vendredi 20 juin 2008

Les Mains du Musicien



Seuls les sourds ne voient pas ses mains, les mains du Musicien.

Vous vous souvenez peut-être du mois de septembre 2002, une étrange lumière éclaire l'Ile aux Cygnes, à deux pas de là, le géant béni des fées s'installe au pupitre, les musiciens qui l'ont voulu écoutent le sage battement de ses mains, les mains du Musicien.

En ces temps, un écrivain assis sur un banc de son Ile des Cygnes écrivait :
" Du tissage de mes phrases dans le wagon face aux tours en bord de Seine avec la lumière fraîche de début septembre se formaient les conditions d'un vide par lequel vient d'exhausser pour moi la possibilité de vivre. Du rythme de ces phrases qui glissaient dans la rame se réglait la température du saut qui s'effectue quand s'ouvre la possibilité de vivre. Et c'est ainsi qu'afin de passer d'une rive à l'autre de la Seine, s'acheminent les milliers de phrases que vous allez lire. Un séjour éclaboussant dans le vide, puis les voici, elles filent. Qui vous croira si vous dites que pour écrire un livre, vous allez chercher chaque phrase sur l'autre rive, et que c'est une aventure ? " (1)

Qui me croira si je vous dis que pour jouer Beethoven, Chostakovitch, Tchaïkovski, Brahms, ou encore Bruckner, il va chercher chaque note sur l'autre rive, et que c'est d'une aventure dont il est question à chaque seconde.

Les musiciens n'ont jamais douté, ils ont fait le voyage quelques mois plus tôt, nuit blanche dans les lueurs des phares des camions des autoroutes, les musiciens savaient sans savoir, ils attendaient de l'entendre, ils rêvaient de le voir, de voir les mains du Musicien.

" Le 16 mai 1962, Igor Stravinsky se réveille à Paris, tout près d'ici, dans sa chambre du Berkeley, son hôtel, avenue Matignon, quand il vient en vacances pour quelques jours.

Il a déjà transformé sa chambre en chapelle et pharmacie, sur sa table de chevet, ses icônes, il est orthodoxe, et des piles de boîtes de médicaments. Il va avoir quatre-vingt ans, en juin, il se plaint de ses mauvaises jambes, mais il a une santé de fer.

Pour le moment, il laisse reposer l'oeuvre en gestation, Abraham et Isaac, une ballade sacrée, en hébreu, qu'il veut dédier au peuple et à l'Etat d'Israël. Il ne connaît pas l'hébreu ? Avant de se mettre à la composition, il s'est fait expliquer la structure verbale de la langue par un ami.

Plus il vieillit, plus il fait confiance à son rythme biologique : six mois d'isolement dans sa maison de Hollywood, enfermé dans son bureau à doubles portes ; six mois de voyages et de concerts partout sur la planète. " Je n'ai pas le temps de ne pas avoir le temps ", dit-il souvent. " (2)

à suivre

Philippe Chauché



(1) Évoluer parmi les avalanches / Yannick Haenel / Gallimard / L'Infini

(2) Le sourire de Stravinsky / Lucile Laveggi / Gallimard / L'Infini

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