samedi 7 mai 2016

Les voyages d'André Velter dans La Cause Littéraire




« Et notre chant invente ses raisons chimériques, ses emprunts cadencés, ses combats volontaires. Etre plus que soi en tout lieu, à toute heure, à toute force, chevalier qui a pris d’assaut ses rêves et n’a pas renoncé… » (Loin de nos bases).
« Du sable, du sel, de l’eau et du vent : désert qui mène à l’océan comme si deux horizons étaient venus se fondre sur une ligne d’écume. Rien que ce rien qui hisse la grand-voile et dispense de tout », Île de Sal, 7 janvier 1998 (Le jeu du monde).
 
L’écrivain voyage, le poète écrit, marche, chevauche, danse entre les collines et les fleuves. Double regard, double vision, l’une sur les traces de Saint-John Perse, chant, cante jondo, l’autre d’un bout à l’autre du monde, glissant ses mots au fil du territoire. 52 cartes pour se souvenir, pour écrire ce souvenir, cette présence. Où sommes-nous ? A Pékin – mémoire prise au débotté –, à Lisbonne – spleen de soleil perdu dans les embruns – ou encore à Amsterdam – le ciel occupe presque tout l’espace –, à Séville – pour donner des ailes à la vie et mettre un soleil dans le sang –, mais aussi à Amman – je cherche en vain un seul grain de la poussière levée jadis par Lawrence d’Arabie –, c’est ainsi que se questionne le monde et que s’écrivent les jours de l’écrivain voyageur, et il y a toujours une carte postale pour en témoigner.
 
 

 
André Velter ne tourne pas autour de sa chambre, mais autour du monde, et le monde s’invite dans son atelier d’écrivain. Il semble que pour bien voyager, il faut savoir écrire, et pour bien écrire, avoir su voyager – faire un tour de soi en se jouant du monde. Ses mots et ses phrases portent les traces de déserts et de parfums, de rues et de ports, de regards et de brumes, d’avions et de chevaux, de chants et de faenas. Et sous les mots et la plume, la voix, l’auteur se fait chanteur de ses récits – le cantaor se tient droit, pieds rivés à la terre, mains tendues –, parleur de sa poésie, musicien de son roman, épistolier pour son ami Yanny Hureaux, l’ermite des Ardennes.
« Si loin de nos bases, nous avons cessé de vaciller, d’hésiter, d’échanger en tous sens et hors de propos. Il n’y avait qu’à gravir, rejoindre un glacier à la nuit tombée, traverser les torrents jusqu’à l’encolure des chevaux, ramasser des éclats de lapis-lazuli et garder le silence » (Loin de nos bases).
« Je veux que cet état de sidération physique et mentale, ce duende au goût de syncope éclatante, me dure et m’accompagne infiniment », Mexico, le 20 septembre 2012 (Le jeu du monde).
 
 
Les fuseaux horaires tapissent Le jeu du monde, les cartes postales qui se glissent de portes en portes, de mains en mains en sont la géographie secrète, main à la graphie aventureuse qui s’avance en silence pour tracer des haïkus sur le sable de l’Ovale Nîmois, la main du Tao du toreo* et qui deviendra celle qui écrit de Mexico, de Pékin ou de Cologne. La fièvre nomade hisse Loin de nos bases sur les sommets du chant porté, du cante jondo sur le chemin de la haute Asie, à l’oreille de Saint-John Perse, comme une envolée de sable. André Velter a le talent de saisir en deux phrases ce qu’il voit, ce qu’il ressent, ce qui s’invite en sa mémoire, les pierres et les ciels parlent. L’écriture comme le vent n’est jamais empêchée par quelque douanier de la littérature, par quelque barrière de bois ou de pierre, elle file son chemin, glisse entre les doigts de l’écrivain, et il écrit d’un trait, d’un jet, d’une envolée, porté par une aventureuse nécessité**.
« Levez la tête et comptez depuis quand vous n’avez pas consenti à l’appel des astres ni à l’exemple des météores ! » (Loin de nos bases).
« Les pas dans les pas, avec la poussière comme seule mesure d’éternité », Delhi, 11 décembre 2009 (Le jeu du monde).
 
 
Philippe Chauché
 
Tao du toreo, dessins d’Ernest Pignon-Ernest, Actes Sud
** Josyane Savigneau, Le Monde

http://www.lacauselitteraire.fr/andre-velter

dimanche 24 avril 2016

Millot dans La Cause Littéraire

 
« On était au mois d’août, mais la chaleur était légère et la ville désertée des voitures était d’un calme divin. Lacan y semblait comme chez lui, il en connaissait tous les musées, toutes les églises, toutes les fontaines… La beauté des lieux m’enchantait, j’aimais le bruit des fontaines et celui des pas dans les rues désertes la nuit. J’étais tombée amoureuse de Rome et cet amour dura longtemps ».
 
Ce petit livre est une phantasia, une apparition, celle du psychanalyste dans la vie de celle qui à son tour va le devenir. Une fantaisie, la vie légère comme la chaleur de Rome en cet été 72, la liberté libre qui se livre en Italie, à Rome, à la Villa Médicis, sur la piazza Navona, dans la basilique Saint-Clément-du-Latran, à Venise devant les Carpaccio de l’église San Giorgio degli Schiavoni, à Paris, à Barcelone, pas à pas, la mémoire de l’écrivain dessine cette carte amoureuse et aventureuse d’un été qui n’allait jamais finir. Ce petit livre nous livre – livre à lire et à vivre – à chaque page la fantaisie d’une époque – on sourit en pensant que certains fâcheux y voient là les prémices de ce qu’ils nomment le désastre actuel –, qui allait si bien à celle du psychanalyste. Lacan sur scène, ses séminaires et conférences, qui parlait aux mursLa théâtralisation faisait partie de l’art oratoire de Lacan. La colère mimée, la rage ostentatoire en étaient les traits récurrents –, Lacan silencieux, à la concentration exceptionnelle, Lacan le bélier que rien n’arrête, et Lacan immobile. Lacan des villes et Lacan des chants.
 
« A partir de cette année 73-74, j’accompagnais Lacan de plus en plus souvent à Guitrancourt, et bientôt tous les week-ends… C’est là que Lacan travaillait à son bureau, face à la grande baie vitrée qui donnait sur le jardin. A droite de celle-ci et lui faisant écho, était suspendu un Monet, un paysage de Giverny où les nymphéas étaient comme noyés sous une cascade de feuillages ».
 
Ce petit livre ne révèle rien, il met en lumière – Monet, Courbet, Renoir – les passions de l’homme au Punch Culebras, ce petit cigare tortillé et baroque, pour les peintres, pour certains tableaux, qu’il montrait ou dissimulait, l’Origine du Monde qu’il possédait se prêtait ainsi au jeu. La vie avec Lacan est une cascade de sensations, de visions, de rencontres, d’écrits, d’éclats, d’écarts, une aventure partagée – ces années éclataient en mille fleurs d’actes et de pensées –, avec d’autres témoins qui en goûtaient la fantaisie, et souvent ne s’en privaient pas : Jacqueline Risset, François Wahl, Philippe Sollers, Jean-Jacques Schuhl, Jacques-Alain Miller, et d’autres encore, comme le plus chinois des français : François Cheng. Catherine Millot est là, elle voit ce qu’elle écrit, elle écrit ce qu’elle entend, elle vit l’instant, l’aventure ne cesse de l’étourdir, enchantement léger de l’écrivain en puissance, et frissons de la psychanalyste en devenir.
 
« Aujourd’hui, j’ai l’âge que Lacan avait quand je l’ai connu. Est-ce ce qui m’a décidée à livrer ses souvenirs ? Comme un rendez-vous à honorer, une manière de le retrouver. Et puis j’arrive à l’âge où l’on se demande combien d’huile reste encore dans la lampe, et où tout vous rappelle qu’il faut travailler tant qu’on a la lumière ».
 
Ce petit livre est un rendez-vous, jamais manqué, avec des instants de bonheur, où se nouent des histoires qui se croisent comme des nœuds borroméens, ces nœuds qui vont prendre une réelleimportance dans la pensée active de Lacan. Il les fabrique avec des « bouts de ficelle », comme des bouts de réel – qu’il coupe et raboute, et au fil du temps… les chaînes et les nœuds se faisaient toujours plus envahissants, c’est un peu comme s’il cherchait une issue à ce qui le taraudait dans la psychanalyse du côté de ce réel qu’en venaient à incarner les nœuds ce réel qui ne cesse de s’inviter dans ce petit livre, de s’écrire et donc de se vivre, et c’est toute la force et la justesse de La vie avec Lacan, un petit livre qui tient du récit, du roman, et de la phantasia : le plaisir et le temps d’écrire et de l’écrire.
 
Philippe Chauché
 

vendredi 15 avril 2016

La Boucherie littéraire dans La Cause Littéraire

Quatre livres de La Boucherie littéraire
 
Ecrits sans papiers, Pour la route entre Marrakech et Marseille, Mireille Disdero
Maison, Poésies domestiques, Emmanuel Campo
On ne connaît jamais la distance exacte entre soi et la rive, Hélène Dassavray
Lame de fond, Marlène Tissot
 
Ecrits sans papiers
« Le sud lie ton corps au soleil / et la lumière en voyage / vient boire dans ta main ».
« La lumière est perturbée par le vent. On sent que quelque chose existe. C’est humble, ça ne s’impose pas. Le vent. Le soleil ».
« Et dans le ciel orange, deux gabians puis un avion au ventre blanc, tracent un trait de lumière sur ta mémoire pour plus tard ».
Saisir ce qui nous saisit lorsque l’on va d’une ville à  l’autre, d’un port à un autre, lorsque l’on projette son corps, ses pensées et ses phrases de Marrakech à Marseille, avec des haltes hispaniques. Ces écrits, ces notes glanées, ces impressions, ces saisissements, ces éclairs, ces éclats donnent force et brillance à ce récit romanesque. Il y a là, chez Mireille Disdero, l’art de saisir sur le vif, comme on peut le dire d’un photographe qui sait voir, faire voir et finalement faire entendre.
 
MaisonPoésies domestiques
« Je compte lancer une revue de poésie avec dedans / un coussin / un meuble / un pouf / un shampoing anti pelliculaire / une platine vinyle / un forfait 2 heures + S.M.S. et M.M.S. illimités / un clic-clac / du rap etc… »
« Tu t’es permis / de m’emprunter mon Bukowski / pour le lire aux toilettes. / Le glamour des premiers jours s’en est allé / comme des chevaux sauvages dans les collines ».
Emmanuel Campo ne manque ni d’audace, ni de culot, il écrit comme s’il chantait, et d’ailleurs, il chante. Ses petites poésies résonnent comme des chansonnettes, d’enfance et de son âge, l’une donnant naissance à l’autre, des ritournelles. Ces Poésies domestiques misent sur la collection, la multiplication, la rencontre, la surprise, les mots qui se rencontrent pour la première fois ont souvent l’air surpris. L’auteur, joueur, en joue, s’amuse des phrases reçues et des situations inventées ou supportées, et tout cela fort heureusement n’a aucune incidence sur la rotation de la planète.
 
On ne connaît jamais la distance exacte entre soi et la rive
« Parfois un fleuve / avec son tumulte / parfois une fontaine / parfois un geyser / parfois une rivière / d’eau douce et salée / comme des larmes / sans la tristesse ».
« … on ne connaît jamais la distance exacte / entre soi et la rive / ni à quel moment la vie vous échoue / sur les plages / de votre mer intérieure… »
Un roman comme un corps en mouvement permanent, une fontaine de jouvence,  poétique, où à chaque mot, à chaque phrase, le corps se livre, comme un torrent. Joie du corps et des mots qui le dévoilent, où le corps en dit toujours plus, comme s’il ne cessait d’écrire ses aventures. Au centre de cette folle aventure du corps, l’origine de l’auteur, autrement dit l’Origine du monde et les grandes marées de l’amour.
 
Lame de fond
« Les heures se débobinent, Cancale se déplie comme un livre d’images. L’enfilade de restaurants entre l’Epi et la digue du phare. Le chemin des douaniers, les parcs à huîtres, les rochers. Le bruit des coquillages qui s’émiettent sous nos semelles. Je trinque à ton éternité en buvant l’horizon, d’un trait ».
 
Lame de fond est un roman de la mémoire et de la mer, comme une chanson que fredonnait un chanteur de variétés aux longs cheveux blancs, le roman de la disparition d’un loup de mer. Un père, un frère, un ami, son visage, son corps, ses exploits marins, son odeur, sa passion hante la mémoire de la narratrice, et c’est à chaque page saisissant de justesse. La marée accompagne chaque page de ce minuscule livre, une marée de souvenirs, face à la mer, où les disparus ressemblent à l’éclat blanc d’un phare ou d’une page de Lame de fond.
 
Philippe Chauché
 
 
 
La Cause Littéraire : Vous parlez dans votre prière d’insérer d’un « cheminement et un mûrissement des désirs qui placent la poésie contemporaine sur son billot », pouvez-vous en dire plus ?
 
Antoine Gallardo : Le cheminement et le mûrissement des désirs sont bien ceux de l’envie d’éditer, de publier sous forme papier, bref de faire des livres. Aujourd’hui dans le Luberon mais demain peut-être ailleurs. Ce sont les rencontres qui favorisent la création, guère le lieu. Les premiers projets de publication avancés sont nés en l’an 2000. Il s’agissait de publier essentiellement de la littérature jeunesse et des contes étrangers pour enfants impliquant des travaux de traduction, le travail d’illustrateurs et le désir de publier sous format papier sans faire de livre, au sens codex moderne du mot.
Mais en ayant reçu une formation en Métiers du livre et exerçant déjà en qualité de libraire sur les grands salons du livre de l’hexagone pour de grosses maisons d’édition ou de grandes librairies, je savais que le nerf de la guerre, au-delà des aspects financiers, est la diffusion/distribution. Il était hors de question de publier des livres sans avoir les moyens de leur faire rencontrer leurs lecteurs potentiels. A quoi bon avoir des cartons remplis de livres ? Est-ce rendre service au texte et à son auteur de les tenir enfermés au fond d’un garage en attendant d’hypothétiques ventes sur des salons du livre ? Être éditeur, selon moi, c’est 10% de création éditoriale et 90% de temps consacré à la promotion et la diffusion. Éditer c’est défendre un titre et son texte mais c’est surtout le porter et savoir que cela ne peut fonctionner que si on est prêt à le faire durant plusieurs années. Aussi, envisager de faire de l’édition et se passer des libraires relève, à mon sens, de l’absurdité.
 
CL : Vous y défendez également une certaine exigence, dont vous avez fait preuve jusqu’à présent, comment l’entendre ?
 
AG : Rien n’est facile. Aussi, ne surtout pas céder à la facilité. Par exemple, ne pas chercher à publier un nom, mais bel et bien le texte d’un auteur, ou sa création plastique. Je ne rejette pas le désir de voir le titre d’un auteur bien se vendre, au contraire. Mais la « fulgurance » du succès ne m’intéresse pas. Dans tout ce que je tente de faire et ce que je projette de réaliser, je cherche avant tout la pérennité. Pérennité de l’œuvre qui m’est confiée. C’est aussi pour cette raison que j’accepte rarement un texte et son titre dans l’état où je le reçois. Même si quelques heureuses exceptions arrivent comme de petits joyaux finement taillés. Cette exigence, je pense qu’il est permis de l’avoir plus aisément de par le statut de l’entreprise éditoriale. Car, même si je suis l’éditeur, au sens directeur de collection, la Boucherie Littéraire n’est pas une entreprise personnelle. Mais une structure associative.
 
CL : Nous avons sous les yeux vos dernières publications, quatre recueils, entre récit romanesque et fiction poétique, c’est par là que vous affirmez votre ligne éditrice ?
 
AG : Malgré les apparences, je ne publie que de la poésie. Il est vrai que la fiction et le récit dits poétiques sont au rendez-vous des dernières publications. C’est le cas de Lame de fond, de Marlène Tissot, qui s’inscrit pleinement dans le récit-fiction. Mais quoi qu’en disent l’auteure ou les lecteurs, j’ai publié avant toute chose un poème. Un poème fragmentaire s’il fallait le caser.
La réalité de ce que j’affirme est que la ligne éditoriale n’est pas droite. La réalité est certainement liée au fait que je suis profondément attaché à la poésie. Que sa forme m’importe. Mais j’accepte qu’elle me surprenne, me fasse vaciller des fondations de ma culture.
J’écris de la poésie depuis que je sais écrire.
Je lis de la poésie depuis l’âge de 25 ans.
J’ai publié à l’âge de 30 ans.
J’édite depuis mes 43 ans.
 
CL : Qui choisissez-vous d’éditer et pourquoi ?
 
AG : En premier lieu je choisis d’éditer une poésie qui me touche, qui m’exalte ou qui m’abîme. Je publierais un texte qui lecture après lecture fera monter l’excitation du désir d’offrir à lire. L’envie de publier naît du désir de partager. Je choisis des textes dont je me sens la capacité de les porter des années durant et de les défendre avec la même conviction et les mêmes émotions que celles eues lors des premières lectures. À ce titre, je peux déjà vous annoncer que les prochains auteurs à paraître à la Boucherie Littéraire d’ici à la fin du premier semestre 2017, ordre non chronologique, sont : Patrick Dubost, Thierry Radière, Estelle Fenzy, Brigitte Baumié, Frédérick Houdaer, Isabelle Alentour…
 
CL : Vous êtes aussi l’organisateur des « Beaux jours de la petite édition », à Cadenet dans le Luberon, avec quels objectifs ?
 
AG : Avant toute chose je tiens à préciser que Les Beaux jours de la petite édition est un salon du livre généraliste et multi-générationnel spécialisé en petite édition. On y trouve autant de la bande dessinée, que de roman, de la poésie, de la jeunesse, du théâtre, que de livres portant sur l’économie et la politique ou traitant de la musique, du cinéma ou de la nature par exemple. C’est avant tout un salon d’éditeur, c’est-à-dire que pour qu’un auteur soit présent sur le salon, il faut d’abord que son éditeur le soit. Alors, avec la complicité de l’élue à la culture du Service culturel de la Mairie de Cadenet, dans le Vaucluse, il m’a été confié en 2011 la création d’un salon du livre. Ma seule contrainte était qu’il soit généraliste… pour le reste, j’avais carte blanche. Se sera donc un salon du livre pour tous, spécialisé en petite édition. Le pari était osé pour un village de 4000 habitants de se lancer dans pareille aventure. Créer un événement littéraire serti de maisons d’éditions dont personne n’avait jamais entendu parlé et dont la plupart des auteurs étaient incroyablement inconnus au bataillon de la lecture quotidienne…
Voilà 6 ans que cela dure.
 
CL : Et finalement qu’entendez-vous par petite édition ?
 
AG : En soi, il n’y a pas de petits ou de gros éditeurs. Il y a seulement des femmes et des hommes, découvreurs et curieux par nature. Il n’y a que des éditeurs. Toutefois, le monde de l’édition est un iceberg dont on ne connaît bien que la partie émergée. Ceux qui façonnent la littérature contemporaine sont rarement à la lumière. Ils sont des mineurs de fond, des prospecteurs de pépites littéraires et parfois, grand bien nous fasse, des fous.
 
CL : Vos projets pour demain ?
 
AG : Capitaliser de bonnes âmes pour m’aider à l’année à l’organisation de ce salon du livre. Trop important pour une seule personne. Je ne suis plus capable de poursuivre seul. Pareillement pour le festival estival Poésie nomade en Luberon qui aura lieu cette année les 1, 2 et 3 juillet 2016 à Vaugines.
Mes projets sont simples.
Me dégager du temps.
Vivre pour moi.
Lire les livres que j’ai achetés ces 5 dernières années sans trouver le temps d’en lire un dixième.
Écrire.
Lire les autres, les publier, porter leurs écrits et les défendre.
Inscrire leur œuvre dans un des sillons du temps.
Les arroser d’incertitude mêlée au terreau de mes convictions.
Et cultiver ce jardin avec la même douce passion qu’aux premiers jours.
 
Philippe Chauché
 
 

samedi 9 avril 2016

Frédéric Badré dans La Cause Littéraire



« Mon corps et moi nous ne nous entendons plus. Je ne le reconnais plus. La maladie neurodégénérative qu’est la SLA aura provoqué une sorte d’accélération dans le temps. Jour après jour toutes mes forces diminuent perceptiblement. Mon corps m’a projeté en un clin d’œil hors de la vie ».
 
Ainsi débute L’intervalle, le prochain roman de Frédéric Badré dont quelques feuilles envolées viennent d’être publiées par la NRF du mois de mars. L’écrivain, le dessinateur, l’amoureux de Venise, le complice de la revue Ligne de Risque, s’est éteint à l’âge de 51 ans.
 
Avec François Meyronnis et Yannick Haenel, il avait fondé en 1997 la revue Ligne de Risque, publiée aujourd’hui par les éditions Multiple, et dont le dernier opus est en grande partie consacré à Leïb Rochman et son monument A pas aveugles de par le monde. Frédéric Badré aimait tout autant la guitare que les mots, les églises de Venise que les éclats de Paris, mais il a dû ranger sa guitare et sa plume, le corps lâchait de toute part, la maladie faisait son chemin et s’employait à tout réduire, à tout détruire, le corps et la voix.
 
Il avait consacré à Jean Paulhan un bel ouvrage, Paulhan le juste chez Grasset, publié chez Gallimard dans la collection l’Infini de Philippe Sollers (autre complice de Ligne de Risque), L’Avenir de la littérature, et puis le roman de sa maladie, le roman de la vie touchée, La grande santé aux Editions du Seuil dont nous reprenons ici la recension que nous lui avions consacrée. La Cause Littéraire pense à ses proches, à ses amis, aux écrivains qu’il affectionnait et à la Pietà de Titien qu’il savait regarder.
 
 
Philippe Chauché

lundi 4 avril 2016

Petrov dans La Cause Littéraire

 
 
 
 
 
« Il porte l’uniforme, aussi. Bleu. De ce bleu qui tire sur l’espoir. Tant de manières pour parler de lui se télescopent, se contredisent, lui c’est un souvenir. Autant dire un leurre ».
 
Dans le passage un pope est un leurre, un appât, et le lecteur, telle une palombe, s’y laisse prendre, y perdant quelques plumes – ses certitudes littéraires –, et parfois plus. Tout roman qui se joue et s’amuse du roman procède ainsi, d’une invitation joyeusement trompeuse c’est, à bien y regarder, ce que fait ce pope dans son passage. Il traverse la ville enneigée, pour s’engager dans le passage, ce confessionnal, cette galerie où se glissent des moscovites plus ou moins égarés, perdus, cassés, énervés et rieurs, des clébards en veux-tu en voilà, des bidasses, un unijambiste et une femme à l’imperméable. Un théâtre de l’absurde se dévoile, et on ne peut douter que Petrov ait lu Beckett, Boulgakov et Pérec, et si l’écrivain des joyeuses contraintes nous a dévoilé Paris, et une langue gourmande, Petrov éclaire Moscou et ses vagabonds avec tout autant de plaisir, il donne, si l’on peut dire, sa langue au pope.
 
« Mendier dans les passages, tous les passages. Pour un nouveau départ ou continuer, sans plus. Pour un tiers ou pour sa paroisse.
Un passage un pope. Un pope et une bigote ».
 
Dans le passage un pope est un roman souterrain, où l’œil furète, un photomaton littéraire ouvert en permanence, où pour quelques roubles, l’auteur roublard, saisit en deux traits et trois couleurs les moscovites qui passent par là, ivrognes, voyageurs en transit, clochards à la dérive, tsiganes en longues jupes colorées, et vendeurs à la sauvette proposant un Staline bronzé écorché, fragile sous le vernis, ou encore un portrait encadré de Mikhaïl Boulgakov. Il s’en amuse, comme il s’amuse de ce pope pétillant, malicieux, silencieux, barbu, et hautain, à l’oreille tendue, sans perdre de vue ce qui se joue aussi sous ses yeux, des hommes qui tombent, des clochards que l’on enjambe, et qui finissent parfois aux urgences ou à la morgue, des tas d’immondices en feu et des mains glacées. C’est un nouvel Avenir radieux*, où les enfants de Staline se découvrent magnats du pétrole, trafiquants d’armes ou de parkas dérobées en Tchétchénie, proxénètes, vigiles alcooliques, amateurs de fourrures ou popes errants, mais de très loin, comme un paysage qui se dessine dans le brouillard de la Moskova, car il ne se passe pas grand-chose dans ce passage, ni d’ailleurs dans le roman qui s’en  inspire, c’est ce que l’auteur affirme, mais personne n’est obligé de le croire.
 
« Comme les cheveux la barbe est longue et elle grisonne, la moustache vire au roux sur les lèvres, quand il murmure pour la vieille femme à peine si son visage frémit, il salue, remercie d’un signe, coiffe en avant juste ce qu’il faut, le temps qu’il faut, ferme et doux, sobre et à sa manière élégant, dans le passage il ne fait rien qu’y être mais quel style ».
 
Lev Nicolaïevitch Petrov-Blanc, dit Petrov, est une curiosité, auteur, selon son éditeur, d’un documentaire métaphysique, d’un livre sur rien, où toutefois quelques prolétaires vont de leur jet d’eau puissant faire table rase de ce qui s’entassait dans le passage, comme une révolution passée et mise sous pression. Petrov, que l’on devine amateur de papillons, aime à glisser dans son roman quelques phrases empruntées à d’autres, d’Anouilh à Céline, de Pessoa à Dostoïevski, il fréquente les Dictionnaires et semble très habile dans l’invention de canulars – canule canular qu’annule l’art –, son court passage s’inspire des matriochkas, chaque histoire, comme les poupées peintes, en dissimule une nouvelle et ainsi de suite jusqu’à la dernière, la plus petite, et c’est un écrivain agile qui les manipule.
 
 
* Alexandre Zinoviev
 
Philippe Chauché
 
 
http://www.lacauselitteraire.fr/dans-le-passage-un-pope-lev-nicolaievitch-petrov-blanc

dimanche 3 avril 2016

Sollers dans La Cause Littéraire

« Formé, tissé, façonné, brodé, inscrit, tracé, coup d’archet dans les profondeurs, étoffe, squelette, musique. Ce Dieu me convient, il voulait que je naisse. Je veux bien l’appeler Iahvé, mais il ne me commande rien, il me protège, il me sauve, c’est un roc, un rocher, un rempart, il détruit mes ennemis au dernier moment, il me tire du bourbier et de la fosse commune, il me ressuscite, il m’aime ».
 
Quel est ce mouvement toujours surprenant qui anime les grands romans ? Quelle est cette source, ces sources qui les nourrissent ? D’où viennent ces livres de grâce qui étonnent par leur foisonnement, leurs éclats, leurs parfums ? Tant de questions que l’on se pose parfois en lisant ces romans qui tranchent avec ce qui s’écrit ici et là, ces livres qui traversent le siècle, nourris de tous les siècles passés. Point de nostalgie dans Mouvement, mais une fidélité au passé mis au présent, au présent plus-que-parfait, au mouvement du futur-antérieur. Pas étonnant alors que l’écrivain bordelais ait un œil en Dordogne, l’autre en Chine, une oreille chez Rimbaud, l’autre chez Hegel, la troisième chez Bataille, une autre dans la Bible (on ne compte plus les oreilles dont est doté l’écrivain). Comme il sait lire, écouter, entendre ce qui s’écrivait, et qui s’écrit, ce qui se peignait et se peint, son roman est un puissant aimant qui tourne dans la nuit, et évite d’être consumé par les flammes de l’Enfer.
 
« J’ai compris, puisque j’avais soudain 15000 ans, pourquoi la Dordogne, en ces temps si anciens, avait pu être le centre du monde. Bataille parle de “cet éclat merveilleux de la richesse pour laquelle chacun se sent né”. Je ne savais pas que j’étais né pour une telle richesse ».
 
Mouvement est un livre infini, libre, musical (des Suites Françaises comme chez Bach), radical, où le mensonge mafieux dominant, le terrorisme barbu et barbant, les sautes d’humeur des Bourses, sont soumis à la question de Hegel, de poètes et de peintres chinois, l’un ne va pas sans l’autre (Yan Zhongdao, Wen Zhengming, He Jingming, et d’autres encore), d’animaux sauvages et de mains négatives de Lascaux, d’un cardinal très amoureux et grandement lettré, d’un mathématicien qui danse et d’un penseur retiré dans une tour miraculeuse, qui chaque matin regarde ses vignes. Ce roman est une bibliothèque vivante, chantante, dansante, où les écrivains immortels (rien à voir évidement avec ceux de l’Académie) s’invitent à des visites de courtoisie, prouvant s’il était besoin, que la littérature échappe au destin du temps. Il suffit naturellement de répondre à cette invitation des écrivains disparus, ils ne cessent de frapper aux pages des auteurs d’aujourd’hui, mais ils sont peu nombreux à le savoir, à y être attentifs, et à les inviter dans leurs romans. Philippe Sollers, livre à livre, façonne cette bibliothèque vivante, vibrante, brillante et libre. Les citations qu’il affectionne et collectionne depuis 1958 bâtissent ce roman français, qui serait aussi très italien, un peu basque espagnol, parfois américain, européen comme l’entendait Casanova, un roman pris dans le Mouvement permanent des phrases, des mots, des couleurs, des parfums et des fleurs, finalement un roman très chinois.
 
« Et voici de nouveau Hegel, que je ne remercie jamais assez de m’avoir contacté, pour me redire que l’infini est la négation de la négation :
“Le mouvement est l’infini en tant qu’unité de ces deux opposés, et le temps et l’espace”.
Il fait très beau. J’avais besoin de ce café fort ».
 
Dans le film Sollers, l’isolé absolu, d’André S. Labarthes, l’écrivain montre un manuscrit à l’écriture bleue comme la mer : « Si je vais très bien, ça coule, c’est fluide, et ça vient exactement comme ça, le souffle, le poignet, et la main, le vent et l’eau sont à égalité… voilà du repos, voilà quelque chose qui dort bien ». Point de doute, Philippe Sollers va bien, Mouvement, d’évidence, est un roman apaisé, reposé, un roman contemporain, brillant, lumineux, grave (la terreur, les attentats, les égorgements, ce théâtre noir qui prend Palmyre pour sa Cour d’Horreur), fort de ce souffle, de cette fluidité, et de ce calme qui n’annonce pas la tempête. Mouvement est le roman de cette mer apaisée de l’écriture où se posent des mouettes curieuses (Hegel, la Bible, quelques Chinois, Bataille, Hölderlin), et qui embrasse l’aube d’été.
 
« Qui n’a pas vu un massif vibrant de pivoines en sortant de la visite, en Chine, d’un tombeau froid de l’époque Han n’a rien vu ».
 
Philippe Chauché


http://www.lacauselitteraire.fr/mouvement-philippe-sollers

dimanche 13 mars 2016

André du Bouchet dans La Cause Littéraire









« Or, la langue ne relève pas de notre choix personnel, c’est notre point de départ, le matériau dont nous disposons, et il y a un mouvement qu’il s’agit de renverser : ne pas aller dans le fil de ce qui se détruit à chaque instant sous nos yeux, mais, tenant compte de ce qui est détruit, tâcher dans l’instant de renverser le mouvement et d’édifier quelque chose ».
 
Il s’agit bien de cela, de deux édificateurs, deux architectes de la langue qui se rencontrent. L’un, poète, loin du tumulte, des honneurs et des horreurs, dans la perspicacité de la langue, dans sa vibration profonde, dans sa nette simplicité, accordée à l’espace, à la terre, au sol : …chute de neige, vers la fin du jour, de plus en plus épaisse, dans laquelle vient s’immobiliser un convoi sans destination – je tiens le jour… La paupière du nuage porteur de la neige se levant, je me retrouve inclus dans le bleu de l’autre jour*. L’autre, interviewer sur France Culture, pour L’Autre Journal (qui fut une bien belle aventure) et Libération, mais aussi poète et écrivain.
 
Ces entretiens se nouent autour de la langue – Baudelaire, un temps vif qui traverse les mots –, du lecteur – Le vrai lecteur serait peut-être celui qui fait confiance aux mots, qui se fait confiance à lui-même dans le temps de sa lecture… –, de la peinture – Et ce que je voyais, le sol que je foulais, les accidents de lumière sur la Sainte-Victoire, les modifications de cette montagne dans le jour, me donnaient bel et bien le sentiment d’être dans la peinture que les tableaux de Cézanne, vus quelques heures plus tôt m’avaient ouverte –, de la nature. On y voit ces carnets qui n’ont cessé d’accompagner l’auteur, ces dessins offerts par ses amis peintres, ces chemins sauvages que les hommes délaissent, c’est tout un univers qui se dessine, des poésies qui s’esquissent, une pensée qui s’entend et un poète que l’on écoute.
 
« Je dirai que le travail de l’écrivain ne doit pas être une lecture. On s’appuie sur autre chose que des mots. Mais le travail… Vous dites lecture… S’agissant du travail du peintre, c’est une lecture à vol d’oiseau, qui s’appuie plutôt sur la matérialité des mots, sans réellement les déchiffrer, sur l’espacement, sur les rapports qui font une phrase, dans une articulation concrète, sur les blancs par conséquent, sur le décrochement des phrases ».
 
Précisions du regard, justesse du mot, l’interviewer et le poète sont dans une conversation – une fréquentation, un commerce, une intimité –, permanente. L’espacement des rencontres n’y change rien, les mots disent en écho, ce que d’autres mots ont dit quelques années plus tôt ou qui se dévoileront plus tard. C’est le cœur même de la poésie, l’articulation savante et si simple à la fois, des mots et des phrases qui sautent aux yeux, si l’on peut dire. Ce sont aussi des passions partagées, où la langue creuse, vrille, s’amaigrit, comme dans les sculptures de Giacometti, ou les toiles et les dessins de Pierre Tal-Coat – le portrait qu’il a réalisé à la mine de plomb est en couverture de ces entretiens –, se glisse au centre de ces éclats romanesques, poétiques et picturaux. Pour bien savoir lire, il faut aussi bien savoir écouter. Alain Veinstein écoute, en gardant en mémoire les poèmes d’André du Bouchet et leurs précédentes rencontres. André du Bouchet attentif, écoute les remarques de l’interviewer, la lecture de ses poèmes, les pistes qu’il propose, les éclairages qu’il avance. L’entretien est ce mano a mano, en le privant de ce qu’il annonce de compétition, cette courtoisie partagée, ces attentions, où chaque mot est pesé, chaque phrase avancée, soumise à cette double lecture, une écoute croisée, comme un portrait se reflétant dans une série de miroirs superposés.
 
« Tout a été dit par Rimbaud, ajouter quoi que ce soit serait incongru. Alors qu’avec Baudelaire, une conversation peut être engagée ».
 
Philippe Chauché
 
 

samedi 5 mars 2016

Gabriel Josipovici dans La Cause Littéraire




« La racine du mot inspiration est le souffle, a-t-il dit, et toute la musique est faite de souffle. Si j’ai donné quoi que ce soit à la musique, a-t-il dit, c’est lui rendre la conscience de l’importance de respirer, de la respiration. On l’appelle ruach en hébreu, et avec ce ruach Dieu a créé le monde et avec ce ruach Dieu a créé Adam, et c’est ce ruach qui nous fait vivre et aussi qui fait de nous des êtres spirituels ».
 
Infini est le roman d’un compositeur de notre temps, le portrait d’un musicien, Tancredo Pavone, révélé par Massimo, son ancien homme de confiance, son majordome. On découvre sa vie et sa musique, ses musiques, ses écarts, ses amours, ses envolées, ses passions – Purcell mais aussi Bach et Mozart, leurs petites oreilles écoutaient les sons intérieurs et pas les sons extérieurs – ses fictions sonores et ses frictions musicales – Schoenberg était un vrai musicien, a-t-il dit, mais il a été un désastre pour la musique. Schoenberg, a-t-il dit, a ramené la musique cinquante ans, sinon cent ans en arrière. Pavone compose au cœur de l’Europe, entre Londres, Monte-Carlo, Paris et Vienne, au centre de cette Europe qui vibre, puis se désaccorde dès les années 30 en Allemagne puis en Italie, alors il choisit la Suisse comme ligne de fuite.
 
« La malédiction de l’époque, Massimo, a-t-il dit, est que les gens sont trop aisément satisfaits. Ils ont oublié d’écouter avec leur oreille intérieure, d’écouter le silence et d’écouter le moment ».
 
Infini est le roman d’un aigle qui vit loin du monde et de son tumulte, à Rome dans sa maison au-dessus du Forum, protégé des intrus – admirateurs, musiciens, photographes et journalistes – par son fidèle majordome. Il voit tout, entend tout, et ne dit que ce qui doit l’être, même si… Ce roman est celui de sa déposition, de sa confession, de son admiration pour Pavone. Cet aristocrate italien, ce gentleman singulier, proche de Michaux et Jouve qui va publier ses premiers poèmes, qui joue aux échecs avec Marcel Duchamp – Il était à un tout autre niveau comparé aux surréalistes et aux dadaïstes. Mais personne n’a construit sur son héritage. C’était impossible, parce que son héritage était du sable mouvant –, qui installe des musiciens dans sa grande demeure pour qu’ils travaillent, et qu’ils jouent pour lui. Pavone qui ne va cesser d’évoquer l’émotion qu’a suscitée en lui l’écoute des trompettes solennelles de temples au Népal – on s’approche vraiment près du cœur du son, de la lave fondue qui bouillonne dans chaque son comme dans les recoins reculés de la terre –, sa musique va en être habitée et transformée. Fidèle des fidèles, le majordome déroule cette vie musicienne, ce mouvement, cette vie réelle ou imaginée, entre partitions et passions, vérités ou mensonges, vérités et mensonges ?
 
« Bach ne réfléchissait pas, a-t-il dit, il dansait. Mozart ne réfléchissait pas, il dansait. Stravinsky ne réfléchissait pas, il priait. Mais à Vienne, ils avaient oublié comment danser, ils avaient oublié comment chanter, ils étaient tous des Juifs laïques qui avaient oublié comment prier ».
 
Infini est le roman de l’exigence et de la résistance. La musique avant toute chose, et parfois, une seule note suffit, la musique et le silence qui en découle, silence nécessaire, vital au compositeur, remède à la superficialité qui s’impose partout. Infini est un roman voyageur, qui arpente les territoires d’un musicien solitaire et studieux, qui s’attaque aux pianos et qui écoute le chant des cigales, le roman révélé, comme une musique révèle un compositeur, dont l’Infini est ici aussi la lente et inexorable chute.
 
Philippe Chauché


 
http://www.lacauselitteraire.fr/infini-l-histoire-d-un-moment-gabriel-josipovici

samedi 20 février 2016

Thibault Biscarrat dans La Cause Littéraire



« Ma vie ne fut qu’éclat, abîme, au cœur de la toile, derrière ces longues draperies qui séparent notre regard de ce dernier royaume. Ma vie n’est qu’une prière pour un Dieu absent ou non révélé ».
Dolmancé est un livre minuscule, une arme légère prête à servir, une grenade littéraire qui ne demande qu’à être dégoupillée, nourri du sang littéraire de Sade et Lautréamont. Les deux écrivains du risque absolu hantent les hauteurs de ce roman. Dolmancé est une aventure littéraire des sommets, des aiguilles arides, des précipices, du déséquilibre, de l’essoufflement où le lecteur se risque à chaque page. Dolmancé, au talent de diamant brut, semble la proie d’une frénésie, d’un mystère, est insaisissable, ils sont légion à en témoigner et le livre en porte les traces acérées : ses femmes, la Consolatrice, le journal intime d’Emeline, et le carnet de Dolmancé, cette colonne vertébrale du roman aux éclats tranchants comme des poignards.
« J’assigne au lieu des vocables, des phonèmes, j’assigne au temps une nouvelle grammaire. Mon présent est un futur à l’abandon : organique pensée de la matière, humus, corps, viscères que j’offre aux saisons ».
Dolmancé est un poète dont la plume est un baromètre, un sismographe de l’état du monde. Il voit ce qu’il écrit, et écrit ce qu’il devine de la dévastation du monde, sous ses yeux, le venin s’insinue. Pour écrire, il s’accoude à l’humanité pour y desceller la trace du Diable et de ses serviteurs – Satan, dans sa forme contemporaine, pourrait n’être qu’un logiciel, un site communautaire dont vous ne pourriez jamais plus vous passer. Comme Maldoror, il dirige ses talons en arrière et non en avant. Il voit l’insensé, et l’invisible, jette sur la page blanche les ombres noircies de ses visions terribles, mais aussi de ses sensuelles admirations.
« L’écriture seule reste une lumière ténue dans l’obscurité de ce siècle. Lorsque ce qui nous entoure n’est qu’un ersatz d’apocalypse où chercher l’éclaircie ? Dans les yeux d’Emeline, dans la littérature ou peut-être à défaut dans la mort ».
« Il me disait que mes seize printemps ne connaîtraient jamais l’hiver, que ma beauté serait éternellement conservée par mes yeux. Il m’a dit qu’il m’aimait. Moi aussi je t’aime, mais il y a ce monde et mes frères… »
Dolmancé n’a pas face à lui la jalousie maladive de petits barons ou de têtes molles, mais la fureur destructrice des frères de son amour, qui n’acceptent pas qu’il s’emploie à sauver du nihilisme et de la servitude la jeune femme. Sa réponse : la juste fuite à Venise, au cœur de l’absolue beauté, comme d’autres prirent la route de l’Abyssinie, ou d’un Château de la subversion*, une fuite pour se sauver, car si la langue sauve, elle ne suffit pas, en cas d’imminent danger, il convient de disparaître, la liberté est à ce prix. De cette liberté Thibault Biscarrat tisse un roman de la cristallisation, où l’amour, les récits, les points de vue, les poèmes, les effusions, les doutes, les musiques, gravent dans le marbre son chant où le bonheur est simple comme le silence.
* Annie le Brun, éd. Jean-Jacques Pauvert
Philippe Chauché
http://www.lacauselitteraire.fr/dolmance-thibault-biscarrat

dimanche 14 février 2016

Pascal Louvrier dans La Cause Littéraire



« Les spectateurs pénètrent dans le ventre de la baleine, ils sont Jonas. Le verre sublime le génie du compositeur. Le rouge des parois, l’aluminium moulé, c’est l’écrin de mes songes.
Mon nom à présent peut s’effacer ».
 
L’état du monde selon Sisco est le roman d’un architecte, de l’art de l’architecture, de son monde, celui qu’il invente tous les jours crayons à la main, mais aussi celui de la dévastation annoncée, des résistances timides ou foudroyées. Marc Sisco est un architecte choyé, un artiste de la courbe, du verre, du béton, de l’aluminium, de la suspension, de l’espace conquis, du mouvement. Après des années de recherches, de lignes et de traces, de calculs, il se voit choisi pour construire ce qui s’annonce comme son chef-d’œuvre, le T40, le nouvel opéra de Venise, un défi à l’espace et au temps. Tout semble sourire à l’architecte romantique, il vagabonde à Paris et à Venise. Son univers : ses dessins, ses équations, son bureau, sa Ferrari, ses cigares. Tout sourit à l’éternel insoumis, sauf l’état du monde, son monde qui se fissure et celui qui l’entoure qui s’effondre.
 
« Que reste-t-il de notre jeunesse, de nos premiers émois, de nos rendez-vous avec le destin. Un petit village, un vieux clocher, un paysage, répond l’éternel Trenet. Oui, il reste des lieux, des lieux avec des signatures d’architectes, célèbres ou oubliés, des lieux flamboyants, des lieux vétustes, en pierre, en béton, brique, verre, mais des lieux où s’enchâssent, malgré soi, des souvenirs ».
 
Le roman de Sisco est alors traversé par une rupture, des échanges de coups et une garde à vue, un visage tuméfié et un abandon, cet à quoi bon qui ne dit pas son nom. Ce choc le transforme, son visage n’est plus le même, ses mots, ses attitudes, ses attentions, tout explose, il s’emploie à se faire détester. N’existe que le T40, ce rêve de T40, Venise, l’opéra, Mozart, cette illusion ? Point d’illusion, comme l’on dirait Point de lendemain*, mais le réel révélé, la mort annoncée de sa mère – Elle était là, dans son fauteuil roulant, devant la fenêtre. Je me suis approché sans faire de bruit, elle somnolait. Je l’ai embrassée sur le front, respirant son odeur, comme si c’était la dernière fois que je pouvais le faire–, son couple en fusion, sa fille perdue, sa jeune amie, ses collaborateurs, n’y peuvent mais. Il fond comme le métal de ses constructions et dérive comme un vaisseau de verre sur le Grand Canal. Tout le monde de Sisco file entre ses doigts, ses amours, ses passions, son corps, il ne reste que ses hallucinations et des « accords de tristesse ».
 
« J’ai éteint la lumière. La demi-sphère noire, je l’imaginais au large de Venise, la mer frappait contre elle, les notes assemblées par Mozart déclenchaient une vive émotion, le cœur s’emballait, et l’âme soudain pouvait croire de nouveau en la beauté ».
 
L’éternel Sisco comme le Samouraï de Melville voit sa fin venir, le dernier clap, il laisse filer sa société, le T40, sa vie, pour devenir invisible. Il a tout donné, tout inventé et personne n’a vraiment voulu le croire. Le jeu social est dévoilé. Pascal Louvrier écrit là un surprenant roman, vibrant, vif, mélancolique – Le rôle de l’architecte : être le metteur en scène de notre nostalgie future – désenchanté, nourri d’architecture et de littérature. Un roman dont le héros croise là Sollers, ici Jacques Laurent ou plus loin la crinière blanche de Roda-Gil, entraîné par ce rêve fou de construire envers et contre tout, envers et contre tous, de bâtir – cette aventure humaine incomparable –, d’être ce qui s’élève de ses dessins, de devenir ce qui va s’élancer, défiant toutes les règles humaines de la pesanteur et de la lourdeur des assis, c’est ce même défi que se lance l’écrivain.
 
Philippe Chauché
 

vendredi 12 février 2016

Dictionnaire amoureux de la Tauromachie : Delay (Florence)

Florence Delay




Avant d'être Immortelle, elle a interprété Jeanne d'Arc sous la direction de Robert Bresson,  fréquenté le Festival d'Avignon, écrit des romans, lu et traduit notamment José Bergamín, Lope de Vega et Calderón. Son grand père fut maire de Bayonne, son père a donné son nom à une clinique (proche de René Char, le poète de l'Isle sur la Sorgue lui offrit l'année de ses quinze ans les œuvres complètes de Lorca), elle a souvent (j'ignore si c'est encore le cas aujourd'hui) franchi les portes des arènes Marcel Dangou.  " Il fut non seulement l'ami des toreros vivants (Ordoñez, Bienvenida) mais du plus ancien d'entre eux, Sénèque de Cordoue, que Nietzsche surnommait toréador de la vertu. Le maître et l'ami non seulement d'une génération de Républicains éternels mais de leurs petits-fils qu'il éveilla aux luttes contre le sommeil instauré par la dictature ". (à propos de Bergamín dans  Mon Espagne Or et Ciel). 
 
Philippe Chauché   

jeudi 11 février 2016

Dictionnaire amoureux de la Tauromachie : Vargas Llosa (Mario)

Mario Vargas Llosa

 

Tout autant péruvien qu'espagnol, il ne cesse d'écrire et de lire depuis plus de cinquante ans. Prix Cervantès, Prix Nobel de Littérature, anobli par le Roi d'Espagne,  l'auteur de La ville et les chiens n'a  de cesse de défendre la tauromachie, plume à la main, comme s'il s'agissait d'une muleta, un art de la trinchera romanesque qui a rencontré celui de José Tomás :  " Vous avez raison, maestro de maestros. Dans les feintes et les leurres dont est fait le toreo, dans ces jeux d'ombres chinoises, des passes et de postures, une vérité crue, essentielle, surgit avec une force imparable. C'est le grand paradoxe de la condition humaine, quand la vie est inséparable de la mort, quand rien ne donne plus de flamme, d'intensité et de passions à la vie que la proximité de l'extinction, surtout lorsque l'esprit humain, dans un ultime défi, construit une autre vie faite de grâce, de formes, d'élégance, de rythme et de beauté, l'art, en somme, une vie qui nous fait pressentir la chimère de l'éternité. "
 
Philippe Chauché

mardi 9 février 2016

Dictionnaire amoureux de la Tauromachie : Wolff (Fancis)

 
 
Francis Wolff




On a beau avoir vu, dix, vingt, cent, mille corridas, la dernière est toujours la première. On a beau savoir tout ce que l'on sait, on recommence à jamais la même histoire. La corrida est une éthique et parfois une esthétique.  Francis Wolff qui fréquente les arènes depuis fort longtemps a tenté et réussi le projet d'écrire cette " Philosophie de la corrida ". Et comme un torero juge la force, les défauts, le danger, la noblesse, d'un taureau,  l'écrivain philosophe pèse chaque mot qu'il définit, chaque concept qu'il construit, il choisit ses réflexions, ses esquives, comme un maestro mise sur telle ou telle corne, la pensée est aussi affaire de vista et de sitio. " Le olé qui ponctue une passe n'est que l'espérance du suivant, tantôt déçue, tantôt comblée. L'art naît de la syntaxe, de la pensée de la série. Penser à la passe suivante. Placer son corps pour la répétition, le retour, l'enchaînement. La fin de la passe est là où devra être le début de la suivante. "
 
Philippe Chauché


lundi 8 février 2016

Dictionnaire amoureux de la Tauromachie : Léger (Jack-Alain)

Jack-Alain Léger


Il aura porté autant de masques que de pseudonymes, Jack-Alain Léger, dont Gallimard publia Maestranza, " ni essai ni roman ce qu'on voudra " dédié " Aux amis qui ne disent que ce n'est pas fini, aux amis, donc, et à Julian Lopez " El Juli " pour ouvrir le nouveau siècle. Mais aussi Dashiell Hedayat, traducteur de Bob Dylan, Eve Saint-Roch, et Paul Smaïl. De ses livres refusés par les éditeurs, il  parlait de romans romans romans, comme l'on évoque les toros toros. Rêvant d'aristocratie, de belles manières, d'élégance naturelle, il ne pouvait que franchir les portes des arènes, et accompagner les Pasos de la Semaine Sainte. " Le grand portail des arènes était encore ouvert. Je suis allé repérer par quelle porte j'accéderais à ma place le lendemain soir. J'ai relu le cartel : Curro Romero, Espartaco, Rivera Ordoñez, taureaux de Juan Pedro Domecq et Parladé.  Une allégresse irraisonnée m'envahissait avec la force d'un pressentiment : je ne sais pourtant pas ce que je ressentirais devant la fatale réalité de la corrida. "

Philippe Chauché

dimanche 7 février 2016

Dictionnaire amoureux de la Tauromachie : Bergamín (José)

José Bergamín



Ecrivain de l'art du birlibirloque, du tour de passe-passe, du jeu, José Bergamín se glisse avec aisance et élégance dans la peau (Piel de toro) des toreros. L'absurde lui va à ravir, comme sa passion pour les toreros fantasques, il va d'ailleurs dédier La solitude sonore du toreo à Rafael de Paula. Il aura incarné avec beaucoup d'élégance l'Espagne de la vie, face à celle de la Mort que distillait Franco et sa clique, au sein notamment de l'Alliance pour la défense de la culture. Proche de Bernanos, de Mauriac et de Malraux, et lecteur du Cantique spirituel, il ne cessera de déranger ses amis comme ses ennemis, et consacrera deux petits livres aux effervescences taurines. " Deux fois je l'ai vu faire et dire admirablement le toreo, avec une finesse et une profondeur de style incomparables. Et, les deux après-midi, il a demandé à l'orchestre de ne pas jouer. "
 
Philippe Chauché
 

samedi 6 février 2016

Jean-Jacques Schuhl dans La Cause Littéraire



« …c’était la terre, la terre avec ses bruits, ses passions, ses commodités, ses fêtes ; c’était une terre riche et magnifique, pleine de promesses, qui envoyait un mystérieux parfum de rose et de musc, et d’où les musiques de la vie nous arrivaient en un amoureux murmure » (Déjà !, Charles Baudelaire).
 
Le Ghost writer est de retour. L’écrivain fantôme, qui n’écrit presque pas, dont la présence est fantomatique, glisse sous nos yeux et y dépose Obsessions, un recueil de nouvelles, que l’on peut lire comme un roman fragmenté. Dandy rêveur, témoin complice d’artistes et d’anonymes qu’il a croisés au hasard de ses escapades romanesques, Jean-Jacques Schuhl se délecte d’associations d’idées, mêle souvenirs, visions, situations, rues et villes mots qui s’ouvrent comme une boite à malices, pour faire naître ses envolées romanesques, un peu comme dans les vieux films de Raoul Ruiz – Entrée des fantômes – avec le même sérieux amusé, la même gourmandise pour raconter des histoires à faire sourire les enfants et éloigner le néogâtisme gélatineux qu’épingle le Pataphysicien Daniel Accursi.
 
« Vue du quai Voltaire, sous cet angle, là-bas la gare d’Orsay, palais de verre renfermant une lueur bleu aquatique avec au-dessus le ciel plombé, nuages noirs ici et à frangés de rose, je me suis retrouvé dans le Londres ancien, époque du Crystal Palace : ce mélange d’inquiétude et de féérie. C’est comme avec les gens, les visages, je ne peux m’empêcher, c’est parfois un détail, trois fois rien, de substituer à un lieu un autre, éloigné de préférence : le Bosphore et les Dardanelles dans un coin perdu du quinzième, ou Gethsémani, Jérimadeth, j’en oublie. Rêveur forever ! ».
 
Le Ghost writer est un oiseau de nuit, croisant ici Paloma Picasso et Helmut Berger, là Warhol et Basquiat, un peu plus loin Jim Jarmusch et Betty Boop, ou encore le Docteur Death, ce médecin légiste dont il pense un temps faire le portrait pour un magazine, Jean Eustache qui voulait recueillir à l’extrême surface de la pellicule tout ce qui ne veut rien dire, Werner Schroeter et son aristocratique solitude, une courtisane un peu déjantée, une couturière à l’amateurisme ravageur de tissus rares. Vivants ou morts, fantômes à fictions, et fictions de vivants, qui ne manquent pas un rendez-vous depuis la parution d’Ingrid Caven.
 
« Je regardais les petits bouts d’étoffe par terre, en rubans comme ceux, en papier, de mes lambeaux de manuscrits ou de bords annotés et découpés des journaux dont j’aurais pu faire des bracelets ».
 
Le Ghost writer traverse avec une certaine nonchalance les jours et les nuits parisiennes et new-yorkaises, à ses côtés Baudelaire, autre dandy rêveur et raffiné. La nouvelle La cravache pourrait lui être offerte, comme l’on offre une rose blanche à une actrice de cinéma allemand, ou à un couturier céleste. Jean-Jacques Schuhl écrit comme l’on dessine, coupe dans de la soie, comme l’on surpique et assemble ce qui va en un coup de ciseaux magiques devenir une seconde peau encore plus légère et soyeuse que la sienne.
 
« Cette image d’éphémères dessins disparaissant m’a rappelé aussitôt les empreintes accidentelles d’un pied sur la toile de Jean-Michel Basquiat. C’était deux fois, sans doute, une intervention du hasard, et deux fois une empreinte : du pied de Jim Jarmusch, de l’ongle du pouce de Michelangelo Antonioni, et que l’une demeure tandis que l’autre disparaît n’était qu’accessoire, seule comptait pour moi la marque en creux d’une chose absente. Il existe certaines empreintes de pattes d’oiseaux plus délicates que des rameaux de givre… »
 
Avec ce qu’il a vécu, avec ce qu’il a vu, entendu, le Ghost writer pourrait écrire dix, vingt, trente romans électriques, Obsessions est leur concentré chimique, persuadé, et c’est son beau principe romanesque, que les gens gagnent à être connus : ils y gagnent en mystère.
 
Philippe Chauché
 

vendredi 5 février 2016

Dictionnaire amoureux de la Tauromachie : Cau (Jean)


Jean Cau



Son nom reste à jamais attaché à celui de Jean-Paul Sartre - il sera son secrétaire et tout porte à croire qu'ils ont parlé toros -, au Général de Gaulle - admiration totale pour l'homme politique -, au Sud dont il ne se détachait jamais et aux toreros. Il avait cette science de l'observation qui parfois transforme un journaliste en écrivain et un écrivain en aficionado. Proche de Paco Camino et de Litri, nous croisions parfois son ombre dans les rues de Nîmes. Il était farouche comme pouvaient en ces temps l'être les pensionnaires de Don Eduardo Miura, insaisissable, mouvant, fidèle à sa terre et au sable des arènes. " Des milliers de gamins, en Espagne, dans les parcs, les fermes ou les terrains vagues s'entraînent  ainsi à toréer des toros d'ombre. Parfois les copains s'arrêtent pour regarder l'un d'entre eux. Quelque chose se passe. Il n'y a pas de toro, pas de spectateurs, pas d'arène mais l'enfant, sous les yeux de ses copains médusés, opère des gestes magiques. Les copains voient l'arène, voient le toro. Ils entendent les Olé de milliers de spectateurs déferler en vagues. " (Les oreilles et la queue)
 
Philippe Chauché