mercredi 9 mars 2011

Visages du Roman (3)

Visages du Roman, quatre visages d'écrivains, qui ici et là sont régulièrement insultés, déformés, cadrés par quelques matamores aussi ridicules qu'illétrés, pour tenter, vainement de les transpercer de leurs mauvaises lames, - par parenthèse précise-t-il, cela ne concerne pas quelques amis écrivains qui ont parfois usé de leur talent comme d'une paire de banderille pour clouer sur place, l'un ou l'autre de ces écrivains - et ainsi accomplir ce que la moraline leur demandait d'accomplir.

Quatre ennemis publics (1), qui ont en commun d'avoir un style, et c'est bien là que le bât blesse, le style, cette signature du Grand Siècle, qui pour ces humanoïdes est la pire des déchéances, de beaucoup se montrer, de s'exposer, d'écrire et de parler, sur eux, la littérature, la société, les écrivains, les femmes, les guerres, d'avoir le don des fées de multiplier les ennemis comme le Christ les petits pains, et de signer des romans - malédiction ! - qui, celles et ceux qui les lisent en conviendront, note-t-il - ont un bel avenir devant et derrière eux, quatre écrivains de leur temps, donc des temps passés et futurs, c'est ainsi et c'est finalement très bien !



" La scène se passe à New York. Je dîne chez Feldmann, l'agent littéraire bien connu. J'ai apporté du vin. Sa femme, Elizabeth, vient de me faire, une fois de plus une mini-scène excitée contre mon roman Femmes . On parle des bourgeois français...
- Plutôt Hitler que le Front Populaire ! Ils l'ont pensé ! Ils l'ont dit !
- Sans doute, sans doute, dis-je. Mais l'autre versant du raisonnement, dans d'autres têtes, n'a pas été moins important.
- L'autre versant ?
- Plutôt Staline que la Reine d'Angleterre ! Ça dure encore.
- Vous déconnez.
- Plutôt Goebbels, Beria, que le Pape ! Vous voulez savoir qui pense réellement cela ? Aujourd'hui ?
- Stop it ! Stop it ?
- Plutôt Robespierre, Rousseau, la guillotine, que le libertinage, l'immoralité !
- Arrêtez !
- Plutôt le crime planifié que la liberté sensuelle !
- Non !
- Plutôt la police que l'art leste, enlevé !
- Non, non !
- Plutôt l'ennui et la mort que la musique, la danse, la fête, le hasard, Borgia, l'inégalité fatale des plaisirs ! " (2)






" Il conduisait rapidement, souplement sa Lexus, avec un plaisir visible. " Quand même elles sucent sans capote, ça c'est bien... " marmonna encore vaguement, comme le souvenir d'un rêve défunt, l'auteur des Particules élémentaires , avant de se garer sur le parking de l'hôtel ; puis ils pénétrèrent dans la salle du restaurant, vaste et bien éclairée. En entrée il prit un cocktail de crevettes, Jed opta pour un saumon fumé. Le serveur polonais déposa devant eux une bouteille de chablis tiède.
" Ils n'y arrivent pas... " geignit le romancier. " Ils n'arrivent pas à servir le vin blanc à température.
- Vous vous intéressez aux vins ?
- Ça me donne une contenance ; ça fait français. Et puis il faut s'intéresser à quelque chose, dans la vie, je trouve que ça aide.
- Je suis un surpris... " avoua Jed. " Je m'attendais en vous rencontrant à quelque chose... enfin, disons, de plus difficile. Vous avez la réputation d'être très dépressif. Je croyais par exemple que vous buviez beaucoup plus.
- Oui... " Le romancier étudiait à nouveau la carte des vins avec attention. " Si vous prenez le gigot d'agneau ensuite, il faudra choisir autre chose : peut-être un vin argentin de nouveau ? Vous savez, ce sont les journalistes qui m'ont fait la réputation d'un ivrogne ; ce qui est curieux, c'est qu'aucun d'entre eux n'ai jamais réalisé que si je buvais beaucoup en leur présence, c'était uniquement pour parvenir à les supporter. Comment est-ce que vous voudriez soutenir la conversation avec une fiotte comme Jean-Paul Marsouin sans être à peu près ivre mort ? Comment est-ce que vous voudriez rencontrer quelqu'un qui travaille pour Marianne ou le Parisien libéré sans être pris d'une envie de dégueuler immédiate ? La presse est quand même d'une stupidité et d'un conformisme insupportable, vous ne trouvez pas ? " insista-t-il.
" Je ne sais pas, à vrai dire, je ne la lis pas. " (3)



" C'est son visage qui lui donné l'éveil. Longtemps, à Bruxelles comme à Paris, il a cru et prétendu qu'il n'y avait pas de meilleur guide pour entrer dans le dédale d'une âme que cet enchevêtrement de rides, ridules, plis minuscules, moues, affaissements subtils, rictus, battements de cils qui font une physionomie. Et souvent, le matin, au moment de sortir, il allait à son miroir comme d'autres à leurs fenêtres pour voir, non le temps qu'il faisait au-dehors, mais celui qu'il faisait au-dedans et qui, pendant la nuit, avait probablement sédimenté autour de sa bouche et de ses yeux. " (4)



" Au fond, je n'aimais pas plus la stupeur coïtale que celle du cannabis, et j'ai toujours voué du mépris aux fumeurs de haschich occidentaux, lesquels m'apparaissent comme des faibles : des êtres indignes de commisération, habités par un esprit de veulerie qui est, avec la négligence et le désordre, la chose que j'ai le plus en horreur. La rêverie dispensée par le haschich ( que j'avais naguère essayé pour aller sur les traces de Baudelaire ) n'était en outre qu'une façon d'échapper à la seule stupeur qui vaille : l'écriture, le travail, pour lequel je refuse même les excitants modernes évoqués par Balzac, mais dont j'usais à Beyrouth, après le combat, notamment le whisky et les cigarettes qu'on trouvait à vendre sur les trottoirs en quantité impressionnante, Johnny Walker et Marlboro, surtout, associations que je trouvais plus franche, plus virile. " (5)

Visages du roman, visages d'écrivains : où le style comme un battement d'aile d'ange.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Ennemis publics / Michel Houellebecq - Bernard-Henri Lévy / Flammarion - Grasset / 2008
(2) Portrait du joueur / Philippe Sollers / Gallimard / 1984
(3) La care et le territoire / Michel Houellebecq / Flammarion / 2010
(4) Les derniers jours de Charles Baudelaire / Bernard-Henri Lévy / Grasset / 1988
(5) La confession négative / Richard Millet / Gallimard / 2009

1 commentaire:

  1. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

    RépondreSupprimer

Laissez un commentaire