samedi 15 mars 2008

Mai 68

" Peut-être aurions-nous pu être un peu moins dépourvus de pitié, si nous avions trouvé quelque entreprise déjà formée, qui nous eût paru mériter l'emploi de nos forces ? Mais il n'y avait rien de tel. La seule cause que nous ayons soutenue, nous avons dû la définir et la mener nous-mêmes. Et il n'existait rien au-dessus de nous que nous ayons pu considérer comme estimable. (1)
" Avions-nous à la fin rencontré l'objet de notre quête ? Il faut croire que nous l'avions au moins fugitivement aperçu ; parce qu'il est en tout cas flagrant qu'à partir de là nous nous sommes trouvés en état de comprendre la vie fausse à la lumière de la vraie, et possesseurs d'un bien étrange pouvoir de séduction : car personne ne nous a depuis lors approchés sans vouloir nous suivre ; et donc nous avions remis la main sur le secret de diviser ce qui était uni. Ce que nous avions compris, nous ne sommes pas allés le dire à la télévision. Nous n'avons pas aspiré aux subsides de la recherche scientifique, ni aux éloges des intellectuels de journaux. Nous avons porté de l'huile là où était le feu. (2)
" Lorsque l'ennemi est en position de force, sachez l'entamer, lorsqu'il est bien nourri, l'affamer, lorsqu'il est au repos, le pousser à l'action. " (3)
" Un écrivain ne peut avoir, en tant que tel, qu'une position extrême ; ou alors il n'écrit pas. Mais cette position évite de l'assimiler à un point de vue humain. Elle resterait, dans ce cas, unilatérale, comme le serait aussi la position contraire. Comme Moi humain, jamais tu n'entreras de plain-pied dans la " littérature ". Tu ne t'inséreras en elle qu'en t'encrant à ce que Paulhan nomme " cet étrange point d'indifférence ", point qui te rend étranger par rapport à l'ensemble des opinions soutenables.
Que ta singularité se rende VRAIMENT sensible à ce point mystérieux, et déjà tu sautes d'un plan à un autre : une force, d'autant plus violente que lui fait défaut la moindre assise, t'arrache à la platitude des automatismes, aux glapissures d'une vie creuse et rétrécie. Et cette force néantisante attaque en cisaille tout ce qui enchaîne l'unique à un horizon commun. " (3)

Aujourd'hui, les forces du néant ont mille visages et mille moyens d'attaquer, on ne les voit jamais où on pense les découvrir, on ne les apperçoit jamais où on pense qu'elles se sont installées, on ne se doute pas des moyens qu'elles utilisent, chaque terrain est à l'évidence pour elles un terrain de victoire, nous devons donc nous armer de savoirs guerriers - la Chine en est un réservoir immense où il n'est pas inutile de se plonger - d'immenses connaissances poétiques - il est donc urgent de visiter Lautréamont -, de musiques romanesques - misons pour voir sur Monk, Mozart, et Vivaldi -, de foudroyants mouvements du corps - sur le terrain du corps, les forces du néant ont mille malices, l'idéal de l'amour et l'amour idéal en est sont des masques, mais nous en savons tellement que ces mensonges nous laissent songeurs -, et de dérives permanentes - dérivants nous devenons immortels, et le néant n'entend rien à l'immortalité -, il nous reste à les vérifier quotidiennement.

Que mille roses ouvrent ta marche.

à suivre

Philippe Chauché

(1) et (2) Guy Debord / In Girum Imus Nocte et Consumimur Igni / Editions Gérard Lébovici / repris par les Editions Gallimard
(3) François Meyronnis / L'Axe du Néant / Gallimard / L'Infini

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