mardi 13 décembre 2011

Une Lame



" La mer jusqu'à l'approche de ses limites est une chose simple qui se répète flot par flot. Mais les choses les plus simples dans la nature ne s'abordent pas sans y mettre beaucoup de formes, faire beaucoup de façons, les choses les plus épaisses sans subir quelque amenuisement. C'est pourquoi l'homme, et par rancune aussi contre leur immensité qui l'assomme, se précipite aux bords ou à l'intersection des grandes choses pour les définir. Car la raison au sein de l'uniforme dangereusement ballotte et se raréfie : un esprit en mal de notions doit d'abord s'approvisionner d'apparences.
Tandis que l'air même tracassé soit par les variations de sa température ou par un tragique besoin d'influence et d'informations par lui-même sur chaque chose ne feuillette pourtant et corne que superficiellement le volumineux tome marin, l'autre élément plus stable qui nous supporte y plonge obliquement jusqu'à leur garde rocheuse de larges couteaux terreux qui séjournent dans l'épaisseur. Parfois à la rencontre d'un muscle énergique une lame ressort peu à peu : c'est ce que l'on appelle une plage.
Dépaysée à l'air libre, mais repoussée par les profondeurs quoique jusqu'à un certain point familiarisée avec elles, cette portion de l'étendue s'allonge entre les deux plus ou moins fauve et stérile, et ne supporte ordinairement qu'un trésor de débris inlassablement polis et ramassés par le destructeur. " (1)



" Une vague ne se cache pas pour mourir. Elle aime disparaître sous le regard des hommes. A l'approche du rivage dont elle monte la pente sablonneuse ou rocheuse, elle se cabre pour exécuter une dernière pantomime menaçante. Puis, épuisée, elle s'effondre dans un fracas sourd qui se prolonge en un long grondement de ruines pulvérisées et bouillonnantes. Quand elle n'est plus qu'un flot blanchâtre, elle stagne en mousse collante au flanc d'une falaise, ou, si elle échoue sur une plage, le sable l'engloutit. Son âme s'évapore dans une vapeur d'embruns qui se déposent sur le visage des badauds. Parfois, ils pénètrent une poitrine. C'est dans le coeur d'un mortel qu'une vague, alors, rend son dernier souffle. La mélancolie est son ultime avatar. " (2)

" Vieil océan, tu es si puissant, que les hommes l'on appris à leurs propres dépens. Ils ont beau employer toutes les ressources de leur génie... incapables de te dominer. Ils ont trouvé leur maître. Je dis qu'ils ont trouvé quelque chose de plus fort qu'eux. Ce quelque chose à un nom. Ce nom est : l'océan ! La peur que tu leur inspires est telle, qu'ils te respectent. Malgré cela, tu fais valser leurs plus lourdes machines avec grâce, élégance et facilité. Tu leur fais faire des sauts gymnastiques jusqu'au ciel, et des plongeons admirables jusqu'au fond de tes domaines : un saltimbanque en serait jaloux. Bienheureux sont-ils, quand tu ne les enveloppes pas définitivement dans tes plis bouillonnants, pour aller voir, sans chemin de fer, dans tes entrailles aquatiques, comment se portent les poissons, et surtout comment ils se portent eux-mêmes. " (3)


photo Stephano Salerno - surfeur Benjamin Sanchis

Vivre au large dans l'attente silencieuse, note-t-il, embrassant d'un oeil le large, de l'autre la plage, sans autre envie, que celle d'entendre ce fracas terrible et troublant ; vivre là, dans une dérive qui vous traverse comme une lame.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Bords de Mer / Le parti pris des choses / Francis Ponge / Tome Premier / Gallimard / 1965
(2) Petite philosophie du surf / Frédéric Schiffter / Milan / 2005
(3) Les chants de Maldoror / Isidore Ducasse Comte de Lautréamont / La Table Ronde / 1970

1 commentaire:

  1. Sur la vague, là, c'est vous dans la grande solitude du futur noyé des hauts-fonds ?

    En passant, je vous souhaite le bonsoir :)

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