jeudi 20 mars 2008

L'Ecrivain (4)

Dante par Sandro Filipepi dit Botticelli

" Ysé :
Je suis contente. / Contente d'être tout. / Pour toi, contente d'avoir tout pour moi. / Mais quoi, montre-moi tes yeux. / Qui ont la couleur des miens et ne les tiens pas ailleurs un moment ! / Et cela me donne confusion et désir, de voir tes yeux. / Et moi, regarde-moi aussi, me voici. / Et regarde chaque chose bien comme un vase que tu viens d'acheter. / Et que tu fais reluire au soleil, et l'émail, et ce défaut que l'on éprouve avec l'ongle. / Et la marque du fabricant.
Mesa :
Tu es radieuse et splendide ! tu es belle comme le jeune Apollon ! / Tu es droite comme une colonne ! tu est claire comme le soleil levant ! / Et où as-tu arraché sinon aux filières mêmes du soleil d'un tour de ton cou ce grand lambeau jaune / De tes cheveux qui ont la matière d'un talent d'or ? / Tu es fraîche comme une rose sous la rosée ! et tu es comme l'arbre cassie et comme une fleur sentante ! et tu es comme un faisan, et comme l'aurore, et comme la mer verte au matin pareille à un grand acacia en fleurs et comme un paon dans le paradis. " (1)

" Vous dites Claudel, et, immédiatement, les clichés déferlent : dogmatique, épais, pétrifié, pétainiste, papiste, couvert d'honneurs, imposteur, poète reconnu donc maudit, cul béni, homophobe, sexophobe, tank de la réaction - l'horreur. La haine que suscite Claudel est, à la limite, presque plus intéressante que lui. Mais être ainsi constamment attaqué de partout depuis un siècle veut sans doute dire qu'on occupe une place centrale, surtout si le siècle en question s'est surpassé dans le mensonge, l'abjection, la terreur. Le problème est donc le suivant : que ne veut-on pas savoir de Claudel ? Pourquoi cette rapidité à se laisser piéger par ses masques ? Et d'ailleurs qu'a-t-il voulu lui-même cacher ou protéger ? Tout se passe en effet comme s'il n'avait pas hésité à en remettre dans le malentendu, la provocation, l'outrance. Il est invisible du dehors, Claudel. Il veut dissimuler un trésor. " (2)

Et ce trésor, la langue illuminera comme un soleil la nuit de la carrière Boulbon cet été, cette langue du Partage de la langue et des corps sera portée comme une croix de fleurs par des corps et des voix de grâce. Il faudra être attentif et ce qui se dira là. Le Partage de Midi vivifié par Valérie Dréville et ses partenaires d'un temps.
Ce que dissimule Claudel c'est une langue, une poésie d'éclats, d'élévation, de miracle, un dialogue permanent avec l'océan de la langue, échange lumineux avec Dante, qui sera lui aussi convoqué cet été durant le Festival d'Avignon, il faudra écouter, se mouler dans la langue de l'italien éblouissant et du chinois de Notre Dame, il faudra être amoureux du temps et du verbe, être chinois, troubadour, musicien, corps sauvé et immortel pour entendre ces mots, ces phrases, cette avancée vers le bonheur. C'est simple.

Que mille bourgeons s'ouvrent sous tes mots.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Paul Claudel / Le Partage de Midi / Gallimard
(2) Philippe Sollers / Connaissance de Claudel / Eloge de l'Infini / Gallimard

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