mercredi 14 décembre 2011

En Passant


photo Tom Palumbo

" C'est comme un grand dessin de Picasso avec ceci et cela en train d'attraper ceci ou cela - même Picasso ne souhaite pas être trop précis. C'est le Jardin d'Eden et tout est possible. Je n'arrive à penser à rien, dans ma vie ( et sur un plan esthétique ), de plus beau que le fait de tenir une fille nue dans mes bras, de biais sur un lit, au moment du premier baiser. Le dos de velours. Les cheveux dans lesquels ont coulé l'Obis, le Paranas et l'Euphrate. La nuque de la fille maintenant transformée en Eve serpentine à cause de la Chute Dans le Jardin, où vous sentez bien ls muscles de l'âme animale et unique et il n'y a pas de sexe - mais ô le repos si doux et improbable - Si les hommes étaient aussi doux je les aimerais autant - Dire qu'une femme désire un homme dur et poilu ! Je suis sidéré à cette seule pensée ; où est la beauté ? Mais Ruth m'explique ( puisque je lui ai demandé, pour le plaisir ) qu'en raison de sa douceur excessive et de sa nature généreuse, elle avait fini par en avoir assez et par désirer une certaine brutalité - dans laquelle elle voyait par contraste la beauté - et donc comme dans un Picasso de nouveau ou dans un Jardin de Jan Müller, nous avons mortifié Mars par nos échanges de dur et de doux - Avec quelques trucs en plus, comme on dit poliment à Vienne - qui nous ont conduits dans une nuit haletante, hors du temps, de pur plaisir délicieux, couronnés par notre sommeil. " (1)

J'ai le plus souvent lu les romans de Kerouac en passant, note-t-il, avec la certitude - venue très vite - qu'il valait mieux que ce que de lui on voulait bien montrer ; tout ce folklore, cette pantomime musicale et révoltée, où la prise de drogue en grande quantité transformerait un chat en tigre, un écrivain du dimanche en Faulkner, un chanteur de foire à chemise à fleurs en Franck Sinatra, tout ce cirque des sous sols m'ennuyait, cette dérive coutumière, et Kerouac m'aurait tout autant ennuyé si n'y avait pas chez lui, ce terrible écartellement de la phrase, cette cartographie permamente du verbe et du corps qui s'y noie, ce perdant magnifique sait écrire, que demander de mieux ?

à suivre

Philippe Chauché

(1) New York en passant / Anges de la désolation / Jack Kerouac / traduc. Pierre Guglielmina / Denoël / 1998

5 commentaires:

  1. Extrait de Big Sur de Jack Kerouac :

    "...un nouvel amour donne toujours de l’espoir, la solitude mortelle et irrationnelle est toujours couronnée; cette chose que j’ai vue (cette horreur du vide reptilien) quand j’ai inspiré à fond l’iode mortelle de la mer, à Big Sur, est maintenant justifiée et sanctifiée, levée comme une urne sacrée vers le ciel, par le simple fait de se déshabiller, de faire aller les corps et les esprits dans les délices mélancoliques, inexprimables et frénétiques de l’amour. Ne laissez aucun vieux chnoque vous dire le contraire; quand on pense que personne, dans ce vaste monde, n’ose jamais écrire l’histoire véritable de l’amour, on nous colle de la littérature, des drames à peine complets à cinquante pour cent. Quand on est allongé, bouche contre bouche, baiser contre baiser dans la nuit, la tête sur l’oreiller, rein contre rein, l’âme baignée d’une tendresse qui vous submerge et vous entraîne si loin des terribles abstractions mentales, on finit par se demander pourquoi les hommes ont fait de Dieu un être hostile à l’amour charnel. La vérité secrète et souterraine du désir farouche qui se cache dans les galeries, enfouie sous les ordures qui envahissent le monde entier, cette réalité dont on ne vous parle jamais dans les journaux, ce désir dont les écrivains ne parlent qu’en hésitant, avec force lieux communs, et que les artistes représentent avec combien de réticences, ah, vous n’avez qu’à écouter Tristant et Isolde de Wagner et vous imaginer le héros dans une champ bavarois avec sa belle maîtresse nue sous les feuilles de l’automne!"

    Extrait de Vanité de Duluoz de Jack Kerouac :

    "Je montais jusqu'à la crête des vagues puis redescendais dans leurs creux, goûtais les embruns salés, avançai mon visage et mes yeux à la rencontre du vaste océan, je le voyais arriver sur moi, riais tout haut, avançais, montais et descendais comme un bouchon, ce qui me donna la nausée ; je vis l'horizon dans la grisaille lointaine et pluvieuse, le perdis de vue au creux d'une vague monstrueuse, nageai vers un bateau ancré là et dont le nom était "Nous y sommes". "

    Extrait de sur la route : le rouleau original de Jack Kerouac :

    ""Elle m'a embrassé sans émotion dans les vignes, et elle s'est éloignée le long de la rangée. A douze pas, on s'est retournés, car l'amour est un duel, et on s'est regardés pour la dernière fois."

    HAIKU de Jack Kerouac :

    "Ma main
    Une chose avec des poils,
    Montant et descendant avec mon ventre."

    Vous me faites découvrir cet auteur et le peu que je lis, particulièrement de votre extrait choisi, me charme !!!

    Alors merci !!!

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  2. Truman Capote, à propos de Jack Kerouac : "Ce n'est pas écrit, c'est tapé".

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  3. Les sœurs Goadec c'est pas mal non plus.

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  4. Bureau des recherches sur l'amour et le merveilleux14 décembre 2011 à 23:44

    On ne peut que vous remercier de nous avoir fait connaître cet extrait de la prose poétique de Kerouac – et celui que cite « Mathilde », en commentaire à votre texte, est peut-être encore plus intéressant. (Intéressant n'étant, évidemment, pas le mot qui convient ici.)
    Un point nous reste obscur cependant – mais, rassurez-vous, nous n'attendons pas de réponse à nos interrogations : si l'on voit bien comment, du point de vue d'une aristocratie du sang, de la terre – pour tout dire de droit divin – on a pu, et on peut, légitimement, considérer Casanova comme un vulgaire haut-le-pied, et si l'on voit bien comment, de ce même point de vue, on peut considérer Kerouac comme un quelconque va-nu-pieds et un représentant, particulièrement misérable, de « la culture du pauvre » (que l'on nomme pop-culture lorsque l'on y est favorable ou que l'on en participe), on voit mal de quel point de vue on peut qualifier Kerouac de «loser », de perdant, fût-il magnifique.
    Si un homme a pu écrire – et vivre, par-dessus tout – ce qui nous est donné à lire ici, n'est-on pas en droit de le voir, sinon en passant (considérable) – pour reprendre le mot de Mallarmé à propos de Rimbaud –, au moins en triomphateur : de la misère poétique générale des rencontres et des existences ; des esprits et des plumes standardisés qui les traduisent.
    Il faut juger de la qualité des hommes par la hauteur des vagues (amoureuses ou océaniques) qu'ils prennent, et par le courage, la persévérance et la grâce qu'ils montrent à le faire ; et non par la façon dont ils échouent, finalement, sur la grève.
    Ce n'est, bien entendu, qu'un point de vue : il a, pour nous, l'avantage d'être le nôtre.

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  5. C'est bête, la sonorité de son nom invariablement me ramène à la Bretagne.

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