samedi 5 septembre 2009

La Courbe du Temps (38)



" Pour savoir aimer, il faut savoir écouter avec ses mains ", c'est ce qu'il se dit, lorsqu'il l'aperçoit sur la place du Palais, éblouissante de vie, assise sur un banc, livre ouvert dans les bras qu'elle embrasse du regard, une mèche rouge volette portée par le vent de l'est. Il reste ainsi longtemps dans l'admiration, à la bonne distance, silencieux, et il pense, que si sur l'instant, il était frappé de disparition, tout se poursuivrait comme si de rien n'était, si s'ouvrait entre eux une faille diabolique, tout se poursuivrait comme si de rien n'était, et d'un retour de regard, il briserait une nouvelle fois les falsifications dominantes des adorateurs de la mort. Il ajoute que c'est de ces miracles vus que naissent les résonances de la Courbe du Temps, de ces miracles vus, sentis, et aimés.

Porté par ce mouvement, il s'est assis à ses côtés, a posé ses lèvres sur son front, sans un mot, la laissant poursuivre sa lecture divine, son regard l'a un temps fixé, dans la fraîcheur de cette fin d'été, son sourire en signe d'accueil, et tout va se poursuivre, c'est ce qu'il s'est dit, tout va s'ouvrir dans le mouvement des mots, et des corps.

Alors il a noté dans son petit cahier invisible :

Il faut embrasser les mots comme ses amoureuses.
Il faut embrasser ses amoureuses avec le même bonheur que l'on porte à l'écoute de Bach.

mais aussi :

Se mettre au diapason de son corps, aux éclats de sa jouissance, aux romans de ses silences.
Aimer ses mots, c'est embrasser son ventre.
Laisser le Temps résonner dans son regard.
Fixer la Courbe du Temps, pour ensuite s'y glisser.
Penser à chaque seconde à son éternité.
La mort, ce mensonge.

" Il ne tient qu'à moi d'être vieux. J'ai de quoi. Mais j'ai dit : je ne le suis pas, et cela me réussit. On peut s'empêcher au moins d'être un vieillard : c'est la paresse de corps de d'esprit qui la constitue. Tant pis pour ceux qui s'y laissent aller.
Je me dis aussi : je ne veux pas mourir. Je ne sais comment cela réussira. (1)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Lettres et pensées du Prince de Ligne / d'après l'édition de Madame de Staël / Collection IN-TEXTE / Tallandier

1 commentaire:

  1. Vous auriez pu nous afficher Madame de Staël au lieu de nous envoyer la Récamier.
    Ceci posé, entre nous, je ne m'en plains guère...

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