samedi 31 octobre 2009

Céline en Novembre



à C. vivement.

" Vous êtes bien aimable de vous intéresser à mes si furtives activités littéraires. Il ne s'agit pas d'oeuvre - aucune prétention, et pas de littérature mon Dieu non. "

" Je suis exténué, je termine mon oeuvre, tant de pages. On ne m'y reprendra plus. "

" Vous avez admirablement deviné le fond du problème. L'angoisse devant la perversité ambiante, ce constat évident que tout s'écroule déjà - que la catastrophe est dans l'air. L'important c'est de ce placer dans l'intimité des choses. "

" Et j'avance le prochain monstre, folle entreprise une fois de plus. Il faut trouver le ton, le style, quelle abominable sujétion. Les frivolités m'échappent."(1)

Voilà c'est écrit, il fallait simplement pouvoir le lire. C'est la bonne nouvelle de ce mois de novembre, la réédition de ces vingt-huit lettres de Louis Ferdinand Céline à son ami Joseph Garcin, " un personnage comme Céline les affectionne : curieux des hommes et de toutes les expériences, aimant l'aventure et la vie, mais facilement inquiet et pessimiste, arriviste et sachant profiter de toutes les occasions pour fuir ce qu'il appelait la médiocrité générale, peu scrupuleux sur les moyens, certes, mais fidèle en amitié. " (1), c'est net, clair, vif, brusque, terrible, comme ce qui va devenir son "oeuvre". Céline écrit, seul contre tous ou presque, Garcin un temps est là, à Londres, mais finalement si proche du docteur Destouches. Il lit Céline, qui en douterait, il lit le " Voyage au bout de la nuit " : " Ça a débuté comme ça. Moi, j'avais rien dit. Rien. " ... " Quand on sera au bord du trou faudra pas faire les malins nous autres, mais faudra pas oublier non plus, faudra raconter tout sans changer un mot, de ce qu'on a vu de plus vicieux chez les hommes et puis poser sa chique et puis descendre. Ça suffit comme boulot pour une vie tout entière. " ... " C'est difficile d'arriver à l'essentiel, même en ce qui concerne la guerre, la fantaisie résiste longtemps. " ... " Déjà notre paix hargneuse faisait dans la guerre même ses semences. " ... " Décidément, j'étais un créateur d'euphorie ! " (2)
Vingt-huit lettres donc, vivement actuelles, il suffit de bien les lire, mais c'est une autre histoire, comme ses roman d'ailleurs. Mais qui les lit aujourd'hui, posez la question autour de vous, les réponses ne manqueront pas de vous amuser, vingt-huit lettres, des goûtes d'eau ou l'acide si l'on veut.

" Je vois nos contemporains pénibles digestions et aveuglement. " (1)
" La peur elle est partout, voilà le malheur des hommes. " (1)

Vingt-huit lettres admirablement mises en musique par Pierre Lainé : " Au-delà de l'anecdote, que nous apportent ou nous confirment ces lettres quant à la connaissance de la pensée célinienne de 1929-1938, période essentielle pour l'élaboration des premiers romans et la mise en place chez l'écrivain d'un projet, d'un style, d'une poétique au sens que Genette donne à ce mot ?
Certaines de ces missives, très brèves, peuvent apparaître anodines ; l'ensemble consitue cependant un apport important à la connaissance de l'homme et de l'oeuvre, d'autant que cette correspondance, étendue sur près de dix années, s'oriente autour de la question fondamentale de la genèse et de la création romanesque célinienne. "

" Je suis malade, exténué par mille servitudes - ce roman qu'il faut finir me tue, j'y laisserai la peau et le peu de jeunesse qui reste, ce sera bien terminé. "

" Les gens ne comprennent rien à rien, des bûches de toute façon, voyez ce second livre, j'hallucine, j'exagère, bien, mais c'est la loi du genre, ma loi - j'essaye d'alerter le lecteur en fait. Et le lecteur roupille et ne veut surtout pas être dérangé. "

" Vous pensez bien que tout cela, discutailleries, rigodon, c'est le reculer pour mieux sauter, petit sursis pour amuser la galerie. La guerre arrive et quand elle sera finie, si nous ne sommes pas poussières aux vents d'alors, nous seront trop vieux pour reprendre le cours des choses...
Amusez-vous bien avant de quitter Londres. Quels sont vos projets ami ? J'irai prochainement là-bas... Je vous tiendrai au courant - et pour notre peintre.
Bien affectueusement.
Destouches. " C'est la dernière, datée du 22 octobre 1938. La suite on la connaît ? Pas si sûr !
Chez le même éditeur est publié un Céline de Philippe Sollers, reprise d'articles parus ici ou là. Lisons, nous en reparlerons.

à suivre

Philippe Chauché




(1) Louis-Ferdinand Céline / Lettres à Joseph Garcin ( 1929-1938 ) / réunies et présentées par Pierre Lainé / Écriture
(2) Voyage au bout de la nuit / Louis-Ferdinand Céline / Gallimard / Édition de 1952

1 commentaire:

  1. Bonjour,

    Mon blogue consacré à LF Céline

    http://celinelfombre.blogspot.com/

    Pierre Lalanne

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