Mark Rothko, né Marcus Rothkowitz 1903-1970 |
" Je vérifie que tout est en place. Les corps, la concentration, le sérieux, les regards, les épées, le rouge des muletas, le jaune des capes pour préparer la toile. Un taureau doit se lisser, s’épaissir, se dresser, ses pinceaux s’allumer, faute de quoi tout sonne faux. Pour le voir de près il faut avancer la cape et la jambe, se croiser, lui faire sentir la veine, le pigment, le vernis, ne craindre ni la blessure, ni la défaillance, ni la mort. La mort, celle page que le vent fait s'envoler, cette obscurité qui frappe, cette musique glacée qui vrille nos oreilles, cette douleur de l'instant qui disent-ils se prolongent une éternité. Bavardages, la mort, n'arrête rien, ce n'est qu'une halte, une pause, il faut seulement apprendre à reprendre le chemin, léger, soucieux de ce que l'on est, certain de gagner et de chasser la nuit d'un geste, d'un mot ou d'un regard. Comme l’écriture, l'amour, le taureau attend de toi une certaine science, une mémoire vive, des écarts, des croyances, des envolées, des improvisations, des songes, alors, alors seulement tu pourras nourrir d'éclats d'argent ta mémoire, de souvenirs, de portraits crayonnés, d'aventures murmurées, de mathématiques, d’astrophysiques, de philosophies joyeusement désespérées, de plongées célestes, qui s'arrondiront sur le sable blanc du roman de ta vie, et quelle vie ! Pour la grâce, il faudra attendre un peu ! Chaque chose en son temps. Celui de l’instant épouse le silence, le silence de cette ville. Madrid se nourrit de silence, on entend respirer les taureaux comme nulle part ailleurs. C’est dans ce cercle là, que se vérifie la force, la domination, le courage, la science, le raffinement de l’intelligence, la clarté, la beauté absolue. Ce n’est pas une arène, c’est une loupe qui révèle, c'est une partition qui s'ouvre, c'est une église où l'on s'enivre, c'est un lit de roses où l'on nage, c'est un livre ouvert sur toute la poésie du monde, c'est une toile qui s'anime lorsque l'on s'en approche en silence. "
à suivre
Philippe Chauché
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