire. Cela exige du doigté bien sûr, sans plus. J'en exécuterai d'autres encore si le roi me l'ordonne, mais je ne vois pas très bien comment m'améliorer. Ma Famille, elle, ne ressemblera vraiment à rien de ce qui existe aujourd'hui. "

Le roman de François Rachline saisit tout cela avec netteté et justesse, avec la politesse d'un invité discret, lui aussi se glisse entre les murs du palais, il voit, il entend, il écrit, il met en scène avec une belle vitalité ces corps et ses âmes dans le mouvement royal du temps et du songe, dans une perspective cavalière.

" Ainsi donc, Diego peignait une scène où il représentait peignant une scène, laquelle restait invisible puisque le dos du chevalet, seul, se révélait au spectateur. Marcela de Ulloa, regard baissé vers la fenêtre, les deux nains Nicolasito et Mari-Barbola comptaient au nombre des figures quasiment terminées, avec don José Nieto, et bien sûr, Santillo. L'infante Marguerite, elle, reconnaissable entre toutes, du haut de ses cinq ans, atteignait déjà la perfection. L'or de ses cheveux et la roser de sa joue droite attestaient que la lumière, venant d'une grande ouverture devinable au premier plan, à droite, la percutait de plein fouet. "

Tout un roman !

Philippe Chauché

 
 

mercredi 2 avril 2014

Marcelin Pleynet dans La Cause Littéraire


 


 

« A Venise la circonférence est partout et le centre nulle part…
Ma vie comme un roman dont la circonférence est partout et le centre nulle part… »

Marcelin Pleynet écrit comme Cézanne peignait, sur le motif. Ici, comme depuis longtemps, c’est Venise. Une île musicale pour une idée de roman musical. Loin, si loin, de toute imagerie bavarde, chichiteuse et larmoyante, loin de l’imaginaire de sa disparition annoncée dans les eaux de la lagune, loin de ses masques et de ses poses, de ses écrivains dépressifs et de ses cinéastes laborieux et poudrés. On est à mille années lumières de Mort à Venise et ses fantômes souffreteux, littéralement au cœur du mouvement de la ville, d’un mouvement poétique et musical, où s’invitent écrivains, musiciens, peintres et architectes. C’est Vie à Venise ou plus harmonieusement Vies à Venise, le pluriel est ici capital. Dans son Dictionnaire amoureux de Venise, Philippe Sollers met en avant l’éloge prononcé pour la consécration du Doge sérénissime de Venise, Luigi Mocenigo, le 23 août 1570, autrement dit aujourd’hui, par Luigi Grotto Cieco d’Hadria : « … qui ne la contemple est indigne de la lumière, qui ne l’admire est indigne de l’esprit, qui ne l’honore est indigne de l’honneur… », on ne saurait mieux dire !

Marcelin Pleynet écrit par aplats, par fines touches musicales, par traits à la main levée sur l’étendue du Temps, comme un calligraphe à l’encre noire de seiche, par suspensions, retraits, saisissements, éclats, un œil sur Monteverdi et Vivaldi, une oreille pour Bellini et le Titien, accompagné des voyelles colorées et musicales de Rimbaud.

« … O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
– O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! »

 « Les voyelles surgissent et se répartissent en consonnes. C’est ainsi qu’apparaissent les couleurs, et les couleurs précipitent, attirent un nouvel épanchement. Les consonnes ne bougeaient pas si les voyelles ne les suivaient ».

Marcelin Pleynet traverse Venise en prenant son temps, et le temps du marcheur est celui de l’écrivain, dans l’immortalité de son savoir et de ses saveurs. Le marcheur solitaire écoute, voit, et entend ce qui se joue dans le visible et l’invisible de Venise. Tout un roman entre ciel et terre, vibrant de la palette des couleurs absorbées et offertes. Cela se joue d’une ruelle à une église, d’un canal à la lumière du ciel. D’un livre l’autre, ceux qu’il lit et ceux qu’il écrit, L’amour vénitien, La fortune, la chance, Comme la poésie la peinture, Le savoir-vivre, ceux qui s’écoutent et se parlent (répons) et les musiques poétiques résonnent dans les églises où se glisse l’écrivain.

« A disposition : l’écart du soleil printanier, la légende, le roman, la meilleure compagnie… Lumière pâle, jaune et bleue, diagonales rasantes vers les Moulini Stucky, et les rives de Giudecca…
Tout est possible si je veux bien accompagner le spectacle qui s’offre à moi – celui-là ou un autre, celui que chacun croit devoir se donner à lui-même ».

Marcelin Pleynet se laisse traverser par Venise, comme Chateaubriand en son Temps – qui peut sur l’instant devenir le nôtre –, et comme un vitrail, nous en renvoie mille éclats, couleurs, toutes les couleurs invitées, les musiques qui s’inventent dans le silence des chapelles, toutes ces musiques qui nous révèlent au monde, l’art romanesque, cette étendue poétique, une manière de vivre et d’écrire ici et maintenant, autrement dit d’être dans la liberté libre.

« Ma vision est divine. Je sens aussi battre dans mes veines la joie de l’immortalité… Sa présence fait taire en moi tout autre bruit. J’ouvre le livre qui s’anime alors et change au point qu’il me semble ne l’avoir jamais lu ».

Philippe Chauché

vendredi 28 mars 2014

Jacqueline Risset dans La Cause Littéraire

 
 
 
« A présent le soleil darde (c’est le mot : dard de guêpe) à travers le feuillage de l’olivier – sa lumière aiguë, qui fait que si je le regarde en me croyant protégée par les feuilles en nuage de l’arbre, je reporte sur cette page une infinité de taches qu’il m’impose, et je vois en face, dans le jardin, les coussins de la balancelle flamber de joie dans l’orange, et le bord de ma jambe briller et se tracer comme un trait vainqueur. Ah vive lui, vive l’astre, et vive la merveille, tant qu’elle existe, tant que nous existons ! »
 
Coïncidence du temps : je vois Jacqueline Risset prenant au vol ces instants, ces éclairs de vie, dans son filet à papillons. Image superposée à celle de Vladimir Nabokov (écrivain des éclairs), même légèreté, même justesse dans le choix des mots, des images, des situations, même sourire à la vie avec par instant un certain tressaillement. Sourire à la vie et à ses songes pour sourire à la littérature, des instants et des éclairs dont elle fait son miel. Les instants, les éclairs, les rêves et les amours de l’auteur pris dans les mailles fines de son écriture, dont le battement d’ailes annonce le printemps.
 
Les instants les éclairs accorde une belle confiance à la sensation, au plus immédiat, aux rêves qui volettent et s’y posent, aux expériences du vide où l’étonnement se transforme en liberté joyeuse, Rimbaud n’est pas loin, Proust attentif, et Dante protecteur.
 
« Tiens – il est six heures, le jour n’est pas encore là. Une cigale chante déjà dans l’arbre le plus proche, le grand olivier appuyé à la maison, une cigale vient de chanter, pendant quelques secondes, ou plutôt murmurer, dans le sommeil, semble-t-il, un commencement de chant – souvenir, trace, continuation de la journée passée, et à la fois annonce faite dans un demi-sommeil, comme se retournant dans son sommeil, de l’activité du jour qui se lève ».
 
Les rêves sont des instants, des éclairs, qui surgissent et qu’il faut prendre à la lettre et au sérieux sans se départir d’en sourire. Instants et éclairs romanesques qui murmurent ces mots et ces phrases au livre en devenir. Livre d’enfance, enfance de la littérature, saisissement du rêve et de l’amour, des rêves et des amours. Rien n’est jamais gagné, rien n’est jamais oublié, on passe du Purgatoire au Paradis, en faisant parfois escale en Enfer. Mais ici, point de plainte, point de gémissements, point de larmes, mais leurs éclairs et leurs instants d’éclats, car Jacqueline Risset vit sous la haute protection de la littérature.
 
« Ce matin, 12 avril, réveil dans une pleine nuit d’hiver encore, à Paris. Pourtant les marronniers sont en fleur, déjà, partout dans les avenues – moment du deuxième printemps – temps merveilleux dans le vert profond des feuilles aux doigts tendus écartés, la hampe délicate, les bougies en fête, blanches aux centres roses, et de temps en temps les têtes entièrement roses d’un marronnier différent, têtu, d’un rose pareil à la couleur rose des fraises écrasées dans la crème – rose comme couleur de délice à manger, ou comme promesse de délice ou d’éros, lorsque les joues tout à coup se colorent ».
 
Retour sur un temps présent : je lis Jacqueline Risset traduisant en musique La Divine Comédie, lisant Pleynet avec attention et Proust avec joie, embrassant la poésie amoureuse de Maurice Scève, et volant comme un papillon de l’italien au français, d’une langue l’autre, langue vivante qui fleurit chaque année et s’élève au premier chant d’une cigale, floraison de couleurs et de notes, comme des petits éléments de physique littéraire, des instants qui sont éclairs, et des éclairs instantanés.
 
Philippe Chauché
 

mercredi 26 mars 2014

Les Chants de Venise



" Je tourne autour de la bibliothèque qui tourne autour de moi. Où m'entraîne ce désir puissant qui compte pour ma plus grande joie ? L'infini, lointain et proche, comme une voix, comme un chant... "
 
Les Chants de Venise, les chants du poète, de l'écrivain attentif, silencieux, marcheur, qui passe d'une calle et d'une église l'autre. Marcelin Pleynet attentif à Venise comme il l'est à Rimbaud et à Cézanne, avec comme programme poétique, vivre et donc d'écrire sur le motif : " Quand la sensation est à sa plénitude, elle s'harmonise avec tout l'être. Le tourbillonnement du monde, au fond d'un cerveau, se résout dans le même mouvement que perçoivent, chacun avec leur lyrisme propre, les yeux, les oreilles, la bouche, le nez... " ( Joachim Gasquet - Cézanne - in Cézanne de Marcelin Pleynet )
Plénitude du peintre, plénitude de l'écrivain, convoquant ses sens au tourbillonnement de Venise, autrement dit aux musiques qui s'y jouent et qui s'y chantent loin du monde, aux toiles qui se dévoilent lorsqu'on lève les yeux, aux livres qui s'ouvrent comme un ciel d'hiver sur la lagune. Les couleurs , toujours les couleurs fidèles compagnes des phrases et des notes dans la glorieuse étendue du roman.
 
" Comme chaque matin je constate qu'une lumière s'allume et dore le pourtour des îles... Il y a singulièrement une musique propre à la ville de Venise... et je l'entends... "
 
" Détroit, soleil debout... les vagues viennent se briser sur les marches de marbre, déjà elles ne sont plus qu'un flot blanc et laiteux qui couvre et découvre le quai. Un instant elles le laissent voir en transparence au moment où, claires et humides, elles émergent et brillent à nouveau... intrigue romanesque du récit. "
 
Les Chants de Venise, chants de vie, qui se lisent de jour comme de nuit sur la belle partition du Temps, à des années lumières de l'imagerie poudrée du carnaval et de ses fantômes. Eloge de la présence musicale : Magnificat, Ave Maris Stella, de l'Instant, du Silence, de la Giudecca, de Mozart, de Da Ponte, de Bellini, d'instants éternels qui se conjuguent au présent composé.
 
" Ma vie n'a pas de fin comme mon champ de vision ne connaît pas de frontière. Ma mort n'est pas un évènement de ma vie. On ne vit pas sa mort. Si l'on entend par éternité non pas la durée mais l'intemporalité, alors il a la vie éternelle celui qui vit dans l'instant. "

à suivre

Philippe Chauché





dimanche 16 mars 2014

Sous la Protection de Dante

 

" Ce soir Messiaen : " Abîme des oiseaux ", troisième mouvement du Quatuor pour la fin temps (clarinette pensive, transparente, agile : abîme du temps, joie des oiseaux) entendu dans le concert de la place au-dessus de la mer - mer soyeuse et silencieuse, bruissements de voix et rires au loin, bruit régulier du train dans les collines, le tout se mêlant sans les troubler aux notes des musiciens éclairés plus bas, sur le parvis. Architecture légère, exacte, dorée, de l'église et de la musique. Et tous les éléments qui composent l'ensemble se détachent maintenant du faste, dessinent le point à partir duquel tout se précise, la vie se redessine. "
 
La vie en musique, en rêves et en amours, vie nourrie de souvenirs qui surgissent, ils sont là ces éclairs d'instants, instants d'éclairs, comme les éclats des écrivains qui l'accompagnent depuis longtemps, Dante boussole essentielle, Proust dans la précision du mouvement du temps, et en marge libre Rimbaud. Les songes comme des phrases romanesques qui s'incrustent dans le récit, magie de la nature prise sur le vif, sur le motif, comme un musicien - Messiaen -, comme un peintre, les arcs vibrants de l'écrivain.
 
" Autre matin : pas de traces de rêve - pas pour l'instant, en tout cas. Du coup impression de réveil pur, non mélangé de songes, non envahi par le désordre des images (comme il arrive par l'effet d'une musique non choisie, imposée par un voisin indélicat). L'instant du réveil aspire a être un moment initial - le premier moment du monde. "
 
Légèreté de l'écriture, précision des mots choisis (on  devrait toujours choisir ses mots) luxe éclatant des images, nature des rêves, saisissement de la nature méditerranéenne. C'est je rêve donc j'écris, je vis donc j'écris, je lis donc j'écris, jamais l'inverse.
 
à suivre
 
Philippe Chauché
 
 
 
 
 
 

vendredi 7 mars 2014

Desports dans La Cause Littéraire

 
 
Dans Le scandale McEnroe (Gallimard), Thomas A. Ravier écrit : « Le cavalier cavale de façon peu cavalière pour la chronologie. Il ne trébuche pas sur l’objectivité du match, son bras le tire par le haut (du temps) ; il ne brûle pas les étapes, il prend de vitesse l’incendie. Les floraisons grasses ne lui semblent pas si poétiques qu’on le dit (on dit tant de choses), il voyage sur le court, traverse le miroir en riant de son reflet, indifférent à tout ce qui n’est pas l’émotion de son mouvement naturel ». Ceux qui ont suivi (de loin) les insertions colériques et romanesques du tennisman punk sur les courts, peuvent lire ce petit livre passé presque inaperçu. Les livres comme certains sportifs ne durent souvent qu’un printemps. Heureusement, un printemps peut parfois en cacher un autre, et une revue le faire fleurir.
Adrien Bosc est un jeune homme pressé, il saute de Blondin à Grozdanovitch, glisse entre Beckett et Sepúlveda, rebondit de Cravan à Jesse Owens, passe de Noah à William Klein avec l’agilité de Magic Johnson, lit beaucoup, et publie Desports, un magazine de sport à lire avec un marque-page.
 
Rencontre :
 
Philippe Chauché Le troisième volume de Desports vient de paraître, sous le parrainage si je puis dire de Vladimir Nabokov, qui évoque ses esquisses de gardien de but à Cambridge, dans le premier numéro c’est un autre écrivain qui vous accompagnait, Antoine Blondin. Comment est née cette aventure ?
 
Adrien Bosc : Après la publication dans la revue Feuilleton (l’autre revue que nous éditons) d’un reportage de Philip Gourevitch sur l’équipe cycliste du Rwanda et d’un portrait de Tyson par Daphné Merkin, nous avons eu l’intuition qu’il manquait une revue de ce type pour accueillir des reportages, articles, portraits, entretiens, différents autour du sport. Le sujet nous semblait à même de ne pas se cantonner au simple fait sportif mais finalement de tendre vers une revue généraliste en abordant tous sujets par le biais du sport. Une belle façon de raconter le monde. C’est ainsi qu’avec Victor Robert nous avons lancé en janvier 2012 le projet, un an plus tard, le numéro 1 était en librairie.
 
Ph. C.Le sport et la littérature intimement associés dans votre politique rédactionnelle ?
 
A. B. : Oui c’est au cœur du projet, le slogan en témoigne « le premier magazine de sport à lire avec un marque-page ». Nous aimons proposer d’autres manières d’écrire sur le sport en travaillant avec des écrivains comme Maylis de Kerangal, Bernard Chambaz, Paul Fournel, Geneviève Brisac, etc. Ils apportent un autre regard, décalé, ils mettent les pieds dans le plat et renouvellent le genre. C’est aussi une vieille tradition dans laquelle nous nous inscrivons et défendue par l’association des écrivains sportifs présidée par Benoit Heimermann. La tradition de Blondin, Mailer, Garcia, etc. Mais nous souhaitons aussi mêler à ces enquêtes de journalistes Samuel Forey au Yémen, Jérôme Cazadieu sur Magic Johnson, Elisa Mignot à Sarajevo ou François-Xavier Destors au Rwanda. Nous souhaitons mêler deux types d’articles, des enquêtes fouillées et des textes d’écrivain.
 
Ph. C. Vous attachez aussi une grande importance à des « héros » du sport, Luz Long et Jesse Owens dans le premier numéro, le basketteur Magic Johnson, le footballeur Gunnar Anderson, ou encore le batteur Ted Williams, seulement des sportifs, ou finalement des artistes qui ont à leur manière écrit leur vie ?
 
A. B. : Vous avez raison, c’est cette idée. Pour nous, il y a un geste artistique dans le sport, et surtout une œuvre pour certains qui se construit sur une carrière. Et puis, nous avons un attrait particulier pour les oubliés, les doux fêlés, Gunnar Andersson, Ted Williams, Ali, etc.
 
Ph. C. Vous invitez également des artistes, des cinéastes, des écrivains, dans le désordre : Luis Sepúlveda, Denis Podalydès et sa passion des taureaux, Paul Auster, Woody Allen ou encore Denis Grozdanovitch, et Bernard Chambaz, sans jamais dans l’illustration sportive mais dans le récit, c’est un souhait qui est né au début ?
 
A. B. : Oui le récit, l’histoire est primordiale. Nous souhaitons que la revue soit accessible à tous les lecteurs, et pas réservée à des aficionados du sport. Quand Allen parle de sport c’est pour raconter son trajet, il dit avoir la main sportive comme certains ont la main verte ; quand Sepúlveda parle de sport et de football c’est finalement pour raconter sa découverte de la poésie. Denis Podalydès mêle une réflexion autour de la peur, du trac, il parle de « faire peur à la peur ». Enfin, Denis Grozdanovitch et Bernard Chambaz sont des écrivains qui depuis longtemps proposent ce jeu de parallèle entre leur œuvre et le sport, que ce soit le tennis pour Denis Grozdanovitch ou le vélo pour Bernard Chambaz. Je vous encourage d’ailleurs à découvrir si ce n’est pas déjà le cas son magnifique Plonger sur le gardien de football Robert Henke.
 
Ph. C. Vous offrez de l’espace aux journalistes et écrivains qui collaborent à la revue, l’espace pour écrire est devenu rare en ces temps ?
 
A. B. : Oui maintenant la place pour le reportage se réduit comme peau de chagrin. L’Equipe propose désormais un long format au centre du journal ou de nouvelles formes comme l’Equipe Explore, mais de manière générale, la tendance est plus au court. Ainsi, ce type de revue est une alternative pour les journalistes qui peuvent approfondir des sujets qu’ils n’ont pu qu’esquisser dans les journaux.
 
Ph. C.Vous proposez des sujets ou on vous en propose ?
 
A. B. : Les deux mon capitaine !
 
Ph. C.Le sport lieu littéraire par excellence ?
 
A. B. : Oui je le crois. C’est un grand théâtre, il y a le pire comme le meilleur. J’aime beaucoup cette phrase de Pasolini « Le sport est un phénomène de civilisation tellement important qu’il ne devrait être ni ignoré ni négligé par la classe dirigeante et les intellectuels ».
 
Ph. C.La littérature théâtre sportif ?
 
A. B. : Je ne crois pas, par contre, en interrogeant les sportifs nous avons voulu les entendre sur des sujets sur lesquels ils ne s’expriment guère. Et nous entendons ainsi une nouvelle voix. Et pour finir cette citation de Ben Hecht : « Essayer de déterminer ce qui se passe dans le monde par la lecture des journaux revient à essayer de donner l’heure en ne regardant que la grande aiguille d’une pendule ».
Desports ouvre mille champs, mille aventures, mille histoires littéraires et sportives, où il convient de prendre son temps pour s’y installer. Il faut y flâner, comme sur les routes du Tour de France, quand la vitesse ne devenait pas la seule manière de s’imposer, ralentir le temps, pour accélérer la pensée et inversement. Se mettre par exemple dans la roue de Bernard Chambaz qui roule en tandem avec Cendrars : « La N 135 est une route longtemps plane ou presque, propice à un bon rythme et une légère euphorie. Les choses changent à Zuribi. Il faut gravir deux cols avant d’arriver à Roncevaux, d’assez jolis cols aux passages pentus, tracés au milieu d’une forêt assez dense de feuillis vert clair, où on croise sur le chemin de St. Jacques la grande armée disparate des pèlerins, leur coquille attachée à leur sac à dos. Roncesvalles justifie un arrêt, pour l’adorable combe bordée par une rangée d’arbres aux moignons sinistres, pour une statue de Roland en résine noire, pour une plaque indiquant que nous sommes à je ne sais plus combien de mètres au-dessus du niveau de la mer à Alicante mais un peu moins haut – de quatre-vingt-sept centimètres – de son niveau de Santander ». Précision de l’écrivain, précision de sa Diagonale du fou, pour plus loin se plonger dans la précision du batteur Ted Williams, d’une précision l’autre, c’est aussi cela Desports.
 
Philippe Chauché
 

mardi 25 février 2014

Cette Peau de Taureau



Vous voulez savoir pourquoi l'Espagne est au centre de l'art taurin ? Ouvrez une carte, dépliez-là, et cette affirmation vous saute aux yeux, c'est une peau de taureau tendue entre Océan et Méditerranée, Piel de Toro ! Cette peau, cette carte, ce territoire de soie, de muscles et de cornes, Christian Dedet l'a vu, traversé, aimé, embrasser, à Madrid, à Séville, avec en tête la tragique amitié, trois fois millénaire, de l'homme espagnol avec le taureau brave dans les années soixante.

" La nuit, impossible de dormir. L'air était chargé d'humidité. On restait des heures, l'œil fiévreux, dans l'odeur capiteuse des jasmins. Il n'y avait plus alors qu'à prendre une nouvelle douche, s'habiller, aller flâner jusqu'à l'aube dans maintenant laiteuse de la Giralda, au Barrio de Santa-Cruz où des adolescents, très tard, faisaient miauler des guitares tristes, et dans ces bistrots de las Sierpes où l'ancien matador Rafael El Gallo venait encore promener sa popularité peu de temps avant sa mort, et où il vivait d'expédients et de cigares d'emprunts. "



" J'ai aimé les courses, à Cadix. Quand on en arrivait à la sixième mise à mort, la brise de l'océan était si forte que toutes les oriflammes claquaient au faîte de la plaza et l'odeur de la poudre à pétards se délayait avec une odeur d'algue. "

" Il existe plusieurs corridas : celle qu'on attend, celle qu'on voit, celle que les autres ont vue. Et l'on désignera toujours du nom d'aficionados un certain nombre d'agités, d'illuminés sympathiques ou dangereux, voire même d'érudits irréconciliables que le mot toro suffit à mettre en transes. "

à suivre

Philippe Chauché

jeudi 20 février 2014

Idier dans La Cause Littéraire

La musique des pierres, Nicolas Idier

« Je marche tous les jours, par tous les temps, même les nuits pluvieuses. Les villes d’Asie ne dorment jamais à poings fermés. Moi non plus, depuis le jour-sans-nom ».

Les beaux livres ne dorment jamais, comme les vagues qui viennent de si loin que l’on se demande souvent si elles ne sont pas éternelles, nées du caprice d’un dieu. L’écrivain regarde les vagues de loin, s’avance, ses pieds se posent sur mille petites pierres roulées, le corps s’élance dans le mouvement permanent de l’eau, les bras, les jambes, la tête, ce n’est pas un nageur, c’est un ange. Les beaux livres offrent au lecteur attentif aux récifs, des nuits blanches et calmes, des nuits dessinées au pinceau avec grande attention, comme les pierres de Liu Dan qui s’élancent dans le mouvement du Temps chinois, le Temps éternel qui est à bien l’embrasser, la plus belle des révolutions. Les beaux livres ne dorment jamais les pages fermées, elles s’ouvrent comme des fleurs du désert, pierres de sables qui glissent entre les doigts, et ne retombent jamais en poussière.

C’est un corps de pierre, tragédie première, qui va faire s’envoler le narrateur vers la Chine. Ce n’est pas une fuite devant la mort de l’aimée, c’est une renaissance, et son ombre vivante va fluidifier chacun de ses gestes, chacune de ses phrases comme dans les toiles de son peintre. Pour réussir ce voyage vers les contrées des Tang et des Song, il convient d’être non seulement l’aimé des dieux, mais aussi de ses anges, accompagné d’un Hôte discret, mécène du Grand Siècle, d’un peintre de la Renaissance chinoise au dictionnaire de pierres, de quelques divinités éclairantes, d’un poète ancien et de ce livre à écrire, ce livre à polir, à faire tourner dans sa main, comme les petites pierres par l’océan mille fois roulées.

« Je ferme les yeux un quart de seconde, et quand je les rouvre, je suis à nouveau chez Liu Dan. Le temps se mélange, se sédimente, se pétrifie. Je me demande un instant si je ne vais pas mourir là, chez lui, à cette table. Le jour-sans-nom m’a fait comprendre que la mort guette, en permanence. Elle est là, je la sens. Cette proximité me procure une joie indéfectible. Je suis un joyeux enthousiaste qui fréquente le néant, et quand mon cœur se serre, lorsque ma vision rétrécit, je me rappelle la profondeur infinie de ces gouffres où nous serons précipités ».

Les beaux livres ont de la mémoire, comme les pierres, ils en savent beaucoup sur l’histoire des hommes, de leurs frayeurs et de leurs passions. Ils ressemblent à ces vagues du large, ces masses noires et lourdes qui viennent de nulle part, de l’autre versant de la planète, d’îles disparues, de ports engloutis sous des roulis incessants. Du silence du large, de la mémoire des pierres qui parfois reflètent les quelques éclats de soleil qui se glissent jusqu’à elles et qu’elles renvoient vers la surface en éclats cristallins. La vague ici vient de très loin, c’est un peintre Chinois, un dessinateur de la Renaissance au savoir immense, au style unique, que le narrateur va voir, écouter, découvrir, admirer en même temps qu’il se découvre écrivain. Se découvrir écrivain : le narrateur est à chaque ligne visité par la Chine, la musique des pierres, éclats, résonances, silences, accompagné par des écrivains du magma, des peintres à la présence éclairante. Écrire demande cette même attention, cette même précision, ce style, ce travail sur le motif que magnifie Nicolas Idier dans le silence des nuits marines. La musique des pierres, est une vague musicale qui vous accompagnera longtemps, le stylo s’est fait pierre, et c’est avec cette pierre que tu écriras.

« J’ai apporté à Pékin mon nécessaire de travail : les œuvres choisies de Buffon (Histoire naturelle des minéraux), mes carnets de notes, mes stylos. Dans un ordre prédéterminé, disposés devant moi. A travers la fenêtre, la vue est divine, et je remercie le Ciel de m’avoir souvent donné des fenêtres sublimes, jusqu’à cette vue sur l’Hudson de notre dernière résidence new-yorkaise, avec Livia ».

Philippe Chauché

dimanche 16 février 2014

L'Atelier Chinois


 
" Derrière les baies vitrées de son appartement, la ville est un saupoudrage de grains de lumière rouges, jaunes ou vertes, surplombée d'un grand ciel rosâtre. Liu Dan rentre de son atelier, où il a passé des heures à tracer des esquisses à la mine de charbon. La fatigue l'a envahi, et il prend soin de ses yeux. Il sait ce qu'il doit à son excellente vue, capable de percevoir le plus petit détail dans une œuvre peinte, une calligraphie, une pierre. Avant d'aller dormir, il met un disque de Bach. La musique entre dans le silence, tandis qu'il s'assoit devant une tasse de thé vert, en porcelaine noire du Japon, légèrement bosselée. Il fume la dernière cigarette de la nuit, et observe la fumée monter légèrement au plafond. Dehors, les lumières s'éteignent, remplacées par l'embrasement du ciel, de ce soleil levant qui frappe les façades en miroir des gratte-ciel de la ville. Les avenues se chargent d'automobiles, de plus en plus nombreuses, d'une circulation de plus en plus lente. Liu Dan ferme les yeux un instant. Il n'a jamais vraiment décidé s'il aimait ou non ce moment de la journée. "


La lumière s'infiltre sans excès dans mon atelier et pour la troisième ou quatrième fois, j'ouvre le livre de Nicolas Idier, découvert par le plus beau des hasards. C'est ainsi qu'il débute : " La petite pierre ocre, au grain épais et doux, roule entre mes doigts. " Les petites pierres qui roulent amassent mille vies, il suffit de savoir les tenir, les embrasser du bout des phalanges, les regarder et les écouter. Les pierres irradient l'admirable roman de Nicolas Idier, ces pierres qui habitent chaque pensée du narrateur, chaque acte, chaque mouvement dans l'espace et le Temps. Le passage de New York à Pékin a lieu après le jour-sans-nom, lorsque le corps de son amour s'est transformé en pierre, mais sa musique ne va cesser de l'accompagner, d'une pierre et d'un continent l'autre.

 
" Matinée radieuse. Le soleil entre par les vitres de la véranda. La fontaine, où nagent trois poissons dorés, me rafraîchit de son bruit d'eau. Je suis entouré de peintures, de rouleaux de calligraphies entreposées dans des céramiques noires, blanches ou rouges. Un chat noir passe entre deux statues du Cambodge posées directement sur les dalles de la cour. Je n'entends presque rien, que les bruits discrets de mon Hôte. Connaisseur profond du taoïsme, dont il collectionne les objets avec assiduité, il sait en effet que, pour éviter l'usure, il vaut mieux rester dans " la vallée profonde ".

Le mouvement du roman est aussi celui du peintre Liu Dan, un artiste moderne et très ancien, en dialogue permanent avec les mots, la phrase, la pensée chinoise, celle qui murmure à l'oreille du narrateur, qui embrase son œil, pensée du mouvement interne, pensée des pierres qui nourrissent l'art de l'artiste. Ecrire ligne à ligne et pierre à pierre cette musique du roman qui passe par une lente immersion dans les toiles et les mots du peintre, voyage intérieur en pays Tang et Song, dans l'art silencieux et fragile des peintres des arbres, des cascades et des fleurs, dans une autre révolution en marche. Ici le livre de la couleur du mouvement des pierres ridiculise à jamais un petit livre rouge qui tétanisait toute pensée libre. Le mouvement des pierres du roman est aussi celui de la présence de l'aimée disparue, accordée à ce qui s'y joue musicalement, mémoire vive qui permet aux disparus de se sentir chez eux.
C'est Bach à Pékin, d'un archet au pinceau, d'une plume à un stylo, avec la même certitude, la même légèreté, le même style, le silence absolu, un regard posé, un travail incessant, et une joie quotidienne. Idier est un missionnaire de l'art en terre d'art total, comme en son temps Matteo Ricci, l'art de dessiner les cartes d'un nouveau monde qui  s'inventent là sous nos yeux.

"  A nouveau seul. Heureusement, Hong Ye est là. J'entends ses pas feutrés dans la maison, où aucun autre bruit ne filtre, si ce n'est quelques rumeurs de la rue. Même les chiens, dans la cour, restent silencieux. Seul le grand rocher du Taihu est en mouvement. Il danse de toute sa force, avec la lenteur rentrée de Kasuo Ohno. Le pinceau, dans l'art chinois, a cette même qualité : à la fois très rapide et très lent, sans même s'en rendre compte, à moins qu'il ne soit successivement très rapide et très lent, et c'est sans doute cela, cette alternance de vitesses, tantôt successives, tantôt superposées l'une à l'autre, qui donne au trait de calligraphie sa beauté de temps suspendu, suspendu comme le poignet du calligraphe et du peintre au dessus de la feuille. Le pinceau et la pierre partagent le secret du véritable mouvement, celui qui n'est pas apparent. "

La musique des pierres : vitesse et excessive lenteur, alternance de vitesses, des mouvements, porté par la suspension du style - les plus grands stylistes de l'art romanesque ne se montrent pas, ils s'écoutent, comme Proust très vivant dans le livre - la phrase agit de l'intérieur et à l'intérieur d'elle même, le narrateur la porte et se laisse par instant traverser par elle, comme une musique,  embrasser et embraser.

" Dans la vie comme en art, il faut savoir se laisser conduire par le rythme. "

Philippe Chauché

à suivre

 
 

 






dimanche 9 février 2014

Un Certain Regard

 
 
 

Le 7 juillet 1961, Roger Grenier est à Pampelune, San Fermin est en deuil. Cinq jours plutôt Ernest Hemingway s'est suicidé, quelques jours avant il avait annulé sa réservation de la chambre 217 de l'hôtel La Perla. Toute la ville le sait, les toreros et les taureaux en parlent. Papa aura son buste, et tous les 7 juillet on noue à son cou de bronze le foulard rouge des navarrais, mais de 7 juillet 1961 son ombre de géant ne quitte pas celle d'un écrivain français régent du Collège de Pataphysique.
 
" Dans la chapelle San Fermin à l'église de San Lorenzo, j'ai vu Antonio Ordóñez, le très célèbre matador, seul en prière. Il a commandé une messe à la mémoire de son ami Ernesto et il est arrivé le premier. Ordóñez prie seul, longtemps. Puis les amis, un à un, se présentent à ce rendez-vous mélancolique. La feria de Pampelune, pour Hemingway, cette année, ce sont ces chants, ces orgues, les répons des diacres, et ce dies irae...
Soudain, sur la place del Castillo, noire de monde, dans le tourbillon des bandes et des fanfares qui parcourent la ville en dansant, sans répit, sept jours et sept nuits, j'ai reçu un choc. Hemingway se trouvait devant moi.
Il trônait à la terrasse de l'Iruña, son café favori. La barbe blanche en éventail, entouré d'amis respectueux, il buvait du vin rouge, lui, le Vieux, Papa comme on l'appelait. Et je sortais de la messe !
Je ne crois pas aux fantômes. Et, bien que Pampelune fonctionne au vin rouge, pendant tout le temps de la feria, je n'avais pas l'impression d'être sujet à une hallucination.
Je me suis respectueusement approché :
" Señor, monsieur, sir, en quelle langue faut-il vous parler ?
- Americano y castillano.  "
J'ai donc continué, dans la langue de Gary Cooper.
- Vous êtes américain ?
- Plus ou moins.
- Et vous vivez en Espagne ?
- Plus ou moins.
- Pour quoi faire ?
- Voir les taureaux.
- Ne seriez-vous pas écrivain ?
- Plus ou moins.
- Enfin, c'est fou, on ne vous a jamais pris pour...
- Plus ou moins.
- Puis-je vous demander comment vous vous appelez ? "
Hemingway n'attendait que ça. Il ouvrit son portefeuille et me tendit sa photo, imprimée sur une carte de visite. Au dos, il y avait son vrai nom : " Kenneth H. Vanderford " ( remarquez le H. ). Et, en anglais et en espagnol, un aphorisme:
" Chacun, en cette vallée de larmes, ressemble plus ou moins à quelqu'un d'autre. "

Le 9 février 2014, je suis à Montfavet, et j'ai rendez-vous avec le petit livre de cet écrivain qui fréquente la NRF depuis le premier janvier 1964 et qui aura connu tout le monde dans la Maison, des écrivains qui ressemblent plus ou moins à d'autres écrivains.






à suivre

Philippe Chauché

samedi 1 février 2014

D'un Girondin l'autre dans La Cause Littéraire


Médium, Philippe Sollers
 
« Time is money, la folie gronde. La contre-folie, elle, prend son temps. Pour qui ? Pour rien. La rose est sans pourquoi, fleurit parce qu’elle fleurit, n’a aucun souci d’être vue ».
 
Lorsque la folie gronde, il vaut mieux être protégé par un paratonnerre, réel ou imaginaire, peu importe, mais il convient de s’armer de contre-folie, s’arrimer à la terre, et flécher le ciel. En ce siècle crispé, il y a des lieux, des êtres, des livres qui en tiennent avec légèreté l’office. Rien de nouveau sur la planète Sollers, la petite aiguille de sa boussole amoureuse lui indique toujours la même direction : Venise. Ville médium, ville dictionnaire qu’il ouvre et parcourt accompagné d’or – Loretta –, d’une fleur – Ada –, et de son moraliste, l’immortel de Versailles – Saint-Simon.
 
Médium est le roman de la folie et de son contre feu. L’une, on sait sur quoi elle tient : trafics en tous genres – dollars, organes et arts –, falsifications, vérités et mensonges, mauvais romans et mauvaise vie, l’autre repose sur quelques certitudes : immortalité et musicalité du Temps, amours gagnés, lectures attentives et écriture permanente, mouvement permanent du corps joyeux, trilogie divine. Le Père lit, le Fils écrit, et le Saint Esprit ne cesse d’aller et venir entre Paris et Venise sans changer de place.
 
« Il est impossible qu’une particule humaine se retrouve dans plusieurs endroits à la fois. Je dois donc voyager mon corps, pour attester qu’il est bien là où il se trouve, y compris dans le temps, et, pourtant, je tourne. C’est une expérience qu’on ne peut ni filmer ni photographier, il n’en reste pas moins qu’elle est incessante et vraie. A l’instant, j’ai 30 ans, je suis à Venise, cet angle de soleil en sait long sur moi ».
 
Il y a tout cela dans Médium et plus encore, la passion des dictionnaires, des siestes profondes, des rêveries, des voix, des églises italiennes et des regards. Mais La Fête à Venise, semble s’être un rien obscurcie, comme si cette contre-folie que s’inocule le « professore », avait par instant des effets secondaires. Comme si elle produisait un tremblement, des secousses, un tressaillement de la phrase et de son rythme. Effet mineur mais qui laisse parfois sur l’instant un goût amer. Effet du Temps qui s’est retourné sur l’écrivain, comme si l’ombre de Debord lui voilait le soleil, du vouloir trop en dire de la folie du monde, des stratégies du Diable, trop dire ce que l’on sait, de ce que l’on voit, de ce que l’on ressent, d’un discours l’autre, de l’amoureux au ressentiment, il n’y a parfois qu’un roman.
 
« Avec les journaux et les faits divers, vous vérifiez qu’il y a bel et bien une folie humaine, une puissante contrenature à l’œuvre, que des tonnes de culture, de plus en plus avariée, n’arrivent pas à canaliser. Les assassinats restent des assassinats, la corruption ne bouge pas d’un millimètre, la planète est une province de passions minuscules ».
 
Fort heureusement cet excès de fièvre, Sollers s’en détourne et en revient dans les passages les plus envolés de Médium, à ce qui fonde son style, son art et sa matière : le mouvement gracieux et léger de ses phrases, le saisissement si particulier des citations, comme un contre point, loin du tumulte barbare.
 
« Tout est calme et gris-bleu, j’arrête le bateau au large. Une phrase du duc me poursuit sur l’eau : “Son adresse était de faire valoir les moindres choses et tous les hasards”. J’aime ce mot d’adresse. J’en ai besoin pour sortir du port. Décidément, il y a deux mondes, et il faut choisir : “La mode, le bel air d’un côté, le silence de l’autre, et la solitude” ».
 
Philippe Chauché dans La Cause Littéraire