mardi 5 janvier 2010

L'Année des Délices (4)


" Le Discours Parfait (Logos Teleios ) est un écrit hermétique grec du début du IV° siècle de notre ère, connu en latin comme l'Asclépius. On sait que saint Augustin, venu du manichéisme, l'a lu. " (1)

Il se dit tout d'abord, qu'il convient de rappeler que cet écrivain est en guerre. D'évidence il n'est pas le premier et heureusement pas le dernier à diriger ainsi ses livres, vaisseaux armés et musicaux sur l'ennemi, il sait aussi que l'on ne l'attaque jamais seulement de front, sauf dans certaines situations précises, mais qu'il est de toute grandeur guerrière de le harceler sur mille fronts ouverts, qu'il croît à jamais clos, " pour prendre les villes ", disait un chinois qui un temps fût amusant, " il faut tenir les campagnes ". Cette guerre est celle du Goût, et l'auteur, d'ailleurs ne s'en cache pas. (2)

Comme il sait qu'il ne manque pas de soutiens, il ouvre un vieux livre qui rajeunit chaque jour :

" On amuse l'ennemi par des gesticulations, et on profite de son assurance pour se rendre maître de la situation, selon la configuration de l'" Augmentation ", laquelle requiert d'agir avec douceur. " (3)

Place maintenant à ce " Discours Parfait " qui s'affiche ici, et il trouve amusant qu'il se décline dans cette Année des Délices, qui n'est pas née n'importe où et à n'importe quel Instant. Constat merveilleusement musical et floral. Les fleurs qu'il avance comme des cavaliers sur l'échiquier du Temps qui sont à l'honneur ici même depuis le début de cette nouvelle année chrétienne, ces fleurs s'invitent dans le livre dès les premières pages, ce n'est pas un hasard, se dit-il, où alors un hasard qui a lu Nietzsche, c'est finalement le moins que l'on puisse attendre de lui ! Lisons :

" J'essaie de voir, ou plutôt d'écouter et de respirer, le jardin où je suis. Après le printemps des pâquerettes, des giroflées, des roses, des mimosas et des lilas, c'est l'été des lavaters ( explosifs ), et puis de nouveaux des roses, des cannas, des géraniums, de la sauge ( pointue et discrète ), de la lavande ( merveille des narines ), des fleurs d'acacias blanches ou roses, des lilas d'Espagne, des roses trémières, du solanum, des lauriers rouges ou roses, des marguerites, des églantines, des bignonias, des althaeas. Un arbre mimosa est toujours là, les rosiers sont en train de revenir, rouges, blancs, roses, crème ( bonjour Ronsard ), des dizaines de papillons blancs flottent, se posent, butinent en même temps que les bourdons. Le verbe butiner ( butin, lutiner ) se profile en miel sur fond de néant. Un peu de musique ? Mais oui, Chérubin, dans Les Noces de Figaro, papillon d'amour, farfallone amoroso, Mozart lui-même avant qu'il devienne Don Juan. Et puis non, silence, ce silence-là, au bord de l'océan, un silence aux couleurs épanouies et vives. " (1)

Il se dit en observant les dessins épanouis et vifs de Gérard van Spaendonck ( 1746-1822 ) que ces fleurs sont les fleurs du Délice et des Délices. Qu'elles accueillent ainsi le lecteur attentif est une bien belle chose. Il se dit aussi, qu'il en va ainsi de l'amour, lorsque l'amour s'offre comme une fleur, miracle des miracles qu'il convient d'embrasser. Il pense alors qu'une fleur lui est aussi essentielle qu'un baiser, l'Année des Délices le prouve.

Il se relit et s'aperçoit que la guerre s'est éloignée, enfin c'est ce que l'on peut imaginer, et pourtant Montaigne, Baltasar Gracian y Moralès sont là, leurs armes ce sont leurs livres, ils sont toujours imprimés, l'auteur le sait et les lit, il en parle, à vous de voir s'ils vous importent.

" Individualiste, Montaigne ? Et comment ! La société de son temps est celle de tous les temps : fanatisme plus ou moins rampant, ignorance, massacres, assassinats, mensonges, illusions, dissimulations, " vacations farcesques ". La jalousie et l'envie, sa soeur, mènent le monde, et la jalousie est " la plus vaine et tempétueuse maladie qui afflige les âmes humaines ". Il s'ensuit un théâtre de la cruauté, mais " je hais cruellement la cruauté " ( formule sublime ). " (1)

" Gracian a toujours insisté pour que ses livres soient publiés en format de poche. Vous vous baladez avec lui, vous le lisez, vous le relisez, comme Nietzsche ou Tchouang-tseu. Vous tombez sur : " Tout doit être double, et plus encore les sources de profit, de faveur, de plaisir. " Ou bien : " Comprendre était autrefois l'art des arts. Cela ne suffit plus, il faut deviner. " Ou bien : " N'attendez rien d'un visage triste. " (1) Il se dit que cette vérité devrait inspirer les Temps Présents.

Alors il s'échappe vers la Table, il lit :

" Furieux Saint - Simon.
" Mouvement des Lumières.
" L'érotisme français.
" Exception.
" Nietzsche, miracle français.
" La Folie des Nuits.
" Ivresse de Claudel.
" Mauriac grand cru.
" Magique breton.
" Rire majeur.
" L'infini de Michaux.
" La voix de Beauvoir.
" L'intime radical.
" L'origine du délire.
" Des femmes.
" La mutation du divin.
etc. " (1)
C'est un roman permanent, comme on le dit d'une vie ou d'une année, un délice permanent, une vie de délices et une année du même nom.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Discours Parfait / Philippe Sollers / Gallimard
(2) La Guerre du Goût / Philippe Sollers / Gallimard
(3) Huitième Stratagème / Les 36 Stratagèmes / Manuel secret de l'art de la guerre / traduc. Jean Lévi / Rivages poche / Petite Bibliothèque

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