mardi 11 septembre 2012

Dernier Hôtel


" Dès le premier soir, la porte poussée, il était devenu citoyen d'un autre monde. Il y avait maintenant cinq jours qu'il habitait là et qu'il là et qu'il prenait le même incroyable plaisir à se sentir absent. Qui viendrait le chercher ici ? Cette impression qu'il dépistait toutes les polices de l'univers, qu'il compliquait les enquêtes sentimentales de ses maîtresses, qu'il contrariait les perquisitions intéressées de ses amis, comme elle agréable ! Elle emplissait béatement le creux vaste de sa torpeur. " (1)

" Il l'écoutait et il lui semblait entendre ses propres paroles souvent retenues, l'expression d'un désespoir qu'il ne voulait pas avouer, mais qui le prenait quelquefois, quand il songeait non point au désastre récent - dont les conséquences immédiates étaient claires - mais au moment du règlement de comptes : avec tous les hommes et toutes les femmes de l'univers, avec toutes les femmes de civilisation ( ô l'impressionnante fuite en Egypte ! ), il se sentait arriver à un coude de la route : au-delà, qui le savait, vivrait-on nu, vivrait-on d'herbes, de viandes, aurait-on surtout l'ordre logique, ou acquis de la pensée ? Oui,, Zoya avait raison, l'amour même était corrodé, comme le reste. S'il demeurait pour quelques privilégiés la dernière île déserte, à la ressemblance de l'hôtel de La Turbie, il n'en serait pas moins que bonheur réalisé, aujourd'hui, à condition qu'il fût de qualité, ne pouvait repousser le remords, n'avoir pas un peu honte de sa réussite en face de tant de couples séparés, de coeurs prisonniers ou à jamais solitaires. " (1)

Il s'est souvent demandé par quel miracle certains livres lui adressent la parole, lui sautent aux yeux, parfois sans ménagement, mais avec l'insistance amusée des suicidés qui une dernière fois lèvent leur coupe de champagne à la santé de tous les instants gagnés qui sont perdus, ou de tous les instants perdus qui par le miracle des concordances ou des discordances sont au bout du compte gagnés, ce petit livre s'est offert à lui, comme parfois - instants rares - le regard d'une inconnue qui sait qu'elle n'aura rien à gagner à lui parler et rien à perdre à s'en passer, et qui entre deux raisons, celle d'une fin amusante et amusée, se livre à lui, ce livre est celui d'instants perdus dans un hôtel dont rêvent seuls les dandys qui rien n'outrage sauf la vulgarité commune et partagée par les humanoïdes policés, le désespoir du temps n'a d'autres raison que celles de ces raisons, pense-t-il, et d'embrasser Zoya, merveilleuse femme dont pouvait rêver Fitzgerald et de se laisser embraser par ce petit livre gracieux et désespéré.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Hôtel de la solitude / René Laporte / la dilettante / 2012

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