jeudi 6 mars 2008

Liberté de l'Ecrivain

" J'ai insisté : " Je voudrais que les filles volent, c'est cette phrase que j'aime, c'est une phrase de vous, n'est-ce pas ? "
Là, Pina Bausch, elle était coincée : après une telle phrase, impossible de partir, alors elle a allumé une autre cigarette et avec cet accent allemand qui, aujourd'hui, me semblait ravissant, elle a dit : " Oui, monsieur, cette phrase est de moi. "
J'ai un peu exulté : puisque cette phrase était d'elle, puisqu'elle voulait que les filles volent, eh bien je voulais savoir si elle avait réussi, les filles, à les faire voler ; et puis, pourquoi les filles ? Est-ce que les hommes, eux, ne volent pas, ou plutôt, est-ce qu'il est impossible de vouloir que les hommes volent ? Bref, pourquoi les filles et pas les hommes, la question, à Pina Bausch, je la posais.
Alors Pina Bausch a souri, je dirais même qu'elle a un peu ri. La lumière étincelait doucement, elle miroitait sur les vitres des bus. Le vieux type s'était levé, il dansait devant son banc, la bouteille à la main, comme un prince folâtre : " Poètes, vos papiers ! " gueulait-il encore en se raclant la gorge : " Poètes, vos papiers ! " En tirant sur sa cigarette, Pina Bausch m'a dit : " Les filles volent, monsieur parce qu'elles sont plus légères. " (1)

L'écrivain s'envole, car ses gestes sont plus amples, plus prolongés, ils résonnent mieux dans l'espace et le temps, ils vont de la terre au ciel, l'écrivain vole sans le savoir, et s'il le sait, il n'en dit rien. Ses mouvements sont invisibles, ce sont ses mots qui semblent voler, ce sont ses phrases qui paraîssent si légères, l'écrivain libre s'envole à chaque instant. Ses livres s'enlovent eux aussi. Sa liberté est là !

Que mille danseuses s'envolent pour toi.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Cercle / Yannick Haenel / Gallimard / L'Infini

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Laissez un commentaire