" Ph. F. - Une nation n'a de grands hommes que malgré elle.
Ph. S. - C'est cela qui me vient au bout des doigts lorsque j'ai quelque chose à raconter. Cette expérience-là, intérieure, à laquelle s'oppose tout le dispositif social. Et ça fait " roman ". J'appelle cela : " roman ". Mais dans un sens non cinématographique. C'est-à-dire : non anglo-saxon. Le colonisé collaborateur français, qui ne sait plus de quelle identité il est, est obligé d'en passer par cette extravagance dévotion pour roman illisible anglo-saxon. Parce que si vous les lisez, bravo ! Dans Trésor d'amour, il y en a un qui tombe dans la lagune à Venise. C'est un peu caricatural. Mais pas vraiment. C'est une question de vie ou de mort. C'est la guerre. Quelqu'un qui écrit aujourd'hui en français et qui ne sait pas que c'est une guerre d'une extrême violence n'écrit pas. Selon moi. Ou à peine. Par bribes. " (1)
" Si vous êtes à Paris, ou si vous y passez, allez voir Manet au Musée d'Orsay. Changez le titre de " L'Olympia ", ce nu allongé, voluptueux, proprement révolutionnaire, pour " Luxure ". La foule de l'avant-dernier siècle s'était rassemblée pour hurler, cracher sur ce tableau, de même que sur " Le Déjeuner sur l'herbe ". Or, là, j'ai vu nos contemporains ne rien voir. Plût au ciel qu'ils trouvent cela absolument insoutenable, ou mal peint, ou dégoûtant ; jadis les gens se ruaient contre. Mais là, rien. Comment interpréter cette asthénie ? Sans doute pas par le progrès des moeurs. Si vous arrivez à entrer dans " L'Olympia ", dites-le-moi. C'est un tableau qui vous regarde de façon particulièrement insolente et informée. Magnifique luxure, comme elle dit la vérité ! Comme elle angoisse l'hypocrisie économe et sa profonde fécalité ! Comme elle va débusquer le diable jusque dans les grimaces des dévotions supposées ! Parfois, de splendides et rares vipères dactylographes peuvent écrire comme Sade : " Heureux, cent fois heureux ceux dont l'imagination vive et lubrique tient toujours les sens dans l'avant-goût du plaisir. " Happy few... Oh, j'entends aussi Stendhal, qui a souffert de n'avoir pas le corps qu'il fallait pour se livrer à la luxure, mais dont l'esprit était si luxuriant : " Posséder n'est rien, c'est jouir qui fait tout ! " (2)
Amusement de fin d'année, ce questionnaire à soumettre à celle ou celui qui s'adonne au flirt en hiver :
- si l'on vous dit roman, que répondez-vous ?
- si l'on vous dit peinture, que dites-vous ?
- vous pensez que Montaigne est notre contemporain ?
- la Luxure vous paraît d'actualité ?
- le Silence vous occupe ?
- Manet, Monet, Cézanne, Picasso, que pouvez-vous en dire ?
- vous lisez des romans français ?
- vous trouvez la jouissance amusante ?
- vous vous sentez contemporain de quel artiste ?
- l'art français, c'est quoi pour vous ?
- les Thang, cela vous dit quelque chose ?
- vous connaissez Nice ?
- si l'on vous dit, la musique, vous défendez qui ?
- vous rependrez bien une coupe de champagne en attendant que ne s'ouvre l'année du Dragon d'Eau ?
à suivre
Philippe Chauché
(1) La mutation du sujet / entretien réalisé par Philippe Forest / L'Infini 117 / Gallimard
(2) La Luxure / Philippe Sollers / d°
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