dimanche 6 mars 2011

Visages du Roman (2)



" Je suis rentré d'Auschwitz le onze avril 1945. ", c'est ainsi que commence ce minuscule roman, " Je vous donne mon holocauste. Je vous le donne de bon coeur. Et je vous souhaite la mort. " (1) et c'est ainsi qu'il s'achève.
Âmes sensibles passez votre chemin, ce roman au vitriol n'est d'évidence pas fait pour vous, note-t-il.

" Il fallait s'appeler Zimmer à la Libération et flâner aux abords du Vélodrome d'Hiver en arborant un numéro à l'avant-bras. C'était quelque chose. D'un point de vue strictement juif, on ne m'aura jamais oublié avec autant de prévenance qu'en ces jours glorieux. le temps passe mes bons amis. Le temps passe toujours. Et je sais ce que vous avez en tête à l'heure qu'il est. Les synagogues brûlent. On nous donne de nouveau la chasse. Prés de nos maisons, les murs se couvrent d'injures. Je sais ce que vous pensez. Ce n'est que le fait du temps, croyez-moi. Que se consument nos temples. Que se cachent nos prêtres. Il est de s'inquiéter. Ouvrez une bouteille à ma santé, et croyez le vieil homme que je suis. Le temps passera. " (1)

Le temps passera. Zimmer, cet étonnant narrateur en surchauffe, ne craint finalement rien, ni personne, il s'arme de phrases et d'un calibre, pour tirer à vue sur la douce moraline dominante, écrit-il, et tombent les hommes, histoire " de remettre un peu d'ordre dans ce monde ". " J'ai marché à la rencontre de cet homme que je ne connaissais pas, il n'y avait personne d'autre que nous dans la rue, et je lui ai tiré une balle au niveau du coeur. Puis un deuxième. Un Arabe d'une quarantaine d'années, barbu, comme on en voit à la télévision en train de raconter des inepties sur les vices de l'Occident. Coiffé d'un calot blanc. Tennis aux pieds. Je l'ai laissé se vider sur la chaussée. " (1) C'est net et sans appel, directement de la vision à la mort, ajoute-t-il. Le temps passera.

Zimmer, entends ces " Mort aux Juifs " dans les rues : " J'ai écouté sans a priori. Je ne demandais qu'à être indulgent. Non, vraiment, ces " Mort aux Juifs ! " n'arrivaient pas à la cheville de ceux de mes vingt ans.
J'aurai souhaité les crever un par un. Les regarder pisser le sang.
La nostalgie, décidément, est mauvaise conseillère. " (1) et il agit, pour remettre un peu d'ordre dans les phrases. La seule justice qui vaille, c'est la mienne, semble penser Zimmer, et son ironie acide frappe fort : " S'il y a une chose dont nous pouvons être redevables au peuple allemand, c'est d'avoir fait en sorte que, partout en Europe, nous autres, jadis sans terre ni patrie, ayons désormais le sentiment d'être toujours un peu entre nous, chez nous. Paris, Berlin, Vienne, Amsterdam : grâce à Dieu et grâce au Reich, nous sommes partout. Je me demande quelquefois si ça n'est pas trop d'égards. Aller au gré du Vieux continent en se sachant les bienvenus, marcher dans les pas des plus admirables esprits, artistes, hommes d'Etat, manger aux meilleures tables en buvant les meilleurs vins, prendre la mesure du chemin parcouru, et comme si cela n'était pas assez, tomber sur une étoile de David au fronton d'un immeuble. Pas une synagogue ou une boucherie casher, mais un bâtiment offert par les goys à notre peuple afin de nous témoigner leur amitié. Un bâtiment dans lequel leurs regrets ont été mis sous clé. " (1)

Le temps passera, Olivier Benyahya, écrivain ironique, amusé et méchant, trois qualités qui font de Zimmer, pense-t-il, un roman de tous les dangers, il n'a peur de rien, ce jeune écrivain, son narrateur voit tout, alors il insulte et tire à vue. Bien écrit et bien vu, c'est déjà beaucoup !

à suivre

Philippe Chauché

(1) Zimmer / Olivier Benyahya / Allia / 2010

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