jeudi 28 février 2013

Des Maximes au Roman




Vous avez face à vous les 504 Maximes dans la belle édition Garnier et le petit roman d'un descendant de l'admirable penseur. Vous feuilletez l'un et lisez l'autre. Vous vous plongez dans l'un et vous vous amusez à lire l'autre. Des Maximes au Roman écrivez-vous, alors que les pleureuses se livrent à mille contorsions ridicules pour affirmer à quel point la " révolte " et son clown de service est d'actualité, contre les méchants, l'argent, l'ogre mondial, alors que la seule peur qui vous retourne dans votre " Tour " c'est votre fin funeste.
Vous ne savez laquelle ici recopier tant  de justes piques y ont leur place, mais vous ne vous découragez point, en saisissez à la volée cinq ou treize, pour rien, donc pour tout :

174 - " Il vaut mieux employer notre esprit à supporter les infortunes qui nous arrivent qu'à prévoir celles qui nous peuvent arriver. "

195 - " Ce qui nous empêche souvent de nous abandonner à un seul vice est que nous en avons plusieurs. "

210 - " En vieillissant on devient plus fou, et plus sage. "

216 - " La parfaite valeur est de faire sans témoins ce qu'on serait capable de faire devant tout le monde. "

245 - " C'est une grande habileté que de savoir cacher son habileté. "

289 - " La simplicité affectée est une imposture délicate. "

307 - " Il est aussi honnête d'être glorieux avec soi-même qu'il est ridicule de l'être avec les autres. "

387 - " Un sot n'a pas assez d'étoffe pour être bon. "

Des Maximes au Roman, car bon sang ne saurait mentir, d'un siècle l'autre, et d'une plume son fils.
1664 - 2013 : mille raisons d'y être, de s'y perdre et de goûter ce qui en ces temps bavards et fâcheux s'appelle le style.
Qui sait ce que veut dire le style, ses éclats  et son couchant sait lire, qui s'en écarte est un manant qui se prend pour un héros.

" Comme je vous l'ai dit, j'étais assis place de la Bastille, ce qui est loin d'être anodin au vu de mon pedigree de labrador abandonné : par ma grand-mère maternelle, formidable vieille dame, je descends du marquis de Launay, lequel eut la mauvaise idée d'être gouverneur de la Bastille le 14 juillet 1789.
Cette célèbre journée, Chateaubriand, vicomte de son état, écrivain préféré de mon père et cousin de plusieurs de nos ancêtres, la raconte en se pinçant le nez dans ses Mémoires d'outre-tombe : " Le 14 juillet, prise de la Bastille. J'assistai, comme spectateur, à cet assaut contre quelques invalides et un timide gouverneur : si l'on eût tenu les portes fermées, jamais le peuple ne fût entré dans  la forteresse. Je vis tirer deux ou trois coups de canon, non par les invalides, mis par des gardes-françaises, déjà montés sur les tours. De Launay, arraché de sa cachette, après avoir subi mille outrages,est assommé sur les marches de l'Hôtel de Ville ; le prévôt des marchands, Fleselles, a la tête cassée d'un coup de pistolet : c'est ce spectacle que les béats sans coeur trouvaient si beau. Au milieu de ces meurtres, on se livrait à des orgies, comme dans les troubles de Rome, sous Othon et Vitellius. On promenait dans des fiacres les vainqueurs de la Bastille, ivrognes heureux, déclarés conquérants au cabaret ; des prostituées et de sans-culottes commençaient à régner, et leur faisait escorte. "
Ce  tableau ne me fait pas forcément regretter d'avoir loupé le  14 juillet 1789... D'autant que Chateaubriand, rapide, ne précise pas que, ce jour-là, après l'avoir humilié et assommé sur les marches de l'Hôtel de Ville, les patriotes découpèrent à l'aide d'un canif la tête de mon ancêtre le " timide gouverneur " Launay, avant de la promener dans les rues de Paris, le visage de cet aimable flemmard leur servant d'étendard. "

Le style vous disais-je et ses manières, le style pour à jamais s'éloigner du roman bavard et béât. Le roman du garçon de noble rattachement ne va guère plaire aux pleureuses évoquées plus haut, peu nous importe, il sait d'où il parle, et ce qu'il s'amuse d'imaginer se glisse lumineusement dans l'Histoire française qu'il invite à la danse.

" Comme autre sympathisant devenu victime de 1789,  on pourrait parler de l'écrivain Chamfort. Ce Chamfort m'a toujours beaucoup plu : désenchantement du moraliste et concision du styliste, il était un héritier tout trouvé à François VI de La Rochefoucauld. Hélas, cette filiation ne lui suffit pas et, mordant à tous les râteliers, il s'illustra aussi dans la Révolution française. "

Durant  les 185 pages de ce roman d'une autre époque, notre amusé et amusant auteur convoque ses " rupificaldien ", quelques hôtes de choix que les révolutions ennuient et parfois agacent, d'autant plus quand elles sont fidèles aux humeurs des hommes : des cris, du sang et des larmes.

" Passer du tsarisme au communisme n'a pas été du goût des Russes les plus raffinés : ils durent, après 1917, se livrer à un véritable rôle de composition. Qui pourrait mieux témoigner de cette comédie que quelqu'un dont ce fut le métier ? J'appelle donc à la barre un acteur, le formidable Georges Sander.
Georges vit le jour à Saint-Pétersbourg en 1906. Ses parents n'étaient pas nobles, peut-être, il n'en grandit pas moins au sein de l'aristocratie russe, comme il le raconte avec humour et fourberie dans ses Mémoires d'une fripouille : " Je naquis dans un monde voué à disparaître. Un monde de flûtes à champagne tintant les unes contre les autres, de salles de bal privées bordées de colonnades et illuminées par le scintillement des chandeliers, de princes à monocle claquant des talons dans leurs splendides uniformes, tout dévoués à leurs dames alors qu'ils fonçaient dans leurs troïkas aux clochettes tintinnabulantes à travers la neige baignée de clair de lune. "
La vie de Georges bascula avec l'abdication du tsar Nicolas II. Un gêneur estimé des communistes français en voulait à la patinoire privée de ses parents : " Lénine, lui, arrivait la tête farcie de plans concernant mon argent. Et moi je partais pour une école anglaise, serein et dans l'ignorance absolue de l'existence de cet homme. Du point de vue de notre joyeux petit rassemblement de gens aisés, Lénine et ses amis conspirateurs n'étaient qu'un groupe de paysans se comportant de façon plutôt grossière. "

Des Maximes à ce Roman galant, moqueur et déraisonnable, des Maximes à la Révolution française :

- Cela n'est pas très sérieux cher Ami !
- Effectivement, et c'est heureux !




à suivre

Philippe Chauché

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