samedi 17 décembre 2011

En Passant (3)



Voilà ce que j'écrivais ici même lors de la publication du petit livre sur Gustav Leonardt, aujourd'hui, il met fin à sa carrière musicale, faute physiquement de pouvoir la poursuivre avec la même intensité, et la même inspiration. Que Bach l'accompagne :

" Peu d'interprètes dépassent leur statut, leur fonction, leur responsabilité. Pour la plupart d'entre eux, la musique est une profession : ils jouent ce qui est écrit, sont rémunérés pour le faire. La gloire les attend, ou la médiocre dureté à peine fêlée d'un anonymat tranquille. Quelques-uns restent dans l'histoire : ils ont eu la bonne fortune d'exercer leur métier à une époque où tout se conserve et s'archive. Ceux qui les ont précédés doivent se contenter de quelques lignes dans les dictionnaires. Les interprètes sont comme des pères : ils ont transmis leur message et peuvent s'éteindre ; leurs descendants feront de même, et ainsi de suite, jusqu'à la consommation des temps. " (1)

C'est ainsi que s'ouvre ce livre joyeux consacré à un musicien hors du temps, hors des temps modernes, un héros, et l'auteur qui sait de quoi il parle a la bonne idée, lui aussi d'y penser, un héros donc, au sens qu'en donnait un jésuite hors du temps lui aussi, Baltasar Gracian y Moralès : " C'est un art insigne et de savoir saisir d'abord l'estime des hommes, et de ne se montrer jamais tout entier à eux. Il faut entretenir toujours leur attente avantageuse, et ne la point épuiser, pour le dire ainsi ; qu'une haute entreprise, une action éclatante, une chose enfin distinguée dans son genre en promette encore d'autres, et que celles-ci nourrissent successivement l'espérance d'en voir toujours de nouvelles. " (2), un musicien divinement éclairé, un musicien soyeux et vif, un musicien qui à chaque seconde vérifie et prouve que l'art de Bach est en permanence au centre du Temps de la musique.

Si les livres sauvent, les musiciens n'y sont pas non plus étrangers, ils élèvent le corps et fortifient l'âme, déchirent l'imposture de la mort.
Il est d'ailleurs amusant de vérifier ce qui s'écoute aujourd'hui !
Évoquez Bach et Mozart : Les Suites Anglaises ? Cosi Fan Tutte ?
Insistez : Gustav Leonhardt ? Nikolaus Harnoncourt ?

" Alors que le siècle s'empresse de ne voir que la surface des choses et préfère s'étourdir de vapeurs capiteuses, Leonardt voit ce qui est derrière le texte, laisse circuler ce qui s'y glisse clandestinement. Car le sous-texte est dans le texte. Comme les mélodies presque surajoutées par Verlaine à ses poèmes, comme la mélancolie dont Mozart ou Rameau irriguèrent leurs pièces les plus joyeuses, la signification d'un menuet de Bach " veut " être transmise sans obstacle, mais elle " veut " aussi être exaltée, comme la perfection d'une écriture. " (1)

A bien lire cela, on est en droit de s'imaginer avoir affaire, et c'est bien l'Affaire aujourd'hui, à un Gnostique.

" Les instants pendant lesquels il n'y a rien à prouver, mais où cependant le musicien peut atteindre ce point culminant, sont rendus possibles par l'inspiration qui a donné naissance à l'oeuvre. C'est elle, et non le contact avec le public, qui est au coeur de l'évènement. Un musicien qui émeut est en contact avec la musique elle-même ; s'il cherche le contact avec le public, c'est qu'il est vaniteux, qu'il se sert de l'oeuvre au lieu de la servir et de s'abandonner aux auditeurs en payant de sa personne. " (1)

De tels propos vont irriter plus d'un humanoïde, cela aussi est bien amusant.

Voici un écrivain, voilà un musicien et un compositeur, nous sommes en fort bonne compagnie :

" Par rapport aux années 60, le centre d'intérêt s'est déplacé. A présent, toute l'énergie de Léonardt chef d'orchestre va à la danse. Nul n'aurait pu prévoir que le claveciniste calviniste - presque un anagramme - saurait faire danser un orchestre, ni même qu'il saurait trouver la danse partout où elle se cache, partout où on l'oublie. Partout où on la cache ( " Ils ôtent de l'histoire que Socrate ait dansé ", dit La Bruyère ). Les gestes sont plus économes, certes, moins amples - encore qu'une phrase très legato tire de son bras de grands arrondis surprenants - et les articulations des épaules sont moins libres... Surtout, il rebondit, il élargit, passant constamment de l'appui à l'envol : allégement/poids, en l'air/à terre. Et tout cela par minuscules gestes pointus et droits. " (1)

Le musicien danse, l'écrivain écoute, regarde et se met à son tour à danser, Bach d'ici sourit, il sait, que sa musique danse le Temps délivré.




Ajoutons que seuls les corps qui savent écouter Bach se délivrent des pesanteurs sociales dominantes, savoir aimer, c'est savoir écouter, et savoir écouter c'est savoir jouer.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Sur Leonhardt / Jacques Drillon / L'Infini / Gallimard
(2) Le Héros / Baltasar Gracian y Moralès / traduct. Joseph de Courbeville / Présentation de Clément Rosset / Distance

5 commentaires:

  1. Mais le voilà le terrain d'entente!
    "" Les instants pendant lesquels il n'y a rien à prouver, mais où cependant le musicien peut atteindre ce point culminant, sont rendus possibles par l'inspiration qui a donné naissance à l'oeuvre. C'est elle, et non le contact avec le public, qui est au coeur de l'évènement. Un musicien qui émeut est en contact avec la musique elle-même ; s'il cherche le contact avec le public, c'est qu'il est vaniteux, qu'il se sert de l'oeuvre au lieu de la servir et de s'abandonner aux auditeurs en payant de sa personne. "

    Vous touchez là, monsieur, à l'essentiel : le sens de l'acte. Je pourrai paraitre péremptoire car je n'ai aucune légitimité à quelque expertise, mais selon moi celui qui prétend jouer pour le public ne le fait que pour lui-même. C'est toute la perversité du jeu social où celui qui ne sait pas qui il est part chercher dans un reflet ce qu'il souhaiterait être la réalité. Alors que celui qui se connait peut etre qualifié d' egotique, de cynique, ... Mais m'éloigne de votre propos initial.
    Si servir une oeuvre est indissociable d' une part d' humilité, c'est aussi accepter de s'enrichir de l'âme de l'Autre.
    En revanche, pour moi restent en suspens les questions sur le compositeur, l'auteur. Désespéré? Communiquant frénétique? Pathologique dilaté de l'égo? Donneur de leçons ou simplement une personne qui cherche à panser l'enfant qui a mal? Offensive ou défense? Peut être tout oi même rien de cela.....

    Ah Mathilde! Mathilde! Tu sais que telle Corro Maltese je pourrais dire "toujours un peu plus loin". C est mon côté pitbull. Je ne lâche que lorsque je vois que ke suis au noir du bout du bout de ma capacité à me remettre en questions. Versatile ou pugnace?

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  2. Corto! Corto Maltese! Les moufles les moufles! Et un mouvement de révolte contre les iphones qui, sans qu'on ne leur demande rien,modifient les mots. Il faudrait qu'on leur fasse entrer dans les cartes mémoire qu'ils ne St. Jamais que des interprètes quoi!

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  3. Le sens de l'acte : sens du jeu et du je.

    Belle journée et merci de vos arpèges.

    Philippe Chauché

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  4. Le jeu, solidaire, évoque davantage un nous qui noue qu'un pauvre je solidaire avec lequel on tourne rapidement en rond. Que Diable, faire éclater les cadres et même avec prudence s'aventurer au delà des limites, voilà qui est jouer, voilà qui est "je est". N est ce pas plus joli de se faire surprendre par l'Autre que de se guetter soi-même?Maintenant, je dis ça, je ne dis rien puisque je ne vous connais pas!
    Néanmoins bien à vous et passez de belles fêtes.
    Dans mon incoercible rusticité je ne résiste pas à vous rajouter un franc et cordial " Bon bout d' an" comme on dit chez moi;)

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  5. Cri de la vallée jfjreikfjdkks21 décembre 2011 à 09:22

    Pardon replacer "je solidaire" par "je soliTaire".
    Les moufles, les moufles!!!!!
    Bon Noël.

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