lundi 26 mars 2012

Choses Lues et Vues



" Si je lis Pascal, si je l'aime comme la victime la plus instructive du christianisme - lente victime de corps, puis d'âme, logique victime de la forme la plus horrible de la cruauté humaine, - si j'ai quelque chose de Montaigne dans la pétulance de l'esprit et - qui sait ? - peut-être du corps, si mon goût défend, non sans âpreté, l'art de Molière, Corneille et Racine contre la barbarie géniale de Schakespeare, je n'en goûte pas moins non plus la société charmante des tout derniers français. Je ne vois vraiment pas en quel siècle le filet pourrait ramener d'aussi nombreux, et curieux, et délicats psychologues que ceux qu'on peut pêcher dans le Paris de nos jours : je nomme, au hasard - le nombre est trop grand - MM. Paul Bourget, Pierre Loti, Gyp, Meilhac, Anatole France, Jules Lemaître ; ou encore, pour distinguer un écrivain de la forte race, un vrai Latin que j'aime entre tous, je citerai Guy de Maupassant. Je préfère même, entre nous, cette génération à celle de ses anciens maîtres toute gâtée par la philosophie allemande (M. Taine, par exemple, par Hegel auquel il doit de s'être mépris sur les grands hommes et les grandes époques). Partout où va l'Allemagne elle corrompt la culture. Il a fallu la guerre, en France, pour affranchir enfin les esprits... Stendhal, l'un des "hasards" les plus beaux de ma vie - car tout ce qui fait époque en moi m'a été donné d'aventure et non sur recommandation, (c'est moi qui souligne) - Stendhal possède des mérites inestimables : la double vue psychologique, un sens du fait qui rappelle la proximité du plus grand des réalistes (ex ungue Napaleonem), - enfin, et ce n'est pas la moindre de ses gloires, un athéisme sincère qu'on rencontre rarement en France, pour ne pas dire presque jamais. (Saluons au passage le nom de Prosper Mérimée). Peut-être suis-je même jaloux de Stendhal. Il m'a volé le meilleur mot que mon athéisme eût pu trouver : " La seule excuse de Dieu, c'est de ne pas exister " ... J'ai dit moi-même quelque part : " Quelle a été jusqu'à présent la plus grande objection à l'existence ? Dieu... " (1)

D'aventure, il s'est retrouvé devant le 38 de la rue Ségurame à Nice, et la situation (au sens qu'en donne Gracian) l'a ensuite conduit à longuement fixer l'espace qui s'ouvrait à lui sur les hauteurs de la ville, prendre de la hauteur pour mieux embrasser l'espace maritime, prendre de la hauteur pour lire les quelques auteurs qui à ses yeux méritent, non seulement de ce qu'il entend par littérature,  mais d'évidence aussi de lui, d'autres ont nommé cela les affinités électives.
Cette position hautement stratégique doit aussi être entendu sur le terrain de l'amour - guerre permanente diraient certains - où il convient de s'avancer avec toute la légèreté et les réserves d'usage - qui sait se donner, sait se réserver, qui sait se découvrir, sait se dissimuler - comme lorsque l'on s'aventure sur les monts et dans les ravins de la littérature.






" Il n'y a qu'une très petite partie de l'art d'être heureux qui soit une science exacte, une sorte d'échelle sur laquelle on soit assuré de monter un échelon chaque siècle, c'est celle qui dépend du gouvernement (encore ceci n'est-il qu'une théorie, je vois les Vénitiens de 1770 plus heureux que les gens de Philadelphie aujourd'hui).
Du reste, l'art d'être heureux est comme la poésie ; malgré le perfectionnement de toutes choses, Homère, il y a deux mille sept cents ans, avait plus de talent que lord Byron.
En lisant attentivement Plutarque, je crois m'apercevoir qu'on était plus heureux en Sicile du temps de Dion,  quoiqu'on n'eût ni imprimerie, ni punch à la glace, que nous ne savons l'être aujourd'hui. (c'est moi qui souligne)
J'aimerais mieux être un Arabe du V° siècle qu'un Français du XIX°. " (2)

Venise, Avignon, tour détour de l'histoire !

à suivre

Philippe Chauché

(1) Ecce homo / Nietzsche / traduc. Alexandre Vialatte / 10-18 / 1988
(2) De l'amour / Stendhal / édition d'Henri Martineau / Le Divan / 1957

5 commentaires:

  1. L'art d'être heureux.... Quelle est l'occurrence la plus importante? L'art ou le bonheur? Je crois qu'artialiser le bonheur est l'élever à la puissance. L'artialisation étant elle même un heureux exercice. D'abord parce que s'il est art, il est invention, création, liberté, ensuite parce que la négociation qui y préside peut être jouissive, délectable. Cela nous conduit à ce qu'est le bonheur. La quiétude? Frichtre non ! Quel ennui ! se contenter de ce qu'on a? Diable, et se soumettre? Irrecevable. Un instant immmense d'émotion? Et l'avant? Et l'après?
    Et si le bonheur était tout simplement vivre? Succession de petits ennuis dépassés, grandissement suite à des événements plus graves, articulation de joies parfois si intimes qu'elles sont invisibles pour les non initiés, d'autres plus manifestes, mais qui toutes ont un sens, une direction convergeant ves les valeurs de l'artiste du bonheur?

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  2. L'artiste du bonheur est un solitaire vigoureux et rigoureux.
    "Artialiser" le bonheur, est en quelque sorte le mettre en lumière - Matisse - et (ou) en musique - Ellington - et (ou) en littérature - Ponge -, ce qui comme vous le soulignez constitue une "négociation" permanente avec les faces sombres et cachées de ces mises en lumière-musique-littérature, il s'agit de ne pas les "détourner" mais les "retourner", pour non pas s'installer "misérablement" dans un imaginaire du bonheur, mais dans le bonheur réel qui ne s'éloigne jamais d'un desespoir tendu et actif.
    Vivre est un acte de résistance - voir la situation de Nietzsche écrivant Ecce Homo - à la vie, de la même façon que la "joie" est un retournement du bonheur, on s'y emploie dans une active solitude lunaire et solaire, non dans le partage - stupide invention de la moraline dominante - mais dans la fracture.
    Aimer revient à fracturer l'amour, comme Rodin fracture le marbre, Monk la mélodie, ou Mallarmé la poésie.

    Bien à vous

    Philippe Chauché

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  3. Dans tous les cas, cher hôte, le bonheur est si subjectif que par définition il dépendra d'une personne. D'une SEULE personne. Qu'ils soit indissociable de la solitude est largement plus discutable à moins d'entretenir avec soi même des relations tellement privilégiées qu'on n'aime nul autre autant voire plus que soi. C'est uen question d'ego.
    D'ailleurs l'un des éléments de la "résistance" nittzschéennne est à mon sens la cohabitation avec soi. L'autre, miroir, permet parfois de la rendre acceptable. et si c'est l'Autre, ça arrive un peu plus souvent.
    Il vous incombe de penser que le partage est étranger au bonheur, à la joie. A mon sens, les deux versions peuvent exister et je m'en vois, de ce fait, plus riche que vous.
    Le partage est une zone de fusion dans la juxtaposition de sentiments, dans le voisinage des personnes qui les vivent. Cette zone peut être minuscule et diaphane, vaste et presque inconsistante, mais elle peut être aussi très fine, très étroite et pourtant d'une extraordinaire densité.
    Si vous n'avez pas vécu cela, c'est dommage pour vous. Moi, j'y cours après.
    Ne serait ce que le rire. N'est il pas partage? N'est-il pas joie? Dissout il les personnes pour autant?
    Alons ! Dans les lignes ci-dessus, vous êtes un ronchon qui élève la gravité au niveau d'une quasi vertu !
    Déloyalement, j'utiliserai pour preuve votre première phrase : L'artiste du bonheur est un solitaire vigoureux et rigoureux. Tigoureux ! Tu parles d'un bonheur ? Un besogneux. Voilà ce que vous décrivez ! Un besogneux de la "cérébralité" !
    Pour moi, pas plus l'art que le bonheur ne sont régis par la rigueur. Si elle s'y invite, elle n'est qu'instrument, serviteur mais en aucun cas élément fondamental !
    Rigoureux ! ... Je rêve !

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  4. Rigoureux et rieur, vigoureux et amusé, et toujours très attentif à vos remarques, peu besogneux, guère cérébral, sensible au vent, au sourire croisé dans le soleil de mars, à la touche et à la matière.

    Bien à vous.

    Philippe Chauché

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  5. L horreur est réfuter le partage, sa richesse. Étriqué. Besogneux et étriqué.

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