mercredi 7 octobre 2009

Le Mouvement du Temps (6)



" Je songe à une équation prévisionnelle du hasard et de ses mutations : Pleynet, Lyon, France, 23 décembre 1933... et depuis toujours en association libre. On dit Capricorne ( voyage au Brésil... l'avion passe le tropique du Capricorne )... Ni plus ni moins, quelque héritage génétique... de mes ancêtres les Gaulois... j'en doute... Sang mêlé... goût prématuré pour le luxe... la vie... jouissance en corps... héritage : une âme et un corps, les champs, les bois, les villes désertes... mes apprentissages à Paris... Je n'ai jamais perdu mon temps. N'eus-je pas plusieurs fois une jeunesse heureuse ? Amoureuses... qui étaient-elles ? Qui étaient-ils ? Personne. 1948... Je retiens le Grand Rex... Odette m'accompagne... me suis-je assez fait de cinéma dans mon roman ! Drôle d'équation ! Chaque instant vaut une éternité, le coeur bat comme la rue... le tournant... le passage des feux. Égalité sans égale, vérifiée par la spéculation des paramètres indéterminés ou inconnus... Le quartier de la Goutte-d'Or, en transit... la rue de Provence, une autre initiation et, là-bas, la douceur intime... La nuit sur les quais, la nuit qui marche... enfance, délicatesse inconsciente... Odette et déjà parce que Odette de Crécy et Swann... Il n'y a rien à inventer... les cinq sens en suivent toutes les combinaisons. A quoi bon choisir l'interprète ? Le héros de cette histoire joue comme il joue, parce qu'il joue son jeu comme il est de son jeu, et même s'il ne sait pas qu'il joue, il est sans savoir comme il est sans pensée... et mes yeux reviennent sur eux-mêmes. Et, comme je noterai chaque intrigue romanesque, je noterai le chiffre de chaque attitude, les sensations chiffrées... l'huître et la perle... " (1)

L'évidence du Temps et de son mouvement lui apparaît dans la nuit apaisée, l'éclair de son regard fait voir la lune, toute blancheur révolue, toute lumière vive.
Il traverse l'espace qu'elle habite dans l'art de la révolte permanente de sa solitude. Heureux temps que celui qui m'habite, note-t-il, heureux temps de la jeunesse permanente, loin, fort loin de ce qu'ils entendent par jeunesse, laissons-leur leurs approximations.

Il traverse sa vie future, il écrit sa vie présente et passée, les trois mêlées comme se mêlent les vagues dans l'éclatement des Grandes Marées, sa vie est cette Grande Marée haute, qui lèche la plage, c'est ce qu'il se dit en regardant son cadran solaire amoureux.

Il devine dans son sourire le silence des pierres.

Il écrit dans le mouvement du Temps. A Biarritz, je dévale la rue de la Synagogue et plonge quelques mètres plus loin dans l'océan assoupi, je nage toute la nuit, armé de mon stylo plume noire, note-t-il.

Elle lit ce que j'écris, penchée sur mon épaule, c'est ce qu'il devine, et le croisement et le décroisement des phrases éclairent le mouvement de ses lèvres. Elle lit en silence dans le mouvement du roman, mots vifs portés par un corps musical.


" De se paysage passionné qui se retirera un jour prochain avec la mer, si je ne dois enlever que toi aux fantasmagories de l'écume verte, je saurai recréer cette musique sur nos pas. Ces pas bordent à l'infini le pré qu'il nous faut traverser pour revenir, le pré magique qui cerne l'empire du figuier. Je ne découvre en moi d'autre trésor que la clé qui m'ouvre ce pré sans limites depuis que je te connais, ce pré fait de la répétition d'une seule plante toujours plus haute, dont le balancier d'amplitude toujours plus grande me conduira jusqu'à la mort. La mort, d'où l'horloge à fleurs des campagnes, belle comme ma pierre tombale dressée, se remettra en marche sur la pointe des pieds pour chanter les heures qui ne passent pas. Car une femme et un homme qui, jusqu'à la fin des temps, doivent être toi et moi, glisseront à leur tour sans se retourner jamais jusqu'à perte de sentier, dans la lueur oblique, aux confins de la vie et de l'oubli de la vie, dans l'herbe fine qui court devant nous à l'arborescence. Elle est, cette herbe dentelée, faite de mille liens invisibles, intranchables, qui se sont trouvés unir ton système nerveux au mien dans la nuit profonde de la connaissance. " (2)

Il me reste à embrasser le verbe.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Le savoir-vivre / Marcelin Pleynet / L'Infini / Gallimard
(2) L'amour fou / André Breton / Gallimard

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