Regardez ce homme en face, oubliez ce que vous savez ou ignorez de lui, les admirations et les détestations apprises par coeur, ou lues ici ou là.
Le regard sauve t-il ? Il serait temps de se poser la question. Celui-ci frappe fort, perfore, et nous invite à être.
Le regard des écrivains écrit le temps présent.
" On commençait à se défier des mots, on venait tout à coup de s'apercevoir qu'ils demandaient à être traités autrement que ces petits auxiliaires pour lesquels on les avait pris ; certains pensaient qu'à force de servir ils s'étaient beaucoup affinés, d'autres que, par essence, ils pouvaient légitimement aspirer à une condition autre la leur, bref, il était question de les affranchir. A l' " alchimie du verbe " avait succédé une véritable chimie qui tout d'abord s'était employée à dégager les propriétés de ces mots dont une seule, le sens, spécifiée par le dictionnaire. Il s'agissait : 1° de considérer le mot en soi ; 2° d'étudier d'aussi près que possible les réactions des mots les uns sur les autres. Ce n'est qu'à ce prix qu'on pouvait espérer rendre au langage sa destination pleine, ce qui, pour quelques-uns dont j'étais, devait faire faire un grand pas à la connaissance, exalter d'autant la vie. " (1)
" Tu as le sens de l'infini, calme et stupéfiant, comme un doigt pointé sur une ligne de ta propre écriture. " Et ainsi de suite. L'opération "sacrée" menée sur le langage par Breton, en continuité avec sa volonté de rassembler de partout l'expérience poétique, a déclenché l'histoire souterraine de notre siècle. Les épisodes de cette histoire sont très connus et peut-être très méconnus. Breton est l'homme qui a pu rêver, de leur vivant, de Picasso et d'Appollinaire. Il a pensé que le grand matin était arrivé où pourraient se nouer la volonté révolutionnaire, l'ouverture de l'inconscient accomplie par Freud, la vie vécue comme poésie permanente. Il a été l'acteur principal de cette synthèse impossible dans la réalité, et, assez vite, il a dû devenir l'exégète des déceptions éprouvées. Nous ne le savons que trop aujourd'hui : non, la révolution sociale n'entraîne pas forcément la reconnaissance de Rimbaud et Lautréamont. Non, l'inconscient freudien ne ressuscite par l'alchimie et l'occulte, bien au contraire, et Nicolas Flamel est décidément introuvable dans les rues de Paris. Non, la morale n'est pas la garantie suprême de l'invention littéraire, et l'écriture automatique ou les rêves n'engendrent pas le merveilleux promis. Et pourtant... Ce que le premier universitaire venu pourrait savamment désigner comme les erreurs de Breton est sans doute préférable au sommeil où nous sommes. (2)
" ... en plein midi
en plein dans l'épervier à l'aile ouvertene soit plus rien sinon grande lenteur
plus parfaite et qui m'environne d'automne
- il me semble que Tu me parles -
lenteur où s'oeuvre l'oeuvre de l'or
" ... suu plen mieijorn
en plen dens l'esparvèr ala-larg
arren s'i passi pas mèi sonque la lentor
assancerida dont çô m'amiroa lo gorra
- e dirén atau que me parlas -
ont s'i obra l'obra de l'aur " (3)
Ce matin calme
Le vol des martinets, une nouvelle fois
J'apprends le silence
à suivre
Philippe Chauché
(1) Les mots sans rides / Les Pas Perdus / André Breton / Gallimard /
(2) Breton Manifeste / Philippe Sollers / La Guerre du Goût / Gallimard /
(3) L'Enterrament a Sabres / Bernard Manciet / Mollat
Suivre les signes, enfin les signes.
RépondreSupprimerLire les pancartes, découvrir un éternel recommencement.
N'être point considérée comme un singe, mais pouvoir enfin communiquer autrement et apprendre le sourire.
Il était devant moi.
Le silence m'appelait, pourquoi autant de silence ? Pourquoi un voyage si long dans le mutisme ? Pourtant, il est si jeune, trois, cinq, sept mois peut-être. Des gazouillis, des sourires, des bras tendus, mais rien! Le mutisme
Enfin, la marâtre quitte son sourire faussement figé, pour une pause, le laissant assis près de son sac.
Il me regarde encore, et ces gazouillis me donnent envie de communiquer.
Le sac... il l'ouvre, je fais un signe de tête, il le referme. Puis il l'ouvre... et un jeu d'imitation commence. Oui, non, des signes de tête malgré le mutisme. Fouiller dans un sac à main dès 5mois, je ne comprends rien. Remarque, il n'a que ce biais pour communiquer.
Je le regarde... encore des gazouillis. Enfin de la vie! Même sans verbaliser, aucun langage. Mon visage lui suffit, et il joue. Oui, non, Oui, non...
La marâtre revient... la pause fut courte. Trop courte, et enfin je ressens ce désir qui n'a jamais été vivant en moi.
Je me dis : mais oui c'est vivant, mais oui, il y a de la vie.
Bien qu'il se situe entre deux morts vivants, bloqués entre un sourire béat d'une fausseté extraordinaire, et un mutisme glacial, dont les bras permettent de le maintenir en position assise " un vrai petit adulte" me dis-je. Non c'est un bébé, et d'être maintenu de la sorte, pour que la position reste parfaite... il se débat, il se balance violemment.
Les bras lui proposent un morceau méconnaissable, pouvant représenter un téléphone portable. Les verbalisations commencent... le dressage arrive... " il fait comme son papa, il téléphone", "c'est un téléphone portable".
Combien je suis d'un autre monde restant attentive à sa gestuelle, le bambin s'énerve... il le jette violemment au sol, et le jeu commence... ramasser l'objet, il le rejette, mais il n'est pas jubilatoire comme avec les signes de tête au sujet du sac à main...
là il n'en veut pas...
Conditionné surement à un bel avenir d'entrepreneur, cela sera un téléphone portable comme son papa, il le rejette une nouvelle fois, et crie, pleure, ses balancements recommencent.
Je suis avec Spitz, ses mouvements vont me permettre de parler. Entre le bizness-man et la marâtre, un dialogue de sourd : "téléphone portable comme papa" "tu t'appelles M.",
OK, j'entends, il me regarde et me montre l'objet, la marâtre répète son prénom. Je me présente enfin.
Il me sourit, me tend les bras, je reproduis ce geste, j'ai envie de le prendre dans mes bras mais non, il doit rester assis comme un adulte. Je pose une question... puis une deuxième, rien, le mutisme. Je me demande même si je suis entendue, j'élève la voix, rien.
Puis d'un air sot : " bah , il n'a pas un doudou? ou une peluche? "
Enfin, je suis entendue... réponse immédiate " non c'est la première fois qu'il prend le train. "
HUMM ???? Je ne comprends rien, à part rester " entre les deux ", maintenu pour ne pas qu'il bouge, et surtout qu'il se tienne bien, assis comme un adulte... de surcroît dans le mutisme et les sourires faussement béats... je me retrouve avec Rousseau.
L'hospitalisme? L'hospitalité?
Que de Nom en effet à citer. Bref, toujours le même schéma, et enfin je le vois, il est là et me tend les bras, afin d'être porté.
VG