mercredi 13 janvier 2010

Entrée des Fantômes



Le livre est posé sur son bureau, il l'accompagne depuis quelques jours, il relit ce qu'il notait ici : " Il a ouvert le livre et très vite, lu cette phrase : " La jeune fille était poreuse, la plaque hypersensible d'une pellicule TRI.X. ultrarapide : tout l'impressionnait, elle reflétait le temps tout le temps. " (1)
Il s'est dit quel livre qui ainsi s'annonce ! " Elle prit distraitement dans son sac un banal stylo laqué noir au capuchon sans agrafe et le tenant devant la bouche elle fit " Aaahhh ! ", à peine un soupir, et comme par une formule magique un oeilleton s'ouvre en son milieu : un centimètre, quatre rainures imperceptibles, un bout de laque se déboîte vers l'intérieur, coulisse sur le côté, comme un volet, découvrant une membrane translucide. Le mécanisme ne réagissait qu'aux fréquences sonores de rares nuances vocales. Il était peut-être resté sourd depuis toujours, comme un simple stylo, ses divers propriétaires n'ayant pas le timbre voulu. (1).
Voilà ça s'envole, s'est-il dit, le roman prend sa vitesse de croisière, il suffit d'avoir dans la voix la formule magique, l'éclat de voix qui découvre ce qui semble être caché, ce roman à peine ouvert sous la neige, a finalement la chance, pensa-t-il de paraître en cette Année des Délices. " Il poursuit, plonge dans l'histoire de Marge : " Elle avait inscrit le premier mot du SMS et on la finissait pour elle en mots fantômes. Son portable sous l'emprise d'un sortilège ? " (1)
Les fantômes irisent le téléphone portable de Marge, ils font plus que s'inviter, ils s'imposent. En quelques pages, l'écrivain esquisse une fiction qui en fait naître une autre, celle de l'auteur. " Moteur " comme l'on dit au cinéma !
Fiction ? ma vie est un roman ? " Je suis si romanesque " écrit-il à plusieurs reprises. Une vie vécue au centre des intérêts du Temps s'écrit là, vérification que vivre c'est écrire, et bien écrire au centre de la vie vive.
Ici, il y a une rencontre avec le cinéaste chilien Raul Ruiz qui offre à l'écrivain un rôle dans un film qui ne se fera peut-être jamais, mais qu'importe : " Je te propose de jouer le rôle du chirurgien dans les Mains d'Orlac ! " (1) Les mains du crime dans un corps d'artiste, amusante métaphore de l'écrivain en mouvement, un mouvement chaloupé, car l'auteur claudique, la faute à une hanche qui doute : " ... renversé dans son fauteuil, il a examiné la radio de mes os à la lumière de la lampe... " Mais c'est un Bacon ! Bacon, vous connaissez ? le peintre ! " (1) Voilà comment naissent les fictions réelles, ma vie est roman ! Et les fantômes se dit-il, ils vont s'inviter, dans les éclats de la ville des écrivains : " Croiser les fantômes est un luxe réservé à de riches oisifs aux nerfs fragiles et un peu hors du monde, je me disais dans le taxi que redéfilaient dans l'autre sens les rives du fleuve éclairé de loin en loin par les lumières balayantes. En plus, le face-à-face avec mon squelette, cette nuit où avaient ressurgi les souvenirs des créatures fantastiques du cinéma allemand, et de l'univers de Shakespeare hanté par les spectres, et même l'état dépressif, l'ornière où je me trouvais tout cela avait dû me mettre dans un état de réceptivité particulier. Et puis il y avait ce roman morbide chic que j'essayais d'écrire depuis bien longtemps, et à force d'écrire des choses étranges, ces choses étranges finissent par arriver. " (1)
Voilà et tout est ainsi. Il ajoute, ce roman arrive à temps, la neige lui va bien, comme d'ailleurs les intérêts du Temps, sa Courbe, et cette Année qu'il a baptisé des Délices, il se dit que l'année sera belle, lumineuse, joyeuse, amoureuse et écrite, ici ou ailleurs.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Entrée des fantômes / Jean-Jacques Schuhl / L'Infini / Gallimard

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