dimanche 31 janvier 2010
Sprezzatura
" Mais j’ai déjà souvent réfléchi sur l’origine de cette grâce, et, si on laisse de côté ceux qui la tiennent de la faveur du ciel, je trouve qu'il y a une règle très universelle, qui me semble valoir plus que tout autre sur ce point pour toutes les choses humaines que l’on fait ou que l’on dit, c’est qu’il faut fuir, autant qu’il est possible, comme un écueil très acéré et dangereux, l’affectation, et pour employer peut-être un mot nouveau, faire preuve en toute chose d’une certaine sprezzatura, qui cache l’art et qui montre que ce que l’on a fait et dit est venu sans peine et presque sans y penser. " (1)
Sprezzatura, nonchalance : un certain raffinement. Une distance bien heureuse qui permet de retrouver sa juste place, elle seule augure d'une vision savoureuse du Temps.
Il se dit, la rareté est toujours la bienvenue, la rareté est une vertu, les revues qui diffractent le Temps sont rares, en voici une. (2)
" La guerre que mène le monde contre les écrivains, les peintres, les sculpteurs, les musiciens, est toujours une guerre de tous contre un ou de tous contre quelques-uns. Même si elle fait des milliers, des millions de victimes. C'est un peu le massacre des Innocents tous les jours. Donc il s'agit d'éviter de s'engager dans une guerre de camps. " (2)
" Si la " victoire " n'est pas celle (de) la jouissance de toutes les dimensions, ce que les grecs appelaient oikonomia, l'ensemble des terres et des zones navigables connues - ça a donné " économie ", notons bien -, ce n'est la victoire de personne. " (2)
" La vraie vie est une question d'endurance. " (2)
" Même si on a déjà gagné, il y a de vraies batailles à donner. Ce que j'aime dans le projet de la revue, c'est le projet de publier ou de republier soit des traductions soit des inédits très importants qui sont des ressources au plus merveilleux sens de ce mot, une sorte de second souffle. " (2)
Il entend dans le mot ressource, en écho, secours, relèvement - quel mot ! -, rejaillir, - admirable -, se rétablir, resurgere, mais aussi richesse, tant de richesses pense-t-il s'offrent à nous, et nous ne les voyons pas.
C'est donc une revue rare, au nom étrange, aux propos vifs, pense-t-il, puisqu'il s'agit ni plus ni moins de rappeler que nous sommes en guerre, dernier épisode connu, le procès en sorcellerie romanesque intenté par Claude Lanzmann à l'encontre de Hannick Haenel, le soi-disant savoir qui attaque la réelle saveur. Les autres exemples affluent, il suffit simplement, se dit-il, de regarder, comment on vit, comment on lit, comment on écoute, comment on aime ! Dans cette guerre, qui comme le soulignait ailleurs, Philippe Sollers, est celle du Goût (3), il convient de sortir armé, et pour se faire, cette revue au nom étrange offre quelques éclairages, quatre écrivains d'un autre temps, Sun Tzu, Thomas Edward Lawrence, le Prince Charles-Joseph de Ligne et le Comte Raimondo de Montecuccoli, des fins stratèges dont la fréquentation concentrée est en ces temps fort utile.
" Dans l'urgence il apparut à l'auteur que la force des irréguliers se trouvait plus en profondeur qu'en surface. " (2)
" La victoire était acquise, et pouvait être démontrée noir sur blanc dès que l'on aurait compris le rapport entre l'espace et le nombre. La lutte n'était pas d'ordre physique mais moral, livrer bataille était donc une erreur. " (2)
" De même que l'on doit penser à la paix le premier jour de la guerre, on doit penser à la guerre le premier jour de la paix, et, pour l'éviter, paraître, le plutôt qu'on peut, en mesure. " (2)
" La vitesse fut la vertu particulière d'Alexandre et de César, et dans la vérité elle produit des effets merveilleux : l'ennemi ne se croit en sureté nulle part, et l'on saisit le moment de chaque conjoncture. " (2)
" Mais savoir garder un ordre merveilleux au milieu même du désordre, cela ne se peut sans avoir fait auparavant de profondes réflexions sur tous les évènements qui peuvent arriver. " (2)
C'est bien là, une étrange revue, au nom rare, se dit-il, une revue littéraire, qui se cache pour frapper, et qui avance dans la lumière pour rappeler qu'elle a gagné :
" Arc tendu de désir je veux être. " (2)
" C'est pourquoi bien se gouverner en ceci consiste, me semble-t-il, en une certaine prudence et un certain jugement dans le choix, et à connaître le plus et le moins qui s'accroît ou diminue dans les choses, pour les exécuter avec opportunité ou hors de saison. Et bien que le Courtisan soit de si bon jugement qu'il puisse discerner ces différences, ce n'est pas à dire qu'il ne lui sera pas plus facile d'obtenir ce qu'il cherche quand on lui aura ouvert l'entendement par quelque précepte, et montré le chemin et pour ainsi dire les lieux sur lesquels il doit se fonder, que s'il tenait seulement à des généralités. " (1)
à suivre
Philippe Chauché
(1) Baldassar Castiglione / Le Livre du Courtisan / traduc. Alain Pons d'après la version de Gabriel Chappuis ( 1580 ) / Éditions Gérard Lébovici / 1987
(2) Sprezzatura / Guerres irrégulières / N°1 - Automne-hiver 2009
(3) La guerre du goût / Philippe Sollers / Gallimard
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Merci beaucoup de votre bienveillante attention à notre revue.
RépondreSupprimerStéphane Marie