vendredi 21 mars 2008

Le Printemps

C'est donc le printemps, même s'il se donne des airs d'hiver, il n'en est pas moins là, derrière les affronts du vent du nord. Printemps du temps et des écrivains, printemps du corps, encore endormi, printemps des voix qui claquent sur les mats de la nostalgie, cette crépusculaire tentation. C'est le printemps qui s'offre sans voile et dans le temple, cette manière unique d'être au coeur de la fleuraison de la déraison.

Je viens de prendre livraison du dernier numéro de L'Infini baptisé " Roman et Références Historiques " 1983 - 2007, le printemps d'une revue littéraire qui s'ouvre sur cette phrase : " Cette publication permanente n'a pas de prix. Chaque souscripteur se fixe à lui-même sa souscription. " Isidore Ducasse, Poésies.

Printemps permanent des Poésies, cette bombe à retardement, cette déchirure du temps, pour mieux s'en saisir, cette percée dans l'histoire, cette implosion des corps.

Lisons : " Je suis une mémoire devenue vivante, dit Kafka, d'où l'insomnie." Il faut lire Cervantès et Kafka ensemble. Kafka est du Cervantès accéléré. S'il parle si souvent, dans son Journal ou ses lettres, de son sentiment d'effondrement, d'incapacité, de paralysie ; de sa sensation permanente d'être " guetté ", c'est qu'il a mis en marche un engrenage d'une grande rapidité ( Le Verdict écrit en une seule nuit ) et qu'il redoute la vengeance de l'esprit de pesanteur, le Diable lui-même ( digression, frein, retard, allusions incompréhensibles et sans doute stupides, malentendus, maladies et malveillances comme organisées, on n'arrivera jamais, il neige , " il y a un but mais pas de chemin, ce que nous nommons chemin est hésitation " ). Quelqu'un de né pour la vitesse pure et condamné au métier d'arpenteur ? Un séducteur inné obligé de penser au mariage ? Un voyageur tous terrains forcé de vivre à Prague, horloge arrêtée ? Un Juif tchèque parlant le yiddish et virtuose de l'allemand, entendant par avance dans l'allemand sa propre destruction programmée par la chape de plomb philosophique ? Tout cela, tout cela, et bien d'autres choses encore. L'expérience de K. est urgente. " L'évolution humaine : une croissance de la puissance de la mort. " (1)
Mais aussi l'affaire Artaud, et la publication "inacceptable" de la conférence du Vieux-Colombier ( 13 janvier 1947 ) : " La mort, comme le reste, n'est qu'une poudre de perlimpinpin, une attrape pour les gogos. "
Ou encore : " Chu Ta, 1626-1705, Le pinceau chargé de pensées printanières rêve d'éclore en fleurs au point du jour. ", et plus loin " Il n'y a rien en dehors des classiques. Pour complaire à un amateur, même le plus princier, un musicien ne pourrait pas ajouter une seule note aux sept de la gamme. Il doit toujours en revenir de nouveau à la première. Et bien, en peinture, c'est la même chose. " (2) et enfin : " Son corps est comme du bois mort, son coeur comme de la cendre éteinte. Vraie est sa connaissance. Il se détache de tout savoir acquis. Ignorant et obscur, il n'a plus de pensée. On ne peut plus discuter avec lui, ah quel diable d'homme ! " (3).
Voilà, je vous le disais, c'est le printemps.

Que mille fleurs de sable t'entourent.

à suivre

Philippe Chauché








(1) Philippe Sollers, " Personne n'aime la littérature ", L'Infini n° 32
(2) Renoir - Augustin de Butler, " Le rire de Renoir ", L'Infini n° 77
(3) Zhuang zi - in Sujet - Philippe Sollers, L'Infini n° 88

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