dimanche 1 juin 2008

Son Seul Regard


" Je suis allongé sur un banc du jardin de Cluny. La statue de Montaigne, à l'ombre des tilleuls, regarde la Sorbonne. Je suis là, derrière Montaigne, avec les feuillages : il y a une lumière douce, et lorsque je sors des tapisseries, vers dix-sept heures, ça continue à s'ouvrir. Alors, l'inflexion que se donne le monde à travers vous est sans limite. Les signes sont furtifs. Il serait maladroit de réclamer d'autres filières. C'est par la distance qui se crée entre elles et moi que, dans ma tête, se déploient les tapisseries de la Dame à la licorne. Pour avoir leur féerie, je n'aurai bientôt plus besoin de venir au musée. L'île bientôt se dessinera toute seule la nuit dans l'air de ma chambre, et les gestes de la dame s'ouvriront comme des bourgeons de châtaignier. J'enverrai mon corps de temps en temps à Cluny ; il pénétrera, imperceptible, dans les plis des robes, et trouvera son chemin à l'intérieur de ce qui l'intéresse. Pendant ce temps, les murs de ma chambre, lorsque j'écrirai, s'animeront de foudres invisibles ; des couleurs fileront joyeusement à travers la pièce. Elles viendront se tordre entre mes jambes, sous la table où j'écris ces lignes. Les vertiges se rencontrent, ils se conjuguent, et l'émotion qui se forme est une avalanche heureuse. Le désir n'occupe aucune position, il laisse s'épanouir ce qu'il rencontre. " (1)
" Je me douche longuement et me glisse dans un pantalon de lin, chemise en coton léger, pieds nus, je suis prêt pour le grand saut. Mon stylo à plume surfe sur la feuille blanche, prend de la distance porté par la houle des phrases et attend la vague, puis s'élance et dessine sur la masse sombre en mouvement cette histoire qui s'écrit et se vit en même temps en courbes complexes. J'écris ce bonheur étrange d'être là. Seul dans cette absolue méditation de l'écriture et de la pensée en action. J'invente un monde nouveau que j'habite ici à Madrid, je croise des goélettes dans les avenues, des chercheurs d'or sur la places, des musiciens devant les tableaux du Prado, des ombres devant les arènes, des fées lumineuses à chaque instant, elles m'accompagnent du regard, de la peau, de la pensée et je leur offre ce texte infini qui ne cessera jamais de glisser entre les vagues.
J'écris les corps livrés au temps et à la jouissance. " (2)
Son seul regard dérègle les boussoles, et illumine les martinets.
Son seul regard déclenche le verbe et la flamme et me couvre de bonheur.
Son seul regard est un livre de vie où se baignent ses amoureux.
La joie est là dans son seul regard.
Son seul regard nourrit chacun de mes livres, les visibles et les invisibles.
Son seul regard est musique, peinture, éclairs, et soleil de printemps.
La joie et la jouissance sont là dans son seul regard.
Son seul regard me sauve de la mort et du diable.
Qu'il soit béni.
Que mille licornes te protègent.
à suivre
Philippe Chauché
(1) A mon seul désir / Yannick Haenel / Argol/ Réunion des Musées Nationaux / 2005
(2) Esquisses du Bonheur / Philippe Chauché / en attente d'édition

1 commentaire:

  1. Et... j'écris sous le regard du mot qui fouille ma tripe, mon coeur et mon esprit !
    Amitié.
    Gilles

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