lundi 31 mars 2008

L'Heure est au Verbe

" Ce sont les Trois Inconsolés. Je les aime beaucoup, ces trois-là. La langue Allemande excelle dans l'art de souffrir, et dans cet art, ces trois-là sont les meilleurs. Et puis tous les trois souffraient d'écrire en allemand. Ils s'étaient exilés. L'Allemagne les effrayait, elle voulait leur mort. Der Tod ist ein Meister aus Deutschland, avait écrit l'un d'eux : " La mort est un maître d'Allemagne. " (1)

Lorsqu'il lisait, les aiguilles des montres suspendaient leur mouvement circulaire, lorsqu'il lisait les heures doutaient de leur existence, le temps reprenait corps, il s'accordait au mouvement de ses lèvres, à ses respirations, aux marées de mots qui s'élevaient dans le jardin d'été. Lorsqu'il lisait il s'élevait, et les arbres accompagnaient son ascension par le vert sombre de leurs feuilles. Il lisait le temps passé au présent, et le présent des temps oubliés, la vie foisonnait et fleurissait sous les vagues de ses mots illuminés.
à Paul Célan

Que mille mots de printemps fleurissent ta chambre.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Yannick Haenel / Cercle / Gallimard / L'Infini







Dante toujours à l'heure



Comment sortir de cette terrible forêt sanglante, comment s'en échapper sans en perdre la mémoire, comment aborder alors le Purgatoire et le Paradis ?

Première manière : s'accorder en permanence à la vie, à ses douceurs, ses contours, sa peau, être fidèle à la passion des femmes tout en sachant s'en dégager lorsqu'elle devient trop pesante, trop " infernale ", avoir à chaque seconde " le corps à la bouche ", les mots, les phrases, les romans et poèmes inventés ne sont pas autre chose que les parcours du corps, mais cela ne suffit pas évidemment, car la forêt sanglante est parcourue de pièges mobiles, tous plus dangereux les uns que les autres. Il convient donc de nouer des liaisons dangereuses, des " amitiés électives ", théâtre permanent d'urgences verbales, de déplacements de joie, de croisements de regards, d'échanges de phrases et de caresses inventées, et enfin savoir sans arrêt se retirer, se nouer dans son propre vide, du vide contre les herses sanglantes, et les diableries sauvages. L'Enfer est là tout prêt, sous nos pieds, dans nos têtes, dans nos gestes, nos amours, nos jouissances, le savoir c'est déjà apprendre à s'en échapper, non dans une fuite peureuse, mais dans une échappée joyeuse, de l'Enfer passons la rivière et sous les arbres réjouissons nous d'embrasser le Purgatoire.

à suivre

Philippe Chauché

dimanche 30 mars 2008

Changement d'Heure


" Il fait partie des gens qui ne parlent pas directement. Il y avait un jeu d'échecs immédiat dans la conversation. C'était une conversation entre systèmes logiques, et ça c'est amusant. Lacan était tout sauf un progressiste et un humaniste. C'est quelqu'un qui pensait que l'être humain a vraiment de très très mauvaises intentions. Il pensait donc des choses extrêmement raides à ce sujet. Un pessimisme transformé malgré tout en gai savoir. C'est étonnant : comment peut-on avoir à la fois un pessimisme aussi profond, aussi radical, et le prendre un peu à la rigolade quand même. Parce qu'il était rigolo.
Par exemple ?
C'était dans l'attitude, et il a des jeux de mots de Lacan : " les petits souliers " pour parler des analystes, enfin des choses comme ça. Ce sont des choses drôles. Le Panthéon qu'il désignait : il levait le bras et il disait : " le vide-poche d'en face ". C'est assez joli, c'est drôle. Les cercueils qui sont là, " c'est un vide-poche"... Ou alors alors, le fait de publier, avec un jeu de mot sur la " poubellication ". Voilà, c'est assez beau ... " (1)

" J'ai des doutes sur le changement d'heure en été
J'ai des doutes sur qui coule les bateaux,
qui jette les pavés
Des réserves quant à la question d'angle
pour le canapé

J'ai des doutes sur la notion de longétivité
Sur la remise à flot de la crème renversée

J'ai des doutes
Est-ce que vous en avez ? " (2)

Instantané de gris, le ciel se transforme, les feuilles tanguent, les branches des platanes doutent de l'existence du printemps, les femmes traversent la place sans y penser, le gris, le noir, tout pousse à croire que le monde tremble, le ciel s'est mis en deuil, éphémère doute.
Tout tourne sans s'arrêter, tout se renverse, il sait tout cela lorsqu'il aborde cet espace de temps de sa ville, il chante en silence, installe Mozart dans ses yeux, à bien y regarder on verrait qu'il est heureux.
Il se propulse dans les vagues bleues de ses yeux, et le ciel s'illumine, à bien y regarder on verrait sa joie.

" Être artiste : savoir polir les surfaces rugueuses de la réalité jusqu'à ce qu'elles reflètent l'infini, à l'empyrée jusqu'aux profondeurs de l'enfer. " (3)

Il a changé, le monde doit le savoir, il s'élève et s'allonge dans ses mouvements, il a changé, rien ne l'y obligeait, les femmes, elles le savent, et elles s'en méfient. Il flotte, ses bras sont autant de voiles bleues dans la baie de ce port, dont il a oublié le nom, finalement de tous les ports du monde où souffle le vent de la vie, et où les naufrageurs que la mort rétribue s'effondrent devant son visage. Il l'embrasse, et le sable de ses lèvres illumine sa chevelure.

" Nous étions devenus si amoureux, et si tranquilles dans nos jouissances qu'il eût été impossible que nous nous fussions séparés de bon grès sans un évènement qui eut la force de soumettre notre passion réciproque à la belle lumière de notre raison. " (4)

Il s'avance masqué, drapé de mots, de parfums bleus, de musiques, et elle sourit. Il s'est assis à même le sol sur ce tapis de sable, il déroule son roman vrai, elle écoute, les bras repliés sur ses souvenirs, alors il l'embrasse dans le silence des plafonds peints, et le ciel découvre son visage, la peau s'élève, le sang rythme ses phrases, les mots s'oublient, et le silence l'enivre.

Que mille grains de sable glissent entre tes doigts.

à suivre

Philippe Chauché
(1) Philippe Sollers / Lacan Même / Navarin Editeur / et sur Pileface.com
(2) Le secret des banquises / Gaëtan Roussel - Alain Bashung / in Alain Bashung - Bleu Pétrole / Barclay 2008
(3) Arthur Schnitzler / La Transparence impossible / trad. Pierre Deshusses / Rivages poche
(4) Casanova / Histoire de ma vie / Bouquins / Robert Laffont / 1993

samedi 29 mars 2008

Le Ciel Brûle Encore

Il nous arrive de nous croiser, mais nous faisons comme si, comme si nous ne nous connaissions pas, comme si elle n'avait d'autre but que de traverser la ville du nord au sud, comme si je n'avais en tête que de quitter cette rue bruyante, comme si le temps nous était compté, chacun de notre côté, comme si le bleu du ciel nous était indifférent, nous nous croisons sans lever la tête, fixant un point invisible sur la trajectoire de notre marche, détachés, légers, nous marchons, le temps n'est pas dupe de notre stratégie, il nous accompagne d'un léger frémissement d'air chaud, le ciel s'ouvre à nos destinées et un nuage blanc griffe le bleu du ciel.

" Quand le papillon disparut
mon esprit
revint à moi " (1)

Puis, en une fraction de seconde, elle se retourne et embrasse d'un geste long et velouté le mur de la rue, je me fige et lève les yeux vers le bleu du ciel qui se transforme en un bouquet de violettes.

" Comment vivre comme un homme, si l'on n'est pas de temps en temps un dieu ? " (2)

Que mille Sorgues baignent tes pieds.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Wafû / Anthologie Haikûs / trad. Roger Munier / Fayard
(2) Arthur Schnitzler / La Transparence impossible / trad. Pierre Deshusses / Rivages poche

Le Bleu du Ciel

" La journée commençait dans un enchantement. J'éprouvai la fraîcheur du matin, en plein soleil. Mais j'avais mauvaise bouche, je n'en pouvais plus. Je n'avais nul souci de réponse, mais je me demandais pourquoi ce flot de soleil, ce flot d'air et ce flot de vie m'avaient jeté sur la Rambla. J'étais étranger à tout, et, définitivement, j'étais flétri. Je pensai aux bulles de sang qui se forment à l'issue d'un trou ouvert par un boucher dans la gorge d'un cochon. J'avais un souci immédiat : avaler ce qui mettrait fin à mon écoeurement physique, ensuite me raser, me laver, enfin descendre dans la rue, boire du vin frais et marcher dans les rues ensoleillées. J'avalai un verre de café au lait. Je n'eus pas le courage de rentrer. Je me fis raser par un coiffeur. Je m'exprimai par signes. En sortant des mains du coiffeur, je repris goût à l'existence. Je rentrai me laver les dents le plus vite possible. Je voulais me baigner à Badalona. Je pris la voiture : j'arrivai vers neuf heures à Badalona. La plage était déserte. Je me déshabillai dans la voiture et je ne m'étendis pas sur le sable : j'entrai en courant dans la mer. Je cessai de nager et je regardai le ciel bleu. Dans la direction du nord-est : du côté où l'avion de Dorothea apparaîtrait. Debout, j'avais de l'eau jusqu'à l'estomac. Je voyais mes jambes jaunâtres dans l'eau, les deux pieds dans le sable, le tronc, les bras et la tête au-dessus de l'eau. J'avais la curiosité ironique de me voir, de voir ce qu'était, à la surface de la terre (ou de la mer), ce personnage à peu près nu, attendant qu'après quelques heures l'avion sortît du fond du ciel. Je recommençai à nager. Le ciel était immense, il était pur, et j'aurais voulu rire dans l'eau. " (1)



Je traverse l'espace bleu qui me sépare d'elle. Je suis en forêt, sous les arbres, près du fleuve, la douleur s'est calmée, je n'en demandais finalement pas moins, qu'elle s'éloigne, qu'elle m'oublie et se mette à couler tel un corps mort dans les eaux grises du fleuve. Mon coeur n'en revient pas, lui tellement sollicité, et aujourd'hui placé sous contrôles, écrans, diodes, voyants lumineux, alarmes, impression immédiate de l'état des lieux, point d'effort, le silence médical, palpations, palpitations sous les doigts, l'aiguille glisse sur la peau, perfusion bleue, puis c'est l'envolée, la tête dans les plus hautes branches des arbres. Je m'aventure maintenant sur la berge du fleuve, seul, les yeux fermés, j'avance sans savoir, je marche sans connaître, le bleu du ciel griffe ma mémoire, je traverse cet espace imaginaire qui me sépare de ses yeux. Le coeur est oublié, les doigts ne fourmillent plus de ces piqûres de fourmis, les jambes se sont allégées, les bras sont libres, les yeux toujours fermés, le pouls accordé aux remous du fleuve, un oiseau à cet instant s'est posé sur mon épaule, oiseau du paradis aux yeux verts.


Le bleu du ciel résonne dans la musique de Mozart : Milan, mars 1987, Carlo Maria Giulini dirige l'orchestre del Teatro alla Scala, au piano Vladimir Horowitz : concerto pour piano et orchestre n° 23 en la majeur K. 488, Sonate en si bémol majeur K. 333. Il suffit d'écouter. Mozart s'accorde au bleu du ciel, et la rumeur de la rue ne sait rien de ce qui se joue dans le ciel, derrière les murs blancs. Allégresse, légèreté, éclats de grâce, force du mouvement, éclairs des cordes, tout bouge, tout s'élève dans le temps béni. C'est l'évidence de l'être. (2)

Que mille pinceaux dessinent le bleu de tes yeux.

à suivre

Philippe Chauché


(1) le bleu du ciel / Georges Bataille / Jean-Jacques Pauvert, Editeur / 1966

(2) Horowitz Plays Mozart / Carlo Mario Giulini / Orchestra del Teatro alla Scala / DG 1987

mercredi 26 mars 2008

L'Air du Temps

" Les fleurs sont tombées -
nos esprits maintenant
sont en paix " (1)

Rien de plus agréable que de s'installer dans l'air du temps, dans son trouble lumineux et parfois étrange, rien de plus doux finalement que de traverser l'air du temps comme un éclair de lumière les pierres blanches du Palais, rien de plus éclatant que de s'ouvrir comme une rose rouge posée dans son vase et qui apprivoise les éclats de lune.
Je suis Nietzsche descendant la vallée du Rhône, j'ai rendez-vous très loin de là, dans la ville italienne jaune et bleue, j'y croise la mer lente et colorée jaune citron, j'écris ma vie et personne ne me lit.
Je suis Freud tenant dans ses bras la Gradiva, déesse pompéienne, apparition, vitesse du destin insaisissable, explosion intérieure du mouvement.
Je suis Léopardi à Florence, rien ne m'importe plus que le silence, j'écris, j'écris, simplement dans le silence et la lumière fade.
Je suis occupé par l'air du temps, il traverse mon coeur, l'affole, le vrille, le fait exploser, il traverse ma chair, la fait rougir, blanchir, tressailler, il se faufile sous ma peau et s'épanouit dans les gestes lestes de mes mains.


Que mille éclairs surlignent ton regard

à suivre

Philippe Chauché

(1) Koyû-ni / Anthologie Haïkus / traduc. Roger Munier / Fayard

dimanche 23 mars 2008

Le Printemps (3)

" ... Lorsque, venant de Paris en auto (j'ai fait mille fois ce voyage), je dépasse Angoulème, un signal m'avertit que j'ai franchi le seuil de la maison et que j'entre dans le pays de mon enfance ; un bosquet de pins sur le côté, un palmier dans la cour d'une maison, une certaine hauteur des nuages qui donne au terrain la mobilité d'un visage. Commence alors la grande lumière du Sud-Ouest, noble et subtile tout à la fois ; jamais grise, jamais basse (même lorsque le soleil ne lui pas), c'est une lumière-espace, définie moins par les couleurs dont elle affecte les choses (comme dans l'autre Midi) que par la qualité éminemment habitable qu'elle donne à la terre. Je ne trouve pas d'autre moyen que de dire : c'est une lumière lumineuse. " (1)
La lumière de l'autre midi traverse le ciel, le bleu s'invite délicatement, sans effet, en profondeur, avec légèreté, sans effet, cette lumière invente le bleu du temps, le vent s'est évanoui, la douceur n'est pas encore là, il faudra attendre, le printemps de la lumière du midi est patient. Il y a quelques temps, le bleu-vert d'une déesse brillait sur les tendidos des arènes d'Arles, chassant d'un éclair le froid, le gris, le vent et une certaine lassitude. C'est cela aussi la lumière de l'autre Midi. Lumière lumineuse également, il faut seulement voir avec sa peau.

Que mille éclairs de lumière fleurissent dans ton regard.

A suivre

Philippe Chauché

(1) Roland Barthes / La Lumière du Sud-Ouest / Incidents / Seuil / 1987

vendredi 21 mars 2008

Le Printemps (2)

" Sous la pluie de printemps
une belle jeune fille
lâche un long bâillement " (1)
" Une fleur tombée
remonte à sa branche !
non c'était un papillon " (2)

D'où vient la voix ? Il faut se poser la question. De la gorge, du ventre, de la tête, des jambes, des bras, des ongles, des nerfs, du coeur, des muscles, des veines, de la peau ?
La sienne vient de mots qu'elle révèle, du verbe qu'elle malaxe, de la phrase qu'elle écrit dans l'air, de l'encre et du papier. Elle s'élève, la voix dans le centre du monde, elle habite le temps et embrasse l'espace. Non, ce n'est pas une simple liseuse, une passeuse de bonne aventure, c'est une déesse de l'espace et du temps.

Que mille papillons fleurissent dans tes gestes.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Issa / Anthologie Haïkus / trad. Roger Munier / Fayard
(2) Moritake / d°

Le Printemps

C'est donc le printemps, même s'il se donne des airs d'hiver, il n'en est pas moins là, derrière les affronts du vent du nord. Printemps du temps et des écrivains, printemps du corps, encore endormi, printemps des voix qui claquent sur les mats de la nostalgie, cette crépusculaire tentation. C'est le printemps qui s'offre sans voile et dans le temple, cette manière unique d'être au coeur de la fleuraison de la déraison.

Je viens de prendre livraison du dernier numéro de L'Infini baptisé " Roman et Références Historiques " 1983 - 2007, le printemps d'une revue littéraire qui s'ouvre sur cette phrase : " Cette publication permanente n'a pas de prix. Chaque souscripteur se fixe à lui-même sa souscription. " Isidore Ducasse, Poésies.

Printemps permanent des Poésies, cette bombe à retardement, cette déchirure du temps, pour mieux s'en saisir, cette percée dans l'histoire, cette implosion des corps.

Lisons : " Je suis une mémoire devenue vivante, dit Kafka, d'où l'insomnie." Il faut lire Cervantès et Kafka ensemble. Kafka est du Cervantès accéléré. S'il parle si souvent, dans son Journal ou ses lettres, de son sentiment d'effondrement, d'incapacité, de paralysie ; de sa sensation permanente d'être " guetté ", c'est qu'il a mis en marche un engrenage d'une grande rapidité ( Le Verdict écrit en une seule nuit ) et qu'il redoute la vengeance de l'esprit de pesanteur, le Diable lui-même ( digression, frein, retard, allusions incompréhensibles et sans doute stupides, malentendus, maladies et malveillances comme organisées, on n'arrivera jamais, il neige , " il y a un but mais pas de chemin, ce que nous nommons chemin est hésitation " ). Quelqu'un de né pour la vitesse pure et condamné au métier d'arpenteur ? Un séducteur inné obligé de penser au mariage ? Un voyageur tous terrains forcé de vivre à Prague, horloge arrêtée ? Un Juif tchèque parlant le yiddish et virtuose de l'allemand, entendant par avance dans l'allemand sa propre destruction programmée par la chape de plomb philosophique ? Tout cela, tout cela, et bien d'autres choses encore. L'expérience de K. est urgente. " L'évolution humaine : une croissance de la puissance de la mort. " (1)
Mais aussi l'affaire Artaud, et la publication "inacceptable" de la conférence du Vieux-Colombier ( 13 janvier 1947 ) : " La mort, comme le reste, n'est qu'une poudre de perlimpinpin, une attrape pour les gogos. "
Ou encore : " Chu Ta, 1626-1705, Le pinceau chargé de pensées printanières rêve d'éclore en fleurs au point du jour. ", et plus loin " Il n'y a rien en dehors des classiques. Pour complaire à un amateur, même le plus princier, un musicien ne pourrait pas ajouter une seule note aux sept de la gamme. Il doit toujours en revenir de nouveau à la première. Et bien, en peinture, c'est la même chose. " (2) et enfin : " Son corps est comme du bois mort, son coeur comme de la cendre éteinte. Vraie est sa connaissance. Il se détache de tout savoir acquis. Ignorant et obscur, il n'a plus de pensée. On ne peut plus discuter avec lui, ah quel diable d'homme ! " (3).
Voilà, je vous le disais, c'est le printemps.

Que mille fleurs de sable t'entourent.

à suivre

Philippe Chauché








(1) Philippe Sollers, " Personne n'aime la littérature ", L'Infini n° 32
(2) Renoir - Augustin de Butler, " Le rire de Renoir ", L'Infini n° 77
(3) Zhuang zi - in Sujet - Philippe Sollers, L'Infini n° 88

jeudi 20 mars 2008

L'Ecrivain (4)

Dante par Sandro Filipepi dit Botticelli

" Ysé :
Je suis contente. / Contente d'être tout. / Pour toi, contente d'avoir tout pour moi. / Mais quoi, montre-moi tes yeux. / Qui ont la couleur des miens et ne les tiens pas ailleurs un moment ! / Et cela me donne confusion et désir, de voir tes yeux. / Et moi, regarde-moi aussi, me voici. / Et regarde chaque chose bien comme un vase que tu viens d'acheter. / Et que tu fais reluire au soleil, et l'émail, et ce défaut que l'on éprouve avec l'ongle. / Et la marque du fabricant.
Mesa :
Tu es radieuse et splendide ! tu es belle comme le jeune Apollon ! / Tu es droite comme une colonne ! tu est claire comme le soleil levant ! / Et où as-tu arraché sinon aux filières mêmes du soleil d'un tour de ton cou ce grand lambeau jaune / De tes cheveux qui ont la matière d'un talent d'or ? / Tu es fraîche comme une rose sous la rosée ! et tu es comme l'arbre cassie et comme une fleur sentante ! et tu es comme un faisan, et comme l'aurore, et comme la mer verte au matin pareille à un grand acacia en fleurs et comme un paon dans le paradis. " (1)

" Vous dites Claudel, et, immédiatement, les clichés déferlent : dogmatique, épais, pétrifié, pétainiste, papiste, couvert d'honneurs, imposteur, poète reconnu donc maudit, cul béni, homophobe, sexophobe, tank de la réaction - l'horreur. La haine que suscite Claudel est, à la limite, presque plus intéressante que lui. Mais être ainsi constamment attaqué de partout depuis un siècle veut sans doute dire qu'on occupe une place centrale, surtout si le siècle en question s'est surpassé dans le mensonge, l'abjection, la terreur. Le problème est donc le suivant : que ne veut-on pas savoir de Claudel ? Pourquoi cette rapidité à se laisser piéger par ses masques ? Et d'ailleurs qu'a-t-il voulu lui-même cacher ou protéger ? Tout se passe en effet comme s'il n'avait pas hésité à en remettre dans le malentendu, la provocation, l'outrance. Il est invisible du dehors, Claudel. Il veut dissimuler un trésor. " (2)

Et ce trésor, la langue illuminera comme un soleil la nuit de la carrière Boulbon cet été, cette langue du Partage de la langue et des corps sera portée comme une croix de fleurs par des corps et des voix de grâce. Il faudra être attentif et ce qui se dira là. Le Partage de Midi vivifié par Valérie Dréville et ses partenaires d'un temps.
Ce que dissimule Claudel c'est une langue, une poésie d'éclats, d'élévation, de miracle, un dialogue permanent avec l'océan de la langue, échange lumineux avec Dante, qui sera lui aussi convoqué cet été durant le Festival d'Avignon, il faudra écouter, se mouler dans la langue de l'italien éblouissant et du chinois de Notre Dame, il faudra être amoureux du temps et du verbe, être chinois, troubadour, musicien, corps sauvé et immortel pour entendre ces mots, ces phrases, cette avancée vers le bonheur. C'est simple.

Que mille bourgeons s'ouvrent sous tes mots.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Paul Claudel / Le Partage de Midi / Gallimard
(2) Philippe Sollers / Connaissance de Claudel / Eloge de l'Infini / Gallimard

mardi 18 mars 2008

Le Temps des Jeux

" Une phrase, si c'est une phrase, on entend dans sa contorsion, de la majuscule au point final, le bruissement du stylo qui s'enfonce dans le velouté du papier ; une phrase, si c'est une phrase, rejoue, lorsqu'on la lit, la gamme des ajustements qui ont conduit à sa naissance ; elle refait poétiquement, au creux de votre oreille, chaque mouvement qui l'a rendue possible, et délivre, si c'est une phrase, et si votre oreille est patiente, ces chatoiements, cette brusquerie, ces éclats onduleux ou crissants par lesquels une phrase devient musique. " (1)
" Le sommeil, on ne le sait pas assez, est un puissant remède contre la mort et la servilité de la mort. M.N. est un virtuose du sommeil, un expert de son délire contrôlé, de ses bacchanales absurdes. Il sait dormir, il sait être éveillé, il se couche parfois avec l'air amusé de celui qui est curieux de savoir ce que ses cauchemars lui réservent. Rien de nouveau, toujours la même mécanique humaine, trop humaine. Il note d'ailleurs qu'il s'approche de plus en plus d'une métamorphose ininterrompue :
" Tu dois te glisser, en un court intervalle de temps, dans la peau d'un grand nombre d'individus. Le moyen en est la lutte perpétuelle. " (2)

Dans mon sommeil j'escalade ma bibliothèque imaginaire et je danse dans les rues où vivent des vierges de pierre blanche, dans mon sommeil je me saoule de lumière et de musiques, tiens c'est Mozart qui m'ouvre les yeux, qu'elle croit fermés, tiens c'est Bley qui jongle avec le flot de fictions qui courent sur mes joues, ici plus étrange Monk dont les accords résonnent dans mes chevilles, et mes fées s'étonnent de la troublante légèreté de mon sommeil, de son détachement, la mort a beaucoup de mal à s'y fixer, la douleur à s'y installer, la peur et son masque passe son chemin, tout est calme et voluptueux.

Que mille éclats d'or brillent dans tes yeux

à suivre

Philippe Chauché




(1) Yannick Haenel / Evoluer parmi les avalanches / Gallimard / L'Infini
(2) Philippe Sollers / Une Vie Divine / Gallimard

samedi 15 mars 2008

Les Jeux du Temps (3)

" M.N., ce matin, se sent d'attaque. Il sort de nouveau dans Turin, il n'a emporté que son petit volume d'Héraclite, toujours le même livre et jamais le même, on peut y revenir sans cesse comme si c'était la première fois. Les mots sont imprimés, mais, au fond, ils auraient pu ne pas l'être. On dirait que ça se passe directement dans l'air. Exemple : la guerre est le père de toutes choses, la foudre gouverne, le feu juge, les saisons apportent , le soleil est nouveau chaque jour. " (1)

Les vierges de la rue savent tout cela, mais il est temps qu'elles se retirent, elles ne vibrent que la journée, lorsque le soleil allume leurs regards. La nuit est là. Vous la craignez ? Vous tremblez ? Pauvres humains, reprenez vous ! Que dieu, vivez !

Ces instants, qui sont mille raisons t'appartiennent.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Philippe Sollers / Une Vie Divine / Gallimard

Les Jeux du Temps (2)

" Qui m'a vu pendant cet automne au cours des soixante-dix jours où je n'ai fait, sans interruption, que des choses de premier plan, des choses que personne ne saurait imiter, sur lesquelles personne ne pourrait m'en rendre, qui m'a vu à ce moment-là, chargé de la responsabilité de tous les siècles à venir, n'a pas pu surprendre en moi la moindre trace de tension : tout au contraire, il a dû constater une fraîcheur d'esprit, une gaieté débordantes. Jamais je n'ai mieux mangé, jamais je n'ai mieux dormi. - Je ne sais d'autre méthode que le jeu pour m'occuper des grands problèmes : c'est un des signes essentiels auxquels ont reconnaît la grandeur. " (1)

" En septembre 1888, dernier mois et dernière année du faux calendrier, M.N. habite à Turin au 6, via Carlo Alberto, au troisième étage, en face du puissant palazzo Carignano, avec vue sur la piazza Carlo Alberto et, au-delà, sur un paysage de collines.
Il parle d'une " grande victoire ", car il vient d'achever son Inversion des valeurs (inversion d'une inversion), et dit se trouver comme au " septième jour, avec le loisir d'un dieu désoeuvré le long du ".
" Jamais je n'avais vécu pareil automne, ni cru qu'une chose senblabe fût possible sur terre, chaque jour de la même irrépressible perfection. "
Il sort avec, dans sa poche, les poèmes de Sappho, un petit Héraclite qui ne le quitte jamais, et les Bacchantes d'Euripide. Du grec, toujours du grec, du fleuve grec, du soleil grec. Il connaît la plupart des fragments par coeur, mais le papier imprimé le rassure. Les dieux sont là, sur la place, dans les rues, derrière les façades, dans les blancs entre les lignes, les passages manquants, les vers ou les sentences méconnues. C'est vraiment un automne grandiose, l'an 1 du Salut. Fin d'un temps. Fin d'une Histoire. Apocalypse, Réveil, Recommencement général. " (2)

Ils sont tous là, à mes côtés, dans ma rue, les yeux dans ceux des statues des vierges posées dans leurs niches claires, tous là à m'accompagner, F. plus lumineux que jamais, il porte bien ses 234 ans, S. léger, de plus en plus léger, de plus en plus immortel me souffle t-il, N. enfin libre, libre de toute contrainte et de toutes les attaques de ses maladifs admirateurs, H. en partance, une nouvelle fois pour Venise, vers de nouvelles raisons déraisonnables, P. qui lui revient du Paradis, court séjour, il redescent un temps au Purgatoire, pour y retrouver quelques amies, le M. que l'on vient de libérer, enfin c'est ce qu'ils affirment, ils oublient que je n'ai pas une seconde était enfermé, question essentiellement romanesque, R. qui danse dans la rue, qui vole comme dans les romans de Y., nous allons ainsi, inventer ce monde là, le siècle doit s'attendre à des bouleversements, un seisme de l'intérieur, un tremblement de veine et de peau. Les vierges qui nous regardent approuvent de l'auréole. C'est le printemps et nous renversons le temps !

Que mille romans fleurissent tes gestes.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Friedrich Nietzsche / Ecce Homo / trad Alexandre Vialatte / 10/18
(2) Philippe Sollers / Une Vie Divine / Gallimard

Poésies (2)

" Vieil océan, aux vagues de cristal, tu ressembles proportionnellement à ces marques azurées que l'on voit sur le dos meurtri des mousses ; tu es un immense bleu, appliqué sur le corps de la terre ; j'aime cette comparaison. Ainsi, à ton premier aspect, un souffle prolongé de tristesse, qu'on croirait être le murmure de ta brise suave, passe, en laissant des ineffaçables traces, sur l'âme profondément ébranlée, et tu rappelles au souvenir de tes amants, sans qu'on s'en rende compte, les rudes commencements de l'homme, où il fait connaissance avec la douleur, qui ne le quitte plus. Je te salue, vieil océan ! " (1)

Elle traverse l'espace qui nous sépare du large, et applique ses mains sur le souvenir vivant de mes amoureuses, elle dépose ses algues à mes pieds et chante les mélodies marines apprises chez les pilleurs de caravelles, ses doigts s'allongent au contact de mes pensées, ses lèvres palpitent comme un petit poisson abandonné sur le sable par le retrait subit de la vague blanche, elle dessine sur les tapis des formules magiques qui ouvrent les portes de l'océan.

Que mille poissons volants te couvrent d'eau sacrée.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Isidore Ducasse Comte de Lautréamont / Les Chants de Maldoror / Champ Premier / Oeuvres complètes Fac Similés des Editions Originales / La Table Ronde / 1970

Flèches

" Anéantissez donc à jamais tout ce qui peut détruire un jour votre ouvrage "
" En France, il suffit qu'on soit quelque chose pour vouloir être tout. "
" A bas le sommaire, vive l'éphémère. "
" Un grand nombre de méchants écrivains ne tirent leur subsistance que de la sottise du public. "
" Ma philosophie ne m'a rien apporté, mais elle m'a beaucoup épargné ".
" Désormais, c'est de gaîté d'imagination que j'écris. "
" C'est se montrer bien peu sage et bien peu philosophe qu'entendre que la vie devienne toute sagesse et toutes philosophie. "
" Celui qui désire des choses élevées est élevé. "
" Je ne partage pas mon temps, je l'offre. "
" Ne sois jamais trop sage, tu deviendrais stupide. "
" La lucidité est la morsure de la mort dans la chair de la conscience. "
" Rien ne m'est plus étranger que la fidélité. "
" Le doute je m'en charge le matin, rasoir à la main. "

A bien lire, tout ceci est signé dans le désordre absolu : Sade, Léopardi, Marx, Schiffter, Anonyme, chauché-écrit, L'Ecclésiaste, Maître Eckhart, Schopenhauer.

à suivre

Philippe Chauché



Mai 68

" Peut-être aurions-nous pu être un peu moins dépourvus de pitié, si nous avions trouvé quelque entreprise déjà formée, qui nous eût paru mériter l'emploi de nos forces ? Mais il n'y avait rien de tel. La seule cause que nous ayons soutenue, nous avons dû la définir et la mener nous-mêmes. Et il n'existait rien au-dessus de nous que nous ayons pu considérer comme estimable. (1)
" Avions-nous à la fin rencontré l'objet de notre quête ? Il faut croire que nous l'avions au moins fugitivement aperçu ; parce qu'il est en tout cas flagrant qu'à partir de là nous nous sommes trouvés en état de comprendre la vie fausse à la lumière de la vraie, et possesseurs d'un bien étrange pouvoir de séduction : car personne ne nous a depuis lors approchés sans vouloir nous suivre ; et donc nous avions remis la main sur le secret de diviser ce qui était uni. Ce que nous avions compris, nous ne sommes pas allés le dire à la télévision. Nous n'avons pas aspiré aux subsides de la recherche scientifique, ni aux éloges des intellectuels de journaux. Nous avons porté de l'huile là où était le feu. (2)
" Lorsque l'ennemi est en position de force, sachez l'entamer, lorsqu'il est bien nourri, l'affamer, lorsqu'il est au repos, le pousser à l'action. " (3)
" Un écrivain ne peut avoir, en tant que tel, qu'une position extrême ; ou alors il n'écrit pas. Mais cette position évite de l'assimiler à un point de vue humain. Elle resterait, dans ce cas, unilatérale, comme le serait aussi la position contraire. Comme Moi humain, jamais tu n'entreras de plain-pied dans la " littérature ". Tu ne t'inséreras en elle qu'en t'encrant à ce que Paulhan nomme " cet étrange point d'indifférence ", point qui te rend étranger par rapport à l'ensemble des opinions soutenables.
Que ta singularité se rende VRAIMENT sensible à ce point mystérieux, et déjà tu sautes d'un plan à un autre : une force, d'autant plus violente que lui fait défaut la moindre assise, t'arrache à la platitude des automatismes, aux glapissures d'une vie creuse et rétrécie. Et cette force néantisante attaque en cisaille tout ce qui enchaîne l'unique à un horizon commun. " (3)

Aujourd'hui, les forces du néant ont mille visages et mille moyens d'attaquer, on ne les voit jamais où on pense les découvrir, on ne les apperçoit jamais où on pense qu'elles se sont installées, on ne se doute pas des moyens qu'elles utilisent, chaque terrain est à l'évidence pour elles un terrain de victoire, nous devons donc nous armer de savoirs guerriers - la Chine en est un réservoir immense où il n'est pas inutile de se plonger - d'immenses connaissances poétiques - il est donc urgent de visiter Lautréamont -, de musiques romanesques - misons pour voir sur Monk, Mozart, et Vivaldi -, de foudroyants mouvements du corps - sur le terrain du corps, les forces du néant ont mille malices, l'idéal de l'amour et l'amour idéal en est sont des masques, mais nous en savons tellement que ces mensonges nous laissent songeurs -, et de dérives permanentes - dérivants nous devenons immortels, et le néant n'entend rien à l'immortalité -, il nous reste à les vérifier quotidiennement.

Que mille roses ouvrent ta marche.

à suivre

Philippe Chauché

(1) et (2) Guy Debord / In Girum Imus Nocte et Consumimur Igni / Editions Gérard Lébovici / repris par les Editions Gallimard
(3) François Meyronnis / L'Axe du Néant / Gallimard / L'Infini

vendredi 14 mars 2008

L'Art de la Prudence

" C'est la vie des grandes qualités, le souffle des paroles, l'âme des actions, le lustre de toutes les beautés. Les autres perfections sont l'ornement de la nature, le je-ne-sais-quoi est celui des perfections. Il se fait remarquer jusque dans la manière de raisonner ; il tient beaucoup plus du privilège que de l'étude, car il est même au-dessus de toute discipline. Il ne s'en tient pas à la facilité, il passe jusqu'à la plus fine galanterie. Il suppose un esprit libre et dégagé, et à ce dégagement il ajoute le dernier trait de la perfection. Sans lui toute beauté est morte, toute grâce est sans grâce. Il l'emporte sur la valeur, sur la discrétion, sur la prudence, sur la majesté même. C'est une route politique, par où l'on expédie bientôt les affaires ; et enfin l'art de se retirer galamment de tout embarras. " (1)

Voilà ce que l'on devrait aujourd'hui lire sur les feuilles volantes qui fleurissent aux mains de jeunes gens qui se "mobilisent" sur les places de la ville, il serait ainsi très judicieux que les candidats en course pour le second tour des élections municipales se battent "philosophes à la main", on verrait ainsi les rues couvertes de citations de Gracian, Voltaire, Rosset, Schopenhauer, les jeunes militants porteraient à "même la peau" des chemises légères où seraient imprimés des sentences de Nietzsche, d'autres miseraient sur des pensées de Sartre, ou de Levinas, imprimées sur leurs casquettes, les "militants" pourraient ainsi s'adonner au plaisir de la citation, des "flèches" lancées en pleine rue, les candidats même se devraient d'apprendre sur les lèvres quelques "concepts" qu'ils défendraient avant de passer dans l'isoloir, leurs admirateurs se devraient d'offrir des feuilles tirés des meilleurs ouvrages de Wittgenstein, d'Epictète, on trouverait alors très amusant de lire les "pensées" d'Onfray s'envoler sous les éclats du mistral, preuve s'il en était que ce ne sont pas les pensées qui s'envolent, mais leur absence.

Que mille pensées vives éclairent ton visage.

" C'est un malheur d'être méconnu des femmes. C'en est un plus grand de les méconnaître. " (2)

à suivre
Philippe Chauché


(1) Baltasar Gracian : L'Art de la prudence / Tradution Amelot de la Houssaie / Rivages poche
(2) Frédéric Schiffter / Traité du cafard / Finitude

jeudi 13 mars 2008

Le Silence

" La montagne n'est que silence et solitude ;
On n'y voit que des herbes touffues et des arbres épais.
La Cour est la patrie des hommes d'élites ;
Seigneur, comment demeurez-vous dans ce sauvage désert ?

- La Culture des lettres n'exige point de relations fréquentes ; mes pensées sont profondes ;
La science de la philosophie est difficile, et, pour l'acquérir, je marche seul.
J'aime les sources pures, qui serpentent entre ces rochers ;
J'aime aussi ma cabane rustique, paisiblement assise au milieu des pins. " (1)

Je vis de silence, et m'en nourrit, vie de silence, contre le monde du silence.
Je traverse ces sources qui coulent sous mes pieds.
Je plonge mon regard dans l'eau verte et embrasse les carpes qui s'y baignent.
Le silence du temps est un complice, le temps du silence viendra un jour.
Je me nourris de sources de peau, de jouissances qui mêlent le verbe à l'être.
Mes vierges reconnaissantes se découvrent lorsqu'elles m'aperçoivent dans leurs rues.
La Culture des mots n'exige point de relations fréquentes, mais des relations rares et soyeuses.
Je ris de toutes les facéties des hommes, et sommeille sous les oliviers.


Que mille nuages caressent ta peau.

à suivre

Philippe Chauché



Ouang-oey / Poésies de l'époque des Thang / Traduites du chinois par le Marquis d'Hervey-Saint-Denys / Editions Ivrea

mardi 11 mars 2008

Passions Entrecroisées

C'est un peu par hasard, mais comme je me fais fort d'être toujours à la hauteur du hasard, que je suis tombé sur un petit ouvrage de Clément Rosset : La Nuit de Mai.
L'écrivain philosophe, le philosophe rieur, goûteur comme aucun autre semble t-il de Schopenhauer, apôtre du réel, et de la belle langue, aime les passions multiples, les éclaire, ce qui d'évidence n'est guère surprenant, pour qui sait vivre, écrire, et donc lire.
Il est question dans cet opuscule du désir et de l'amour, du désir chez Proust, et de l'amour (perdu ?) chez Balzac, deux auteurs on le sait que sépare une galaxie d'étoiles.
Clément Rosset avance quelques principes, vérifiez s'ils vous concernent :

" ... un objet d'amour n'est jamais seul mais toujours accompagné...d'un ensemble de facteurs favorables qui le favorisent et lui tiennent lieu, comme pour un mets réussi, d'excellente et nécessaire " garniture".
... Etre amoureux signifie qu'on est amoureux de tout, comme l'exprime si bien un amant dans une pièce du dramaturge latin Trabéa : " Je suis joyeux de toutes les joies ", omnibus laetitiis laetum.
... l'accomplissement d'un désir n'a de sens que s'il est accompagné de la perspective de mille autres accomplissements du désir, ...
... l'objet désirable n'est désiré que si l'accompagne la perspective, même fugace, d'une multitude d'autres objets désirables, que dans la mesure où il est mobile, où il ne tient pas en place, tel un vif-argent..." (1)

Et de regarder de près dans ce petit livre salutaire, l'état du dépressif, qui n'a finalement qu'un seul objet de (non) désir.
C'est net, coupant, vif, brûlant comme un alcool fort. C'est un traité de vie, à lire et à relire, à appliquer si ce n'est déjà fait.
Seules, les Passions Entrecroisées donnent tout leur sens au mot passion. Il faudra s'en souvenir.

Que ta vie soit éclairée de mille passions.

à suivre
Philippe Chauché

(1) Clément Rosset / La Nuit de Mai / Les Editions de Minuit

Matins Délicieux

" La plume qui court, sa pointe, le papier à peine effleuré, l'encre, les oiseaux très tôt (l'air). La marée se prépare, hémorragie bleue. " (1)

" Chaque fois, les phrases se sont mises à fonctionner avant que je sois là, ou plutôt leur espace, leur air. J'ai continué, ce qui veut dire : garder le commencement, sans cesse. " (2)

" Nous voici parvenu au coeur ardent du livre. Ca palpite tout proche de l'abstraction. Chaque avancée devient périlleuse. Chaque phrase se forme au bord de sa propre falaise. Lisez doucement. " (3)

Peu écrit ces jours-ci, l'agitation "politique" n'y est peut-être pas très propice, peu écrit, mais beaucoup enregistré, vu, senti, écouté. J'ai finalement beaucoup écrit dans le manuscrit secret de ma mémoire. L'auteur traverse le temps présent sans qu'on le voit, il vole - comme les filles de Pina Bausch - entre pavés et statues de vierges silencieuses. Il s'accorde au bleu du ciel - ah ! Bataille - à la musique des yeux d'une aventurière passée maître dans l'art de disparaître. Quelques vérifications pourtant, le monde manque de piquant, de grâce, d'inspiration, de respiration, de silence, de musique, d'éclats de rire, de "temple". Pas de raison d'en désespérer, et mille raisons d'en rire, le renversement s'opère là, dans le rire.

Vérification : France Culture, dans un reportage sur des femmes "sans idendité" française, ce néologisme : " sans papières " ! Preuve s'il en est, que le néogâtisme gélatineux se porte à merveille :

" L'esprit de sérieux règne. Tout est grave. Lourdeur du monde. Pas d'humour. Surtout pas. Tout est grave, sachez-le, répétez-le, ruminez-le. " (4)

Que mille martinets peuplent tes rèves.

à suivre

Philippe Chauché




(1) et (2) Philippe Sollers / Carnet de nuit / Plon
(3) Yannick Haenel / Cercle / Gallimard / L'Infini
(4) Daniel Accursi / Le néogâtisme gélatineux / Gallimard / L'Infini

dimanche 9 mars 2008

Eclats de Chine (2)



" Il n’y a pas, pour des révolutionnaires, de possible retour en arrière. Le monde de l’expression, quel que soit son contenu, est déjà périmé. "
G. Debord


C'est une nouvelle fois la Dynastie des Tang qui nous éclaire ce matin :







" Limpide, peu profonde, l'arène aux cailloux blancs sous l'eau



Les verts roseaux, on pourrait les saisir



Des familles habitaient aux rives du ruisseau



Elles lavaient la soie grège au clair de lune " (1)

Nous inventons à chaque seconde un monde qui nous ressemble, nous croisons des déesses qui dansent, des poètes silencieux, des musiciennes amoureuses, des écrivains chinois, des architectes aux mains de verre, des équilibristes du verbe, à chaque seconde nous croisons notre ombre généreuse, et personne ne le sait, nous dirons tout dans dix mille ans.





Que ton chemin soit éclairé de mille cailloux blancs




à suivre

Philippe Chauché




(1) Wang Wei / Les Belles Lettres / trad. Maurice Coyaud

samedi 8 mars 2008

Eclats de Chine

" Montagne - vide / n' - apercevoir - personne
Seulement - entendre / de l'homme - voix - résonner
Retour - rayon / pénétrer - profondeur - forêt
A nouveau - briller / vert - mousse - au-dessus. " (1)

" La lune se lève, les oiseaux se nichent - c'est fini :
Dans le silence assis - la forêt vide.
A ce moment le monde de la conscience est paisible,
On peut jouer du luth non décoré.
Limpidité et froideur viennent de la nature du bois,
Calme et détachement s'accordent au coeur de l'homme (...)
Le son se prolonge - tous les mouvements cessent ;
La mélodie s'achève : la nuit d'automne s'approfondit. " (2)



Les éclats de vie épandent leur poudre d'or sur ma peau.
Et je m'envole brillant d'eau et de lumière.
Les éclats de joie affermissent mes muscles.
Et je me dérobe aux sombres pensées pour n'embrasser que le temps.

La Chine, toujours la Chine me disent-il, l'amour du temps, toujours l'amour du temps ajoutent-ils, c'est pourtant simple : corps en suspens, liberté absolue de l'état, musique silencieuse, amour permanent, pleurs ignorés, peurs abandonnés, chantages rayés, question d'esthétique et d'éthique, simplement.

Que mille pensées fleurissent sous tes pas d'ange.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Wang Wei / in Eloge de la fadeur / A partir de l'esthétique de la Chine / François Jullien / Biblio essais / Le Livre de Poche
(2) Bo Juyi " Le luth à cinq cordes " in d°

jeudi 6 mars 2008

Liberté de l'Ecrivain

" J'ai insisté : " Je voudrais que les filles volent, c'est cette phrase que j'aime, c'est une phrase de vous, n'est-ce pas ? "
Là, Pina Bausch, elle était coincée : après une telle phrase, impossible de partir, alors elle a allumé une autre cigarette et avec cet accent allemand qui, aujourd'hui, me semblait ravissant, elle a dit : " Oui, monsieur, cette phrase est de moi. "
J'ai un peu exulté : puisque cette phrase était d'elle, puisqu'elle voulait que les filles volent, eh bien je voulais savoir si elle avait réussi, les filles, à les faire voler ; et puis, pourquoi les filles ? Est-ce que les hommes, eux, ne volent pas, ou plutôt, est-ce qu'il est impossible de vouloir que les hommes volent ? Bref, pourquoi les filles et pas les hommes, la question, à Pina Bausch, je la posais.
Alors Pina Bausch a souri, je dirais même qu'elle a un peu ri. La lumière étincelait doucement, elle miroitait sur les vitres des bus. Le vieux type s'était levé, il dansait devant son banc, la bouteille à la main, comme un prince folâtre : " Poètes, vos papiers ! " gueulait-il encore en se raclant la gorge : " Poètes, vos papiers ! " En tirant sur sa cigarette, Pina Bausch m'a dit : " Les filles volent, monsieur parce qu'elles sont plus légères. " (1)

L'écrivain s'envole, car ses gestes sont plus amples, plus prolongés, ils résonnent mieux dans l'espace et le temps, ils vont de la terre au ciel, l'écrivain vole sans le savoir, et s'il le sait, il n'en dit rien. Ses mouvements sont invisibles, ce sont ses mots qui semblent voler, ce sont ses phrases qui paraîssent si légères, l'écrivain libre s'envole à chaque instant. Ses livres s'enlovent eux aussi. Sa liberté est là !

Que mille danseuses s'envolent pour toi.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Cercle / Yannick Haenel / Gallimard / L'Infini

mercredi 5 mars 2008

L'Ecrivain (3)

Proust toujours présent, toujours incontrôlé et incontrôlable, insaisissable par la police littéraire.
Trop moderne, trop actuel.
Vérifications :
" Il m'a semblé plus tard que c'était un des côtés touchants du rôle de ces femmes oisives et studieuses qu'elles consacrent leur générosité, leur talent, un rêve disponible de beauté sentimentale - car, comme les artistes, elles ne le réalisent pas, ne le font pas entrer dans les cadres de l'existence commune - et un or qui leur coûte peu, à enrichir d'un sertissage précieux et fin la vie fruste et mal dégrossie des hommes. " (1)

Qui lit cela aujourd'hui ? Qui explore encore ce "monde", ces "manières", ces "états", plus personne peut-être. Qui avance masqué dans le monde, qui ose ces poses singulières, ce français glorieux, qui s'affirme langue à la main pour déjouer les pièges tendus par quelques âmes malfaisantes ?

Que mille phrases peuplent tes réveils.

à suivre

Philippe Chauché







(1) Marcel Proust / A la recherche du temps perdu / Du côté de chez Swann / Gallimard

L'Ecrivain (2)

" Par les fenêtres et la porte du bar, le colonel regarda les eaux du Grand Canal. Il apercevait le grand piquet noir où s'amarrent les gondoles, et, sur l'eau balayée par le vent, la lumière de cette fin d'après-midi d'hiver. Sur l'autre rive, c'était le Vieux Palais et une barge en bois, trapue et noire, remontait le Canal, sa proue renflée soulevant une vague, bien qu'elle eût vent arrière.
Ce sera un Martini très sec, dit le colonel. Un double.
A cet instant précis, le Grand Maître entra dans la salle. Il était en tenue officielle de maître d'hôtel. Et vraiment beau comme il se doit, d'une beauté qui vient du dedans, de sorte que le sourire part du coeur, ou de ce qui est au centre du corps, pour affleurer franchement, magnifiquement, à la surface, c'est-à-dire le visage. " (1)

Ce fût un temps l'homme à abattre - peut-être finalement les chasseurs d'écrivains ont-ils gagné cette guerre, car plus personne aujourd'hui ne s'accorde à ses livres -, pour mille raisons : il boit trop, malmène les femmes - ce reproche fût également fait à Picasso par quelques féministes jalouses, écrivains besogneux, journalistes illettrés, et descendants avides de pigments-dollars - triche sur sa vie, aime la chasse et la pèche au gros, la corrida, l'argent, les armes à feu, n'est pas très net politiquement, se donne des airs d'anarchiste aristocrate, ne pleure pas sur sa condition d'écrivain, n'est jamais éploré, etc. Et pourtant ses livres vivent toujours, secrètement, et ils ne sont pas à mettre en toutes les mains. Nous en reparlerons dans dix mille ans !

" Je n'entre presque jamais dans une église en France, alors qu'en Italie, tout le temps.
Elles sont là, un peu partout, à Venise, elles rivalisent avec les palais, elles sont en activité constante de beauté. " (2)

Depuis longtemps c'est l'homme à abattre, pour mille raisons, il se montre trop, s'aime trop, sa mysoginie est insuportable, il publie trop, nous ennuie avec son dix-huitième siècle, ses passions papistes sont scandaleuses, quant à la Chine, n'y revenons pas, c'est un bourgeois, un aristocrate, un anarchiste trop riche, un manipulateur de l'édition, etc. Mais voilà, ses livres sont là devant nous, lumineux, musicaux, amoureux, distingués, éclatants, étourdissants. Il convient simplement de les lire de l'intérieur. Nous en reparlerons dans dix mille ans !

Que mille oies sauvages traverssent ton regard.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Ernest Emingway / Au-delà du fleuve et sous les arbres / Bibliothèque de la Pléiade/
(2) Philippe Sollers / Dictionnaire amoureux de Venise / Plon



L'Ecrivain

"Jackson, dit-il. Savez-vous ce qu'à dit le général Thomas J. Jackson en certaine circonstance ? Celle où il rencontra sa mort ? Je l'ai su par coeur autrefois. Je ne garantis pas que ce furent exactement ses paroles, bien entendu. Mais les voici comme on me les a rapportées : " Ordre à A. P. Hill de se préparer à l'attaque. " Ensuite il délira encore vaguement. Puis il dit : " Non, non traversons le fleuve et reposons nous à l'ombre des arbres. " (1)

à suivre

Philippe Chauché





(1) Au-delà du fleuve et sous les arbres / Ernest Hemingway / Bibliothèque de la Pléiade

mardi 4 mars 2008

Rares Instants Gagnés



Le temps vous va bien.

à Pascale et Fred.

Ces mille bonheurs sont pour vous.

à suivre

Philippe Chauché

L'espace Secret


Tout se joue là, dans cet espace invisible où l'homme dessine son avenir et celui de ses amours.
Que mille toreros adoucissent tes douleurs.
à suivre
Philippe Chauché

Escales

La Garonne, éclat de sable et de lumière, m'interroge souvent, je lui offre une fidélité d'Océan.

"Souvenir" (1) :

" Le vent du Nord-Est se lève,
De tous les vents mon préféré
Parce qu’il promet aux marins
Haleine ardente et traversée heureuse.
Pars donc et porte mon salut
A la belle Garonne
Et aux jardins de Bordeaux, là-bas
Où le sentier sur la rive abrupte
S’allonge, où le ruisseau profondément
Choit dans le fleuve, mais au-dessus
Regarde au loin un noble couple
De chênes et de trembles d’argent.


Je m’en souviens encore, et je revois
Ces larges cimes que penche
Sur le moulin la forêt d’ormes,
Mais dans la cour, c’est un figuier qui croît.
Là vont aux jours de fête
Les femmes brunes
Sur le sol doux comme une soie,
Au temps de Mars,
Quand la nuit et le jour sont de même longueur,
Quand sur les lents sentiers
Avec son faix léger de rêves,
Brillants, glisse le bercement des brises.


Ah ! qu’on me tende,
Gorgée de sa sombre lumière,
La coupe odorante
Qui me donnera le repos ! Oh, la douceur
D’un assoupissement parmi les ombres !
Il n’est pas bon
De n’avoir dans l’âme nulle périssable
Pensée, et cependant
Un entretien, c’est chose bonne, et de dire
Ce que pense le cœur, d’entendre longuement parler
Des journées de l’amour
Et des grands faits qui s’accomplissent.


Mais où sont-ils ceux que j’aimai ? Bellarmin
Avec son compagnon ? Maint homme
A peur de remonter jusqu’à la source ;
Oui, c’est la mer
Le lieu premier de la richesse. Eux,
Pareils à des peintres, assemblent
Les beautés de la terre, et ne dédaignent
Point la Guerre ailée, ni
Pour des ans, de vivre solitaires
Sous le mât sans feuillage, aux lieux où ne trouent point
La nuit
De leurs éclats les fêtes de la ville,
Les musiques et les danses du pays.


Mais vers les Indes à cette heure
Ils sont partis, ayant quitté
Là-bas, livrée aux vents, la pointe extrême
Des montagnes de raisin d’où la Dordogne
Descend, où débouchent le fleuve et la royale
Garonne, larges comme la mer, leurs eaux unies.
La mer enlève et rend la mémoire, l’amour
De ses yeux jamais las fixe et contemple,
Mais les poètes seuls fondent ce qui demeure. "

Que mille rivières berçent tes gestes.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Hölderlin / Oeuvres complètes / Gallimard /

lundi 3 mars 2008

Les Mots et la Musique

Je suis toujours étonné de l'étonnement que provoque cette remarque :
"la musique, le corps et les mots, c'est finalement la même chose.
J'ai toujours pensé qu'il fallait poser ces deux questions essentielles :
"dis-moi qu'elle musique t'accompagne ?
dis-moi quels écrivains te réjouissent ?
je te dirai où tu en es avec jouissance. "

La musique de Paul Bley m'accompagne ce soir, hier ce fût celle de Mozart, instants gagnés, vie éternelle, grâce de l'accord, élévation vécue.

" C'était un matin d'été, un jour de grande chaleur. Je devais prendre un taxi pour traverser Paris. Le chauffeur, un Asiatique souriant, Mercedes climatisée noire, me dit : " La musique ne vous dérange pas ? - En principe, non. Qu'est-ce que vous avez ? " Il me cite deux chanteurs de variétés, une chanteuse, et puis, surprise, Bach et Mozart. " Quoi de Mozart ? - Le Requiem. - Vraiment ? - nCa ne vous plaît pas ? - Si, si. Quelle interprétation ? - L'Orchestre philharmonique de Vienne. Vous connaissez ? - Un peu. Allez-y, merci."
Il envoie la musique. " Pas trop fort ? - Vous pouvez mettre plus fort. "
L'enregistrement de Karl Böhm, 1971, Hambourg.
La ville commence à défiler, à droite et à gauche. Platanes, foule, platanes, corps plus ou moins dénudés, embouteillages, pollution ambiante, accablement du soleil plombé. " (1)

C'est le tout début d'un roman musical ( peut-il être autre chose ? ), c'est le début de l'aventure. Musique !

" Les vierges du Tintoret t’accompagnent, les navigateurs de la Plaza Mayor t’attendent pour un embarquement immédiat et clandestin. Je dérive au large des pavés. Que le bonheur te garde. Je l’embrasse dans le creux du cou, à la lisière des lèvres, glisse ma main dans ses cheveux d’algues. Ses mots illuminent notre société secrète, je lui dis le bonheur, elle me répond la joie, je lui dis la révolte, et elle caresse le temps, comme lorsque elle projette les accords de son basson dans les volutes de la musique."

Que mille accords ombrent tes pas

à suivre

Philippe Chauché

(1)Philippe Sollers / Mystérieux Mozart / Plon