dimanche 17 janvier 2010

Ecrire c'est Aimer



Il s'est dit, " c'est son titre qui m'a poussé vers lui ", " c'est comme un prénom ", a-t-il ajouté, " un prénom qui vous saisit, et ce saisissement est un bouquet de fleurs qui vous accompagne et vous embrase ". Au dessus du titre en bleu, un beau bleu d'été, " L'Absence d'oiseaux d'eau ", il a pensé, il est troublant ce titre, et s'est demandé ce qu'il avait à dire de la littérature, ce titre là, au dessus du bleu, il y avait un nom d'un gris d'automne, " Emmanuelle Pagano ", il ignorait ce nom d'écrivain, il aimait être dans cette ignorance première, et plus bas, " Roman ". Il a traversé la rue avec ce roman de l'Absence d'oiseaux d'eau à la main, il s'était posé dans sa main droite, celle qui aime les livres, a-t-il pensé. Il y avait une note au tout début, une note d'auteur, un avertissement, un éclairage, il s'est dit, elle est aussi troublante que le titre cette note. La note l'avertissait que ce roman était : " à l'origine un échange de lettres avec un autre écrivain. Nous nous l'étions représenté comme une oeuvre de fiction que nous construisions chaque jour, à deux, et dans laquelle nous inventions que nous nous aimions. Nous ne savions pas jusqu'où le pouvoir du roman nous amènerait. Nous ne connaissions pas la fin de l'histoire. Il est sorti de ma vie brutalement, abandonnant ce texte en cours d'écriture. En partant, il a repris ses lettres. Il y a donc des vides, des ellipses dans ce roman, dans lesquels il faut imaginer ces lettres, qu'il publiera peut-être un jour, une autre fois, ailleurs, séparément. " Dès les premières pages, il s'est dit, " Écrire c'est Aimer " et il a pensé, " lorsque j'écris, j'aime ", ce roman de l'Absence d'oiseaux d'eau, s'accordait à cette Année des Délices : " Le livre et la vie se mélangent, sans couture, sans séparation. " " Le rythme de l'écriture prend appui sur ce métronome intime au corps de chaque écrivain. Le tien, on dirait le battement de l'eau sur des rochers. Le mien est détraqué. " " Serre-moi plus fort, prends ce risque-là, de brouiller les pulsations, les rythmes des phrases. " (1), il a pensé en lisant les premières pages de cet échange littéraire devenu solitaire, que cet écrivain là, avait un corps qu'elle exposait, un corps dans le mouvement de l'amour et de l'écriture, ce mouvement est celui de la Courbe du Temps. Il n'a pas cherché à imaginer ce que l'homme en face avait écrit, il s'est laissé gagné par le rythme de la phrase, par sa musique, il s'est dit, la musique d'un écrivain aimant est une belle musique, et l'écrivain qui écrit l'amour aimé ne sera jamais perdu, même s'il sombre, un ange le sauvera de la noyade, de l'absence des mots et des gestes de l'homme aimé. Il a tracé dans la marge blanche des pages de petits traits au crayon dur, et relu une deuxième fois ce qu'il avait ainsi souligné dans la légèreté de la première lecture :
" Je voudrais prendre les mots dans mains, et les tordre, les mots, jusqu'à ce qu'ils suivent les contours de ton corps, les malaxer jusqu'à ce qu'ils soient chauds, et qu'ils aient le bonne texture, qu'ils soient suffisamment tendres pour recouvrir ta chair d'une seconde peau. " (1)
" Tous les soirs, je t'envoie ce que tu attends de moi, des mots qui nous tiennent ensemble, des points de désir qui ponctuent mes lettres. " (1)
" J'aime savoir ça : puisque tu l'embrasses, mon ventre sera dans tes livres, puisque je te caresse, tu écriras ton plaisir, celui que je te donne. " (1)
" Je sais comment je te tiens, par les mots et par le sexe. " (1)
" Quand nous faisons l'amour, nous ne faisons qu'écrire encore les mues de nos écritures l'une dans l'autre et quand nous sommes éloignés, quand nous sommes loin et que nous n'écrivons pas, nous nous manquons comme on manque de mots, comme on est muets, aveugles, sourds. " (1)
" Est-ce qu'on peut rentrer dans un corps comme on entre dans un livre, totalement, en étouffant les bruits de l'extérieur, en calfeutrant l'espace ? " (1)

L'auteur s'est mis à la hauteur de son aventure, d'amour, de mots et de corps, il fallait pour la réussir l'accorder à la partition secrète de l'art littéraire. Il se dit s'est réussi.

Ces phrases l'ont ébloui, ces phrases et d'autres aussi, il les trouvent lumineuses et musicales, elles ne le surprenent pas, l'histoire oui, pas les phrases musiciennes. Il s'est dit, de telles phrases viennent d'un corps qui n'a pas peur de la jouissance, et un corps d'écrivain qui n'a pas peur de la jouissance est un corps qui sait écrire, il a souri en pensant cela, et sa souffrance, cette absence qui fige, n'abolira pas cet art d'être à la hauteur de l'amour, donc du hasard, qu'écrit et que vit l'écrivain, c'est ce qu'il a écrit dans le matin délicat qui lui souriait.

à suivre

Philippe Chauché

(1) L'Absence d'oiseaux d'eau / Emmanuelle Pagano / P.O.L.

1 commentaire:

  1. "Je ne veux plus écrire avec une fleur dans les cheveux.Je voudrais écrire comme on mord dans la viande , avec des dents et de la faim, avec du sang et du désir"

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