lundi 7 décembre 2009
La Courbe du Temps (61)
" Avivant un agréable goût d'encre de Chine une poudre noire pleut doucement sur ma veillée. - Je baisse les feux du lustre, je me jette sur le lit, et tourné du côté de l'ombre je vous vois, mes filles ! mes reines ! " (1)
Il se dit, c'est cette voix qui délivre, sauve, enchante, illumine, se faufile sous sa peau, embrasse son coeur. Cette voix pense-t-il, est celle de l'Eclat du Temps. L'Eclat du Temps, c'est un soleil qui se lève sur le Fleuve et sous les arbres, et offre de l'or à son regard.
C'est aussi se dit-il, une musique de Bach qui effleure sa joue.
Cette voix ouvre une autre brèche où il s'engouffre. Cette voix, il la prend par la main.
" A la longue, la main qui écrit vient d'un autre corps qui enveloppe et comprend le corps, ses déplacements, sa flexibilité, ses respirations, ses courbures, ses oublis, ses mise à distance. " (2)
La voix dans sa main, il traverse la ville blanche dans le noir de décembre. Le froid saisit son regard, le fixe, et c'est face au Fleuve et sous les arbres qu'il s'ouvre à son tour. Comment ouvrir le regard ? c'est la question qu'il se pose en cette nuit des étoiles. Le regard, une brèche où se glisse la voix. Il ajoute, " la voix est la musique du regard ", mais aussi, " sa voix est une phrase sur le point de naître ", " c'est un écho de la vibration de sa peau ", et encore, " c'est en écoutant que l'on voit ", " entendre c'est embrasser ", et " cette voix conduit au Paradis ".
" Je demande à Mara trois syllabes. Elles les prononce. C'est parti.
Couchée sur le dos, Mara regarde les syllabes rouler entre ses seins. Elles descendent jusqu'au nombril, vont mouiller son pubis. Entre ses jambes, les syllabes se multiplient. De chaque syllabe fleurissent, comme des pétales, de nouvelles syllabes. Entrecroisées dans l'air au-dessus du corps de Mara qui ferme les yeux, les syllabes s'élèvent ; elles forment des phrases, un nuage de phrases légères qui, brusquement, filent vers la Seine, où elles se frottent à l'écume. Elles rebondissent à la vague, et reviennent lécher les épaules de Mara, sa bouche, les pointes de ses seins. " (3)
Il a passé la nuit sur le muret de pierre. Dans les éclats des eaux du Fleuve, il a vu ceux de la voix, il s'est dit, cette voix résonne et transforme à chaque minute les couleurs du Fleuve. Ces couleurs sont celles de la danseuse rouge qui s'est ici offerte à son regard. Alors il a pensé, cette Courbe du Temps ouverte par la danseuse rouge des bords du Fleuve et sous les arbres, s'entend et se voit dans sa voix, une voix qui devient courbe, et dans cette courbe, il se glisse.
Le glissement du corps dans le Temps est une manière de résurrection, c'est ce qu'il note au matin sur son écritoire, et cet écritoire résonne dans le jour qui se lève d'une voix qui est un corps en mouvement, et ce mouvement est un roman qui s'écrit à chaque seconde dans les déplacement des corps.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Illuminations / Phrases / Arthur Rimbaud / Oeuvres complètes / 1972 / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard
(2) Le Secret / Philippe Sollers / Gallimard
(3) Évoluer parmi les avalanches / Yannick Haenel / L'Infini / Gallimard
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