samedi 14 juin 2008

Un Pas de Côté

Photo Wilfried Krüger


" Ça commence comme ça : des billets de banque tombent du ciel, un orage de fric, un pluie de billets qui envahit la scène. Une musique arrive par saccades, du violon, des coups d'archet qui grimpent. C'est Tabula rasa d'Arvo Pärt. Aussitôt les femmes jaillissent sur scène : elle sont pieds nus, en robe rouge, et s'agitent comme des furies. Elles jaillissent exactement comme sur le pont des Arts. C'est bien elles, les bras derrière le dos, son visage tourné vers le ciel des billets de banque. Les danseuses jouent à se croiser, elles tournoient parmi le flot de billets, bondissent pour les attraper au vol. Certaines s'amusent à se faire la courte échelle pour aller plus haut encore. Est-ce pour ça que les filles volent ? Voici qu'elles font de petits sauts, il y en a qui tombent, et fond des roulés-boulés dans le tas de billets qui déjà jonchent le sol. Ça n'en finit plus de voleter partout. Déluge de fric. Drôle de manne. Le pognon tombe du ciel est les filles dansent. " (1)
" Pour qu'il y ait de l'art, pour qu'il y ait un acte et un regard esthétique, une condition physiologique est indispensable : l'ivresse. Il faut d'abord que l'excitabilité de toute la machine ai été rendue plus intense par l'ivresse. Toutes sortes d'ivresses, quelles qu'en soit l'origine, ont ce pouvoir, mais surtout l'ivresse de l'excitation sexuelle, cette forme la plus ancienne et la plus primitive de l'ivresse. Ensuite, l'ivresse qu'entraînent toute les grandes convoitises, toutes les émotions fortes. L'ivresse de la fête, de la joute, de la prouesse, de la victoire, de toute extrême agitation : l'ivresse de la cruauté, l'ivresse de la destruction - l'ivresse née de certaines conditions météorologiques ( par exemple le trouble printanier ), ou sous l'influence des stupéfiants, enfin l'ivresse de la volonté, l'ivresse d'une volonté longtemps retenue et prête à éclater. - L'essentiel, dans l'ivresse, c'est le sentiment d'intensification de la force, de la plénitude. C'est ce sentiment qui pousse à mettre de soi-même dans les choses, à les forcer à contenir ce qu'on y met, à leur faire violence : c'est ce qu'on appelle l'idéalisation. Débarrassons-nous ici d'un préjugé : l'idéalisation ne consiste nullement, comme on le croit communément, à faire abstraction - ou soustraction - de ce qui est mesquin ou secondaire. Ce qui est décisif au contraire, c'est de mettre violemment en relief les traits principaux, de sorte que les autres s'estompent. " (2)
L'acteur est un arpenteur géographe confronté à l'espace du texte, de la scène et de son propre corps en mouvement, de ces trois espaces il fait son miel, les embrasse, les contourne, les nourrit, s'en éloigne, les redessine, les fracture, et finalement en fait jaillir cette semence lumineuse qui sera sa présence, présence à son corps vivant, au livre ainsi révélé et la scène devenue par sa présence, ses mots, son silence et ses geste la scène absolue. C'est alors, et c'est alors seulement qu'il s'envole.
Que mille envols d'anges t'accompagnent.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Yannick Haenel / Cercle / Gallimard / L'Infini
(2) Friedrich Nietzsche / Crépuscule des Idoles / traduc. Jean-Claude Hemery / Gallimard

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