jeudi 21 janvier 2010

Le Passage


Léonard de Vinci 1452-1519

Son regard s'est longuement posé sur le cercueil, puis il a glissé sur les nuques, avant de s'élever vers les vitraux bleus qui éclairaient l'église, puis à nouveau il a fixé le cercueil et la gerbe de fleurs qui le recouvrait. Mille mots lui venaient, des mots qui sauvent pensait-il. " Les mots qui ne sauvent pas sont des mots inutiles, seuls les mots qui donnent la vie méritent d'être prononcés, seuls les mots de vie terrassent la mort, seuls les mots offerts comme des baisers sont des mots qui délivrent et rendent le corps au Temps, ces phrases se sont elles aussi élevées en silence. Il a entendu un mot, c'est le prêtre qui l'a prononcé, Passage, il l'a entendu ce mot, et compris que cet instant était celui d'un passage pour le prêtre, de la vie à la mort et de la mort à Dieu. Il devait y tenir puisqu'il l'a prononcé plusieurs fois le mot passage, il a pensé au mot voyage et à Ulysse, de la vie à la vie s'est-il dit. Un passage de la vie à la vie et non de la vie à la mort comme on veut nous le faire croire, c'est ce qu'il a pensé en regardant le cercueil une nouvelle fois. Il y a un corps au coeur du bois, s'est-il dit, et ce corps va passer à travers la trame du bois. Pour déboucher sur quoi ? s'est-il demandé. Sur la mort, sur la " vie éternelle " dit-on ! Étrange, a-t-il pensé.

Il a entendu d'autres mots, des mots de vie qui s'élançaient et venaient se poser sur le cercueil, avant d'embrasser, s'est-il dit, le corps dissimulé. Il s'est dit, ces mots là disent l'amour, ils sont dits pour aujourd'hui, pour hier et pour demain, ces mots qui disent l'amour offert et partagé, sont des offrandes, des offrandes pour le passage, des offrandes pour le Temps.

Le mot passage, ne le quittait plus, il s'est dit, c'est une ouverture, un fragment qui dit l'oeuvre, une ouverture sur la vie retrouvée, c'est ce qu'il a pensé. D'un oeil il fixait le cercueil qui dissimulait le corps, de l'autre un autre corps en mouvement qui lui offrait des mots de vie, de la vie à la vie, à t-il une nouvelle fois pensé, des mots à l'amour, d'un geste à un regard, d'un enlacement à un embrasement, les mots naissent de là, de cette ouverture, de cette musique des corps sauvés par les mots, de ce passage. Il a également pensé, que les corps donnent vie aux mots, que les mots naissent des corps enlacés, et cet enlacement déjoue la mort.

" Le Sauveur a englouti la mort - tu ne dois pas rester dans l'ignorance -, car il a dépouillé le monde périssable, il l'a changé pour un Éon impérissable et il est ressuscite, ayant englouti le visible par l'invisible, et il nous a ouvert la voie de notre immortalité. " (1)

" Si tu possèdes la résurrection, mais que tu restes comme si tu devais mourir, alors que celui-là sait qu'il est mort, pourquoi donc te pardonnerais-je ton manque d'entraînement ? Chacun doit pratiquer l'ascèse de maintes façons. Ainsi il sera délivré de cet élément, en sorte de ne plus être dans l'erreur, mais de se reprendre à nouveau tel qu'il était d'abord. " (1)

" Les héritiers des morts sont eux-mêmes morts et c'est des morts qu'ils héritent. Les héritiers du vivant sont eux-mêmes vivants et ils héritent du vivant et des morts. Les morts n'héritent de personne. Comment en effet celui qui est mort pourrait-il hériter ? Le mort, s'il héritait du vivant, ne mourrait pas, mais c'est bien davantage qu'il vivrait, le mort. " (2)

" Ceux qui disent que le Seigneur est mort d'abord puis qu'il est ressuscité sont dans l'erreur, car il est ressuscité d'abord, puis il est mort. Si quelqu'un n'obtient pas d'abord la résurrection, ne doit-il pas mourir ? Par le Dieu vivant, celui-là ne doit-il pas mourir ? " (2)


Léonard de Vinci 1452-1519

Il s'est dit, la question n'est pas de croire ou de ne pas croire, la question réside dans les réponses qu'elle m'apporte et dans celles que j'offre sur l'Instant, dans l'effeuillement des mots et des corps, la réponse est dans l'éblouissement d'un regard, dans l'Instant d'un mouvement, dans la vie vive qui s'ouvre. La mort déteste tout cela. Je m'emploie, a-t-il écrit, à ouvrir mes mots et mon corps sur un passage de Joie.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Traité sur la résurrection / Écrits gnostiques / La bibliothèque de Nag Hammadi / traduc. Jacques-E. Ménard / Bibliothèque de la Pléiade/ Gallimard
(2) Évangile selon Philippe / Écrits gnostiques / La bibliothèque de Nag Hammadi /
traduc. Louis Painchaud / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard

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