C'est une nouvelle fois une voix qui vérifie le profond intérêt du théâtre, c'est une nouvelle fois des corps qui l'inscrivent dans l'Instant.
L'un est seul en scène - durant la quasi totalité de la pièce - (1), sa voix est celle d'un acteur qui est aussi psychanalyste, sa voix porte celle d'un médecin argentin qui a un jour "récupéré" une enfant de la dictature, enlevée par les militaires à ses parents assassinés. Sa voix dit l'évidence de sa vie, tout est net, organisé, millimétré, l'autre "temps" est oublié. Mais un jour tout bascule, lorsqu'un avocat des mères et grands-mères des victimes retrouve l'enfant. La vie nouvelle se déchire, l'autre "temps" s'invite, et tout explose, le corps et la voix du médecin, sûr de ses certitudes et de son bon droit. Point de condamnation ici, mais l'affrontement de deux déchirements, d'une histoire qui se poursuit. Vérité des temps, justice de la vérité, et les tremblements de la réalité qui défont les évidences. C'est aussi du trafic des corps dont il est question, du trafic de la vie, et de la puissance du "rêve d'enfants".
Eduardo Pavlovsky porte la puissance absolue du corps de l'acteur, l'étrange séduction de la voix de l'acteur. Ce corps n'a besoin d'aucun artifice pour faire entendre cette histoire "terrible", cette voix d'aucune béquille pour faire entendre l'acte théâtral. Le corps de l'acteur est immense, sa voix trouble le jeu de ce qui est écrit. Il dit et laisse dire mille histoires qui se greffent à celle attendue, c'est peut-être ce que l'on appelle l'improvisation de la voix et du corps de l'acteur. C'est sûrement la vérification que le théâtre est porteur de cet acte fondateur, "je suis toujours à la hauteur du hasard", et ce hasard s'invite pour dire mille détails, qui demain seront autres, pour faire voir une autre face de l'Histoire - dire c'est faire voir et faire entendre, cela se vérifie aussi en amour -, liberté de l'acteur qui nourrit l'histoire des histoires de théâtre qu'il a déjà entendues et vues ailleurs. Vérification nécessaire : la voix porte une fiction qui n'est jamais la même. Miracle du mouvement de l'imaginaire.
Ils sont cinq sur scène, dans l'espace incertain d'un bureau oublié, d'une administration tout aussi invisible qu'absurde, (2) ils n'ont rien à faire qu'à laisser passer le temps inutile. Leurs vies : un naufrage, leurs amours : un vide, leur rêves : oubliés, leurs révoltes : révolues, leurs envies : illisibles.
Voilà ce qui se joue, et cela se joue dans une tension rare, tension du jeu en devenir, de l'acteur tendu comme un arc invisible, du déplacement qui est une explosion, de l'éclat de voix qui est un cri ou un murmure.
Du rien de l'état, naît le tout de l'acte. Je joue dont j'invente en permanence.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Potestad / Eduardo Pavlovsky
(2) Tercer Cuerpo / Claudio Tolcachir - Cie Timbre 4
vendredi 23 octobre 2009
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