lundi 11 janvier 2010

L'Année des Délices (9)

Il a ouvert le livre et très vite, lu cette phrase : " La jeune fille était poreuse, la plaque hypersensible d'une pellicule TRI.X. ultrarapide : tout l'impressionnait, elle reflétait le temps tout le temps. " (1)





Il s'est dit quel livre qui ainsi s'annonce ! " Elle prit distraitement dans son sac un banal stylo laqué noir au capuchon sans agrafe et le tenant devant la bouche elle fit " Aaahhh ! ", à peine un soupir, et comme par une formule magique un oeilleton s'ouvre en son milieu : un centimètre, quatre rainures imperceptibles, un bout de laque se déboîte vers l'intérieur, coulisse sur le côté, comme un volet, découvrant une membrane translucide. Le mécanisme ne réagissait qu'aux fréquences sonores de rares nuances vocales. Il était peut-être resté sourd depuis toujours, comme un simple stylo, ses divers propriétaires n'ayant pas le timbre voulu. (1). Voilà ça s'envole, s'est-il dit, le roman prend sa vitesse de croisière, il suffit d'avoir dans la voix la formule magique, l'éclat de voix qui découvre ce qui semble être caché, ce roman à peine ouvert sous la neige, a finalement la chance, pensa-t-il de paraître en cette Année des Délices. Il est béni, s'amuse-t-il à penser, comme sont bénis les instants éclatants que lui offre la danseuse rouge de la Courbe du Temps. Il disposera d'une partie de la nuit pour lire ce livre de l'Année des Délices.



Auguste Rodin 1840-1917

Dans le bleu du ciel, il écoute les sonates pour " Violin and Hardpsichord " de Johann Sébastien Bach par Jaime Laredo et Glenn Gould, et il pense à la phrase entendue ici, cette phrase de la délivrance. Bach offre des phrases qui ouvrent sur une même délivrance, pense-t-il. Il en va des phrases prononcées comme des musiques jouées, elles éclaircissent le Temps, ouvrent sur un autre espace éclatant, déchirent les diableries installées, la marchandisation des phrases qui opère partout, et finalement ridiculisent les âmes tristes qui ont le ridicule chevillé à leur pauvres phrases cancéreuses.

Il se dit, " j'assiste à la déclinaison du jour, la neige et le ciel se fondent, miracle des couleurs qui glissent dans la nuit, la nuit est un paradis en mouvement, et ce mouvement m'unifie à celui du Temps. "

à suivre

Philippe Chauché

(1) Entrée des Fantômes / Jean-Jacques Schuhl / L'Infini / Gallimard

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