dimanche 4 octobre 2009

Octobre Littéraire (Acte 1)




" Le temps de la vie de l'homme, un instant ; sa substance, fluente ; ses sensations, indistinctes ; l'assemblage de tout son corps, une facile décomposition ; son âme, un tourbillon ; son destin, difficilement conjecturable ; sa renommée, une vague opinion. " (1)

Le talent de Schiffter écrivain : attendre que se lève la phrase, prendre de la vitesse, la descendre sans que cela ne se voit, se laisser porter, puis d'un coup de rein, la remonter à contre mouvement et de la main caresser sa crête, comme s'il s'agissait d'un sein.

Le talent de Schiffter écrivain : saisir le vide et s'en amuser mot à mot.

" Biarritz, hôtel du Palais. Les lustres de cristal dégoulinent du plafond comme les stalactites du temps perdu. " (2)

Le talent de Schiffter écrivain : se faire passer pour un auteur de l'inutile.

" Je voulais être un auteur pour les happy few. Les dieux m'ont écouté : d'après les statistiques, je suis le " philosophe " le moins lu de France. " (2)

Le talent de Schiffter " philosophe " : transformer ses ailerons en épées de Tolède.

" En vitrine d'une librairie, une photographie de Matthieu Ricard accoutré d'une panoplie de bonze tibétain d'où se dégage un bras nu et gras. L'art de méditer : Grand Véhicule vers l'Adiposité. " (2)

Le talent de Schiffter philosophe : flânoter dans sa vie.

" Septembre 1966, mon mère meurt dans les bras d'une femme qui n'est pas la sienne. J'ai neuf ans. Ma mère récupère son corps et le fait inhumer dans un cimetière de Toulouse. Pour m'épargner cette épreuve, dit-elle, la cérémonie se passera sans toi. A ce jour, j'ignore l'emplacement de la tombe de mon père. Je n'ai jamais eu le désir de m'y rendre. Il me suffit de savoir qu'il repose... quelque part. Tôt déboussolé, un orphelin erre aisément sur des cartes muettes. " (2)

Le talent de Schiffter auteur : griffer sans compter.

" Quand je regarde à la télévision le chef de l'Etat français, me vient à l'esprit le mot de senoritismo par quoi les Espagnols désignent chez un type son incurie décomplexée, son insensibilité à l'art et à la littérature, son seul goût pour le clinquant et sa propension à rouler les mécaniques - suffisance de " petit monsieur " qu'ils opposent à la hidalguez, fierté discrète du gentilhomme jusque dans la dèche. " (2)

Le talent de Schiffter observateur : tirer l'oreille des humanoïdes.

" Ces journalistes de radio ou de télévision qui confondent liberté de ton et licence verbale ; ces types qui, l'été, se baladent dans Biarritz vêtus de maillots de bain ou de pantalons courts, exhibant leurs mollets poilus ; ces jeunes femmes, jolies, qui se laisser aller à des mimiques ou des postures vulgaires, d'autres qui exhibent des tatouages... Une civilisation se décompose non pas quand des valeurs morales ou des figures religieuses longtemps respectées et sacralisées font faillite dans la conscience collective, mais quand les gens ne sont plus en mesure de distinguer les registres de langage, de gestes, de tenues, et., et de s'y conformer. La barbarie c'est se mettre à l'aise partout comme chez soi. " (2)

Le talent de Schiffter observateur : une oreille parfaite.

" Conversations With Myself. Bill Evans, le Marc Aurèle du jazz. " (2)

Délectations morses. Frédéric Schiffter, le Barney Wilen de l'aphorisme.

Le talent de Schiffter : se tromper sur les " situationnistes ", sur Haenel, Meyronnis et Sollers, sur l'immortalité, sur la joie, sur le bonheur, et réussir à m'amuser avec ses fausses notes.

à suivre
Philippe Chauché

(1) Pensées pour moi-même / Marc-Aurèle / traduc. Mario Meunier / Garnier - Flammarion
(2) Délectations moroses / Frédéric Schiffter / le dillettante

2 commentaires:

  1. Le talent de Schiffter : nous tendre la corde du pendu, sourire aux lèvres. La corde s'amuse, le suicidé a belle mine, à ses pieds fleurissent quelques jolies fleurs des morts.
    Les vagues de Biarritz (remarquer comme ces deux noms s'accordent l'un à l'autre Schiffter/Biarritz) continuent de lécher les pieds vivants du philosophe, et l'air d'octobre caresse avec la même douceur, peut-être la même bienveillance, les flâneurs, les égarés, les à jamais perdus.
    Bon, et alors ?
    Bien à vous, Philippe.

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  2. Alors rien, disait l'autre en avalant son arsenic !

    Bien à vous

    Philippe

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