dimanche 25 janvier 2009
La Musique du Temps (2)
" Voici un petit galet blanc sur la plage. J'inscris sur lui, à la peinture rouge, la date de mon choix (avril 1300, par exemple), pour en savoir plus sur tel ou tel évènement "à côté" de l'Histoire. Je le garde quelques jours devant moi, je le charge de questions, d'intentions, puis je le lance dans l'océan. La réponse viendra, elle vient toujours, crabe, crevette, dauphin ou baleine. Ça alors. J'ai ainsi lancé dans l'eau, autrefois, à Venise, au bout de la Dogana, un exemplaire d'un livre sans ponctuation, écrit pendant sept ans, sans discontinuer, Paradis. Il est là, nulle part, ultra-décomposé, enfin publié dans sa fluidité. " (1)
Sollers est cette eau, cet océan, qui porte, transporte, absorbe, nourrit, décompose, recompose, fait fleurir, assouplit, ronge, allume, esquisse, blanchit, ensable les millions de grains de la littérature flottante.
L'écriture est une marée permanente avec ses vagues, ses creux et ses bosses, son calme et sa tempête, ses bleues, ses gris, ses noirs, ses verts, ses noirs, ses transparences, ses éclats, ses brisures, ses biffures, ses gouffres et ses transparences, pour le voir et l'entendre il faut s'embarquer !
" La poésie, dit Ducasse (très à contre-courant), est un fleuve majestueux et fertile. " Embarquons-nous donc sur le fleuve du temps, qui coule dans les deux sens. Attention au splendide mascaret, là-bas, vers l'estuaire et les vignes. L'eau, de bleue devient rouge, mélange alchimique de la douceur et du sel. Le vent de nord-est se lève, avec le voyageur du temps Hölderlin, et voici soudain le pays " où il y a beaucoup de jardins ", où les habitants " s'en tiennent toujours au plus proche ", où on peut aller en silence " sur les chemins couverts de fleurs ". Voilà une phrase qui faut faire tourner dans sa bouche comme un noyau d'olive, forme de méditation de la phrase, art de goûter au roman, à son goût complexe qui ne se révèle qu'ainsi dans le bain salivaire.
Sollers est dans un bateau, s'il tombe à l'eau, que reste-il ? Sollers !
Vous en doutiez ? Allons, un peu de légèreté, un rien d'esprit romanesque, un soupçon de liberté, devenez à cet instant poète-guerrier chinois, poète-musicien, poète-voyageur, poète-peintre, poète-philosophe ou tout autre. On peut d'évidence remplacer poète par écrivain. L'écrivain ne cesse d'écrire, dans le mouvement d'un pied qui se glisse sous le sable chaud, et le regard porté sur une fleur rare des dunes.
" Ça va tout seul : mes tableaux nocturnes sont peints, croyez-moi, je m'en étonne moi-même. Ce sont des improvisations que personne ne verra. Comment évoquer leur persuasion, leur précision, leur présence ? Même les expériences de drogues sont fades en comparaison. L'écriture automatique, les récits de rêves (" parents, racontez vos rêves à vos enfants "), les " sommeils ", les collages, les " cadavres exquis ", les détournements en tous genres, les dérives hallucinées dans Paris étaient de très bonnes idées, et, face à la soumission et au bavardage marchand universel, elles le restent. Présentez-moi un lit, un divan, un canapé, un fauteuil, un tapis, je m'endors immédiatement, le roman continue de plus belle. Temps perdu, temps retrouvé, le livre que je viens de lire sur les découvertes archéologiques en Chine invente de lui-même de nouvelles situations. " (1)
à suivre
Philippe Chauché
(1) Philippe Sollers / Les voyageurs du temps / Gallimard
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