mardi 19 février 2013

Le Joeresse



Tout philosophe digne d'intérêt est un joeresse,  un danseur, un jongleur, qui joue avec les concepts et les phrases et se moque bien du service après vente que de lui on peut attendre. Cet homme particulier et unique, écrit comme bon lui semble ce qui l'amuse et s'amuse de ce qu'il écrit, et si l'esprit de sérieux ne le quitte jamais, ce n'est point une posture, mais un masque où parfois il se glisse. Son sérieux, c'est son savoir, sa saveur, et son amusement, les flèches qu'il décoche ici et là, et en ces temps, les cibles se multiplient comme les pains des noces de Cana.
Notre époque brille par ses approximations, ses caricatures, ses thèses de comptoir et de complot et ses philosophies de la certitude, qui n'est qu'une servitude qui cache bien son nom. Les hommes de notre temps ont de la chance, ils peuvent comme jamais acheter tout ce dont ils n'ont aucunement besoin dans des espaces qui leur sont réservés, et entre les rayons frais, passer par celui du toc, où de plus ou moins jeunes penseurs, leur proposent en quelques pages griffonnées de se soigner de leurs maux, mais point leurs mots, ce qui vous en conviendrez est une toute autre histoire.
Notre philosophe de service, s'occupe de ce qui ne le regarde pas, les zones fumeurs, la baguette de tradition française, le micro-trottoir, l'alter mondialisme ou encore le GPS, il le fait avec le sourire, non de celui qui sait, mais de celui qui voit et touche le réel de la situation, et en tire quelques remarques remarquables.
Il est alors réjouissant d'ouvrir un livre comme celui là, vif et soigné, amusant et amusé, sérieux et joyeux, savant et pétillant, élégant, léger et souvent piquant. 

" Pourquoi l'indignation est-elle si consensuelle ?  Pourquoi, de toutes les valeurs, de toutes les attitudes, l'indignation est-elle à peu près la seule qu'on ne conteste jamais ?
Parce que l'indignation n'est pas une valeur, mais une réaction. Elle ne relève pas de la réflexion, mais du réflexe. Elle est, à cet égard, compatible avec tous les discours, toutes les opinions.... L'indignation est comme l'ultralevure : elle a sa place dans tous les gâteaux. "

" Le politiquement incorrect ( PI ) part d'une bonne intention. Quand on fait la guerre aux bons sentiments, on ne peut pas être tout à fait mauvais.
Comment ne pas saluer l'iconoclasme qui repère l'intolérance sous l'antiracisme, le ressentiment sous la transparence, l'intérêt sous la compassion et la barbarie sous le bonheur qu'on voudrait imposer aux autres ?  Parce que le politiquement incorrect se refuse à tenir l'impuissance pour une bonté, la pauvreté pour une vertu, la jeunesse pour une valeur, la lâcheté pour une patience, la faiblesse pour de l'humilité et l'humilité pour une faiblesse, il se donne comme le poison " dont meurent les natures plus faibles " mais qui " fortifie le fort " ( Nietzsche ), et le pavé qu'il jette dans la mare est souvent un morceau de chlore. "

" C'est ainsi que le clair-obscur de la diversité, viatique d'une droite un peu gauche et d'une gauche maladroite, dissimule un albinocentrisme renouvelé qui culmine dans une politique de quotas. Mettez-moi de la diversité, mon brave : du Noir à l'écran, de l'Arabe au droit des femmes, de la Guyannaise à la justice, de la Chinoise à l'Internet ! Coloriez-moi tout ça. Par petites touches. Et que ça saute aux yeux ! Cachez-moi, je vous prie, ce blanc-seing que je ne saurais voir... La diversité, c'est le meilleur des mondes. "

" Jean-Jacques Rousseau n'est pas à la marge mais au coeur de notre société. Grégaire et misanthrope, révolutionnaire et conservateur, égalitaire et misogyne, philosophe et romancier, père indigne et théoricien de l'éducation, champion du monde de la modestie, Rousseau est une foule à lui tout seul... Avant d'être le héraut des religions naturelles, Rousseau est le porte-parole des théories naturelles, c'est-à-dire des façons de voir, d'entendre et de penser qui nous viennent naturellement quand on se prend pour le centre du monde et qu'on prend la contradiction pour une offense. Être rousseauiste, c'est se faire des bosses en enfonçant les portes ouvertes. "

" Contrairement aux apparences, le micro-trottoir ne consacre pas l'espace de la société civile ( à la manière d'un engagement politique ou même d'une réaction sur un forum ), mais l'éphémère promotion de Monsieur Personne en Monsieur Tout-le-Monde qui, quand on l'interroge, se fait spontanément l'écho de la foule qui pense comme lui.... Aux antipodes du témoignage, le micro-trottoir brandit l'intime conviction d'une foule que les convenances comblent. En amont du bigotisme égalitaire qui confond les droits et les connaissances, le micro-trottoir n'a même pas la pudeur de se déguiser en savoir, ni la politesse de nous faire croire qu'il y a là de la pensée : le micro-trottoir, c'est le malin génie de l'espèce, l'âge de pierre de l'opinion, le vestiaire de la démocratie, le cercle des gens convaincus qu'il leur suffit d'être dans le vague pour avoir des idées larges. "

Pendant ce temps un fâcheux camusien s'en prend à Sade, après avoir pensé être à la hauteur de Freud, drôle d'époque mon cher Watson ! Drôle de drame en effet.

à suivre

Philippe Chauché









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